Coups de coeur Le 9 octobre 2016

« UnREAL », les coulisses ordurières de la télé poubelle

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« UnREAL », les coulisses ordurières de la télé poubelle

© Lifetime

Les amateurs de séries le savent : l’offre est pléthorique mais leur temps est compté. Il s’agit alors de dénicher les perles rares noyées dans la déferlante de séries télévisées ou non diffusées sous nos latitudes. UnREAL, dont la typographie est à garder telle quelle à la traduction (« IrREEL »), est de celles-là. Créée par Sarah Gertrude Shapiro et Marti Nixon, la série dresse brillamment un portrait au vitriol des coulisses de la télé-réalité et s’attaque par extension au fonctionnement de l’industrie télévisuelle. Diffusée pour la première fois en 2015 sur Lifetime, une chaîne américaine ciblant le public féminin, UnREAL a récolté un succès d’estime auprès des quelque 700’000 téléspectateurs réunis l’an dernier devant chaque épisode de la première saison. La deuxième saison vient de s’achever, en attendant la troisième.

La série reprend les rouages d’un programme de télé-réalité de type Bachelor (nommé ici « Everlasting ») : un célibataire en quête du grand amour choisit parmi plusieurs prétendantes « l’élue de son cœur ». Les candidates se disputent ses faveurs alors que celui-ci les élimine les unes après les autres pour n’en garder qu’une. Au-delà des nombreuses critiques sexistes dont le vrai show a fait l’objet, l’envers du décor était bien plus sombre : manipulation des candidates, disputes montées de toutes pièces, montages trompeurs, etc. Là réside tout l’intérêt de UnREAL, puisque Sarah Gertrude Shapiro, dotée d’une sensibilité féministe, abhorre ce type d’émission. Encore mieux, elle fut productrice du Bachelor version américaine, durant neuf saisons (2002-2004). Un peu malgré elle. En effet, un contrat avec un réseau de télévision, paraphé sous conditions, la contraignit à travailler pour le show. Elle ne pouvait démissionner qu’en se faisant licencier, ce qu’elle se refusa à faire. Il ne lui resta plus qu’à déménager dans un autre état pour rompre son contrat. De cette expérience, elle garde un regard critique affuté sur l’industrie et une comparaison imagée : son poste au sein de la production revenait, selon elle, à demander « à un militant végétarien de travailler dans un abattoir » 1.

 

La bande-annonce de la première saison:

 

« The Bitchelor : Master of Disaster »

UnREAL repose en grande partie sur deux personnages féminins principaux Quinn King (Constance Zimmer) et Rachel (Shiri Appleby), respectivement showrunneuse2 et productrice de l’émission au cours de la première saison. Quinn est une garce froide et calculatrice tandis que Rachel, plus mesurée, est traversée par des conflits éthiques. Du moins, au début. A elles deux, elles redoublent d’efforts et d’inventivité en combinant leurs compétences afin de manipuler les candidates, les monter les unes contre les autres et contrôler « Everlasting » (presque) comme elles le souhaitent. Pour toujours plus d’audience. La série réutilise à merveille les mécanismes du Bachelor jusque dans l’image étincelante tout en contrastes et couleurs criardes. Sauf qu’ici, le spectateur est propulsé dans les coulisses destructrices de la production. Là où la première saison plantait le décor, la deuxième s’ouvre sur une devise tatouée aux poignets de Quinn et Rachel : « Money, Dick, Power ». Un dicton symbolisant la route vers le succès, apparemment toute tracée, d’une nouvelle saison d’ « Everlasting ». Plus immorale et politiquement incorrecte que la saison précédente, celle-ci démarre sur les chapeaux de roue avec une idée délicate proposée par Quinn au patron de la chaîne. Un prétendant noir, quarterback3 :

« Il est noir », répond ce dernier.

« Il ressemble à un footballeur noir » rétorque aussitôt Quinn.

Savoureux. Les dialogues écrits à coups de répliques assassines permettent d’assister à des ping-pongs verbaux qui rythment la série. Ils nourrissent également des personnages cyniques et manipulateurs, prêts à tout pour arriver à leur fin. Les candidates, quant à elles, sont catégorisées par la production et réduites à de simples clichés. Enfin, le scénario travaillé construit sur des trahisons (peut-être trop rocambolesques sur la fin) conclut la critique de manière brillante. Et si le doute pouvait subsister quant aux intentions des deux réalisatrices, elles laissent souvent leurs personnages principaux ou secondaires parler pour elles : «…la seule chose qui est dure dans cette émission, c’est de prétendre qu’elle ne met pas en avant l’insipidité de la culture américaine ». Ou encore : « Nous ne résolvons pas les problèmes, nous les créons ». Jubilatoire.

 

 


1 http://www.latimes.com/entertainment/tv/showtracker/la-et-st-unreal-sarah-gertrude-shapiro-bachelor-bachelorette-20150528-story.html

2 Appliqué aux séries, le terme désigne la personne responsable au quotidien du bon déroulement des opérations. On peut parler d’auteur-producteur.

3 Poste offensif au football américain

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