Société Le 10 octobre 2013

Boson de Higgs : veuillez, svp, ficher la paix à Dieu!

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Boson de Higgs : veuillez, svp, ficher la paix à Dieu!

CERN, journées portes ouvertes, 28.09.13 © Jean-Baptiste Bing

Mardi 8 octobre 2013 : l’Académie Nobel a décerné son prix de physique à François Englert et Peter Higgs, qui avaient postulé l’existence de la particule dite « boson de Brout-Englert-Higgs » quarante-neuf ans avant que le CERN n’annonce tenir la preuve de son existence (4 juillet 2012). Robert Brout, le troisième « père » du boson, ayant eu le mauvais goût de décéder entre temps (en 2011, précisément), il n’aura rien du tout, bien fait pour lui (Gandhi avait déjà expérimenté un incident de ce genre…). Bravo aux deux lauréats, bravo aux scientifiques et techniciens du CERN, bravo aussi à tous les soutiens administratifs qui ont rendu possible cette expérience de collaboration internationale : du point de vue du chercheur en sciences humaines, cela constitue une performance aussi admirable (et plus compréhensible…) que la détection des particules élémentaires. Bravo aussi à tous ceux qui considèrent que, pour une fois, l’actualité scientifique mérite de passer devant le sport, la politique et autres faits divers.

Toutefois, un détail vient sensiblement atténuer mon ineffable bonheur à voir tant de gens se réjouir : l’abus fait dans les médias, depuis nombre d’années, de l’expression « particule de Dieu » au sujet dudit boson. Peter Higgs lui-même déteste cette expression, qui heurte ses convictions athées. Sans partager celles-ci, on peut tout de même s’interroger : que vient faire Dieu là-dedans ? Pourquoi faire de cette métaphore le B.a.-ba de toute vulgarisation, et flirter ainsi avec le concordisme ? Celui-ci consiste à chercher dans la science une confirmation de postulats métaphysiques (texte sacré d’une religion ou affirmation que Dieu n’existe pas).

Que croyants et athées puissent être également de grands scientifiques, les œuvres du musulman Bruno Guiderdoni,  du catholique Georges Lemaître, du bouddhiste Trin Xuan Tuan et de l’athée Peter Higgs en témoignent. Mais par ailleurs, essayer de faire communiquer science et métaphysique exige de grandes précautions épistémologiques et méthodologiques. Tenter, par exemple, de réinterpréter des textes sacrés ou athées à la lumière de nouvelles connaissances scientifiques peut certes nourrir la profondeur spirituelle du croyant ou de l’athée en leur donnant plus de lucidité sur notre Univers ; mais cela se fait hors du domaine proprement scientifique, quand bien même ce sont des religieux ou des militants de l’athéisme qui s’y essaient. Et confondre les domaines n’apporte rien, fors l’obscurité : le P. Lemaître le fit remarquer au pape Pie XII (qui a d’ailleurs très honnêtement reconnu sa mésinterprétation) quand celui-ci soutint, à propos de la théorie du big-bang, qu’il s’agissait d’une preuve de la Création.

Postuler que la science, la philosophie ou la religion soient, l’une ou l’autre, seule porteuse de vérité et n’aient nul besoin des autres sphères de la connaissance humaine, relève d’un dogmatisme appliqué sans discernement à une question indécidable. Si ces savoirs ne sont pas séparés par des cloisons étanches (nul n’est scientifique à un moment, croyant/athée à un autre : tous sont l’un et l’autre – et bien d’autres choses – à la fois), ils se distinguent néanmoins par leurs modes d’élaboration, de confrontation et de validation (épistémologie et méthodologie). L’erreur des Maurice Bucaille, Richard Dawkins et autres thuriféraires de l’Intelligent dessein comme théorie scientifique, est du même ordre qu’appeler « particule de Dieu » le boson BEH : oublier que toute hypothèse métaphysique est, par nature, insaisissable avec des outils et des méthodes scientifiques ; oublier que la science n’est ni athée ni croyante, mais agnostique.

La tâche du vulgarisateur (de l’enseignant envers ses élèves, du journaliste envers le grand public, du physicien du CERN lors des journées portes ouvertes qui ont eu lieu fin septembre 2013,…) est d’expliquer, non d’obscurcir ; et, certes, fasciner le public constitue un bon moyen de l’intéresser à la science. Or, pour ce faire, allier talent d’écriture ou oratoire et présentation de faits particulièrement étonnants et déroutants (tel est le cas de la physique de l’infiniment petit) suffit largement. Alors, SVP, abandonnons les formules toutes faites qui ne contribuent qu’à communiquer avec éclat et non à exposer des faits avec clarté. Athées, croyants et agnostiques profiteront d’autant mieux de leur connaissance scientifique, pour apprécier le monde dans lequel ils vivent en tant qu’êtres humains et le faire évoluer en tant que citoyens, si Dieu et le boson de Brout-Englert-Higgs restent chacun à leur place.

Commentaires

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Alan

Ah mince, je ne peux pas répondre à une réponse de réponse ;) Je posais la question parce que j'ai…

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JB Bing

Ben oui... Et son propos me semble clair (c'est d'ailleurs un talent qu'il a) !

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Alan

Euh... Vous avez lu Dawkins?

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Alan

Mêmes réactions que ci-dessus. Dawkins est un fervent opposant à tous les mouvements créationnistes. Et j’ajouterais qu’il si le garçon a l’athéisme militant, il ne s’emmêle pas les pinceaux pour autant et ne milite pas du tout pour une science athée. Sinon, article très sympa, merci 🙂

Pour celles et ceux qui se demanderaient d’où diable peut bien venir cette expression ridicule, sachez que ce ne sont ni les médias ni Dan Brown qui l’ont inventée (encore que ce dernier y est sans doute pour beaucoup dans son usage généralisé). C’est le titre d’un ouvrage de science populaire de 1993 écrit par un Nobel de physique, Leon Lederman, et un journaliste scientifique, Dick Teresi. Le livre devait s’intituler « The Goddamn Particle: If the Universe is the Answer, What is the Question? » (Qu’on pourrait traduire par « Putain de particule… » ou « Foutue particule… » « … Si l’univers est la réponse, quelle est la question? »), mais l’éditeur trouvait ça vulgaire et pensait que « God particle » se vendrait mieux, s’appuyant sans doute sur les chiffres de ventes épatants d’un autre best-seller publié quelques siècles plus tôt et réédité constamment depuis… Résultat des courses: personne n’a entendu parler du bouquin mais tout le monde subit cette ridicule particule de dieu. Encore un éclair de génie 😉

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Adriano Brigante

Alan> Tout à fait! D’ailleurs, Lederman trouvait que « Goddamn Particle » était très adapté, vu les effets pénibles du boson de Higgs: sans lui, les objets pourraient se déplacer tellement plus facilement et on économiserait beaucoup d’énergie. 🙂

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JB Bing

Là, on entre dans la science-fiction – au sens premier du terme. Allez, lançons-nous dans l’imagination d’un univers où la matière n’aurait pas de masse… ça promet d’être beau !

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Flo

Même question qu‘Adriano au dessus. Vous faites référence aux « memes » ?

Aussi je me permets d ajouter que le nom « particule de Dieu » vient à l origine d une erreur de traduction. A la base c est la « God particle » donc plutôt « particule-Dieu » en francais, pour souligner l importance de cette particule pour le modele standard, dans le sens où c est un peu la pièce manquante. Il n y a pas d intention d attribuer un sorte de role littéralement divin à cette particule. Maintenant, si un simple nom permet de multiplier par deux au moins (« particule de Dieu » est plus recherché sur google que « Boson de Higgs » !) la notoriété d un événement scientifique tant mieux. Un peu de provoc’ fait souvent plus réfléchir que de mal, m est d avis que c est le cas ici…

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Bing

Même question ? Même réponse !

Et merci de la précision – qui, par ailleurs, renforce cette impression d’exagération complète : « particule-Dieu » paraît au moins aussi aberrant que « particule de Dieu ».

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Adriano Brigante

Article intéressant, mais…
Richard Daw­kins thu­ri­fé­raire de l’intel­li­gent des­ign comme théo­rie scien­ti­fique?? Sans doute faut-il y voir une simple erreur de l’auteur. Sinon, il va falloir que l’on m’explique!

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Bing

Non, bien sûr, Dawkins rejette énergiquement l’ID. Mais sa manie de vouloir nier « scientifiquement » l’existence de Dieu est du même ordre que ceux qui veulent « prouver » la véracité littérale des textes bibliques – du confusionnisme, précisément.

JB Bing

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Adriano Brigante

Je ne suis pas d’accord avec vous. Dawkins est un scientifique, et comme tout scientifique, il sait parfaitement qu’on ne peut pas prouver positivement l’inexistence de quelque chose.
Il constate simplement que rien n’indique l’existence d’un dieu.

Il est faux de penser que Dieu est de l’ordre du métaphysique et qu’il est « hors de portée » de la science:
– Soit Dieu intervient dans la réalité, et on peut le tester scientifiquement.
– Soit Dieu n’intervient pas dans la réalité, et dans ce cas on ne peut pas le tester scientifiquement. Mais ça n’est pas grave, puisqu’on ne peut pas le distinguer d’un Dieu qui n’existe pas, et donc, à toutes fins utiles, on peut considérer que Dieu n’existe pas.

Par curiosité, vous avez des éléments concrets indiquant l’existence d’un ou de plusieurs dieux dans notre univers?

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Patrick

Bonjour a tous!!

Vaste débat que celui de l’existence ou non d’un Dieu!
Personnellement j’y crois! Laissez moi vous partager quelques réflexions sur le pourquoi de la chose!

Tout d’abord, j’arrive entièrement à cerner l’envie de comprendre Dieu entièrement. Mais si un être humain arrivait a comprendre entièrement Dieu alors Dieu ne serait pas Dieu car la notion de Dieu implique un être hors temps et hors espace. Cependant l’être humain est limité spatialement et temporairement et donc il ne peut pas comprendre entièrement Dieu.

Cette première base posée, je trouve magnifique qu’un Dieu de l’infini s’intéresse à des individus aussi petits que nous. En effet, il a pris le temps de préparer la terre comme l’endroit parfait pour notre épanouissement! Dieu se révèle par la création. Le fait que ce monde fonctionne tellement bien et de manière autonome ne peut que me mettre la puce à l’oreille que cette Terre est l’œuvre d’un Dieu infini.

Deuxièmement, Dieu a donné à chaque être humain la conscience du bien et du mal. Tout les Hommes disposent de cette « petite voix » qui chuchote « oui fait le » ou « ne le fait surtout pas ». Cette conscience nous en apprend un peu plus sur la volonté de justice de Dieu.

Ce sont la deux aspects de la révélation générale de Dieu qui sont universelles et accessibles a tout le monde. Malheureusement, cette révélation n’est que partielle mais au moins elle permet de donner accès à la connaissance de Dieu.

J’espère également avoir pu vous mettre la puce a l’oreille qu’il existe belle et bien un Dieu infiniment grand mais qui vous aime VOUS en tant qu’individu unique et voulu!

A tous une excellente journée!

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JB Bing

C’est bien là que je désapprouve totalement la démarche de Dawkins, comme celle des créationnistes. Non, on ne peut pas chercher à prouver que Dieu intervient ou n’intervient pas (si tant est qu’il/elle existe, en effet…) dans la réalité. La croyance (et je considère l’athéisme comme une croyance) )intervient AVANT l’analyse, et ressort d’un autre mode de construction du savoir (voyez les livres d’épistémologie de Feyerabend ou Popper). Les livres comme ceux de Dawkins ou Bucaille (des références de même type existent chez les chrétiens ou les bouddhistes, bien sûr…) ne prouvent rien du tout, si ce n’est que leurs auteurs confondent ces épistémologies.
En d’autres termes : la question de déceler des traces (scientifiques) d’une affirmation métaphysiques n’a pas de sens ; elle revient à se demander de quelle couleur est un son – un bel exercice littéraire (voyez Rimbaud), mais pas scientifique.

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Alan

Euh… Vous avez lu Dawkins?

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JB Bing

Ben oui… Et son propos me semble clair (c’est d’ailleurs un talent qu’il a) !

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Alan

Ah mince, je ne peux pas répondre à une réponse de réponse 😉 Je posais la question parce que j’ai pratiquement tout lu également. Et je n’ai aucun souvenir de l’avoir vu tenter de prouver l’inexistence de quoi que ce soit, ce qui est impossible avec la démarche scientifique, il en est bien conscient. Dans the God Delusion, si je me souviens bien, il indique même que la seule posture philosophique valide est l’agnosticisme et que l’athéisme relève de sa conviction personnelle. C’est pour ça que votre discours à son propos me surprend un peu. D’autant plus que vous semblez justement partager sa position sur ces questions-là.
Maintenant, je ne suis pas en train de faire l’apologie de Dawkins, hein. Je suis par moments assez perplexe sur son militantisme, je ne suis pas sûr qu’il rende toujours service à la cause qu’il défend. Mais ça me gêne un peu qu’on lui fasse dire des trucs qu’il n’a pas dits.

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