Sexbox de Zürich © newsnetz.ch
L’ouverture de sexboxes à Zurich le 26 août dernier relance le débat sur la place des prostituées dans notre société. Parallèlement, la France souhaite suivre la Suède, qui punit les clients des travailleuses du sexe depuis 1999. Dans un univers où le débat se résume souvent aux rôles d’exploitant-exploité, n’est-il pas nécessaire de dresser un petit historique du regard porté par la collectivité sur le rôle de la prostitution?
En 1893, l’Italien Cesare Lombroso se lance dans une entreprise obscure : déterminer les caractéristiques physiques des courtisanes. Il conclut que « les prostituées sont plus proches du mâle que de l’honnête femme » et que « les “prostituées nées“, marquées des caractéristiques phylogénétiques de la femme primitive, sont biologiquement dégénérées »1. Mais surtout, la prostitution représente aux yeux de Lombroso le crime « naturellement féminin ». Cette première description paraît caricaturale, mais presque modérée face aux propos de Sacotte, Conseiller à la Cour d’appel de Paris, qui établit un profil psychologique de la gourgandine basé sur sa « médiocrité intellectuelle » et sa « débilité mentale ». Ces différentes idées cachent une conviction inexprimée : prouver que l’hétaïre n’est pas une femme normale. Elle a une tare et personne ne doit en porter la responsabilité.
En 1982, Corbin s’attèle à définir son activité, lui donnant un caractère professionnel lié à la rémunération qui en découle. Il met en lumière quatre critères: l’habitude, la notoriété, la vénalité de telle manière que la prostitution constitue pour la femme qui s’y livre une industrie – un véritable métier dont elle tire l’essentiel de ses ressources –, l’absence de choix – la prostituée se donne à qui la demande – et l’absence de plaisir ou de toute satisfaction sensuelle du fait de la multiplicité de la clientèle. Il est important de relever que cette définition, utilisée pendant de nombreuses années2, n’inclut pas l’interaction entre le client et la travailleuse, mentionnant simplement que la prostituée s’offre à quantité d’hommes.
Enfin, la prostitution est abordée comme faisant partie d’un tout sociétal. Elle est en fait stigmatisée, car déviante de la norme du mariage monogamique comme l’indique Everett Hugues. Selon ce sociologue nord-américain, inspirateur de l’École de Chicago, la « prostitution, antique institution, n’est qu’un des dispositifs organisés permettant de compenser le mauvais fonctionnement du système de sélection des partenaires »3. Ce dysfonctionnement s’exprime de deux façons : une mauvaise répartition numérique – pas assez de femmes pour les hommes célibataires sur le marché – et les problèmes de compatibilité sexuelle au sein des couples unis par le sacro-saint mariage. En résumé, la prostitution est un mal nécessaire, permettant « aux déviants » de rester dans les normes imposées par la société. Et c’est justement là que le bât blesse. Pourquoi n’existe-t-il pas une réelle remise en question sur le comportement de ces déviants, les hommes. Et pourquoi l’homme serait-il l’unique consommateur de sexe tarifié ? Car la prostitution n’est pas l’apanage des femmes, contrairement aux affirmations de Lombroso. La prostitution masculine existe elle aussi et il n’est pas question de la renier. Mais alors que les recherches sur le statut de la péripatéticienne abondent, celles traitant du catin ne suscitent pas les intérêts déchaînés des chercheurs.
Peut-être la prostitution masculine est-elle souvent reliée à l’homosexualité dans l’inconscient populaire, comme en témoignent les propos d’un commerçant du Palais-Royal à Paris en 1872 : « Cette hideuse prostitution est le fait de véritables putains mâles qui en remontreraient aux habitants de Sodome. Ils ont un comportement que réprouve notre morale »4. Apparemment, lorsqu’un homme se prostitue, la morale est menacée, alors que la femme prostituée permet au contraire de la sauvegarder, absorbant les comportements déviants. Le putain est réprimandé par les mœurs, la fille de joie en est la bonne gardienne…
Finalement, que ce soit l’homme ou la femme qui se prostitue, et le rôle qu’il ou elle endosse respectivement, n’y a-t-il pas lieu de débattre autrement de la prostitution? N’est-il pas étonnant que la société permette, par l’intermédiaire de quelques explications farfelues, la location de corps humains à des fins sexuelles ? La régulariser comme en Suisse, ou la sécuriser grâce à des sexboxes situées en dehors de la ville la rendrait-elle plus légitime, plus tolérable ? Alors qu’il existe foule de programmes de réinsertion pour les personnes défavorisées (les réfugiés politiques, les chômeurs, les malades chroniques), aucun programme de réorientation professionnelle n’existe à ma connaissance pour les employés du sexe tarifé.
Comme le dit si bien Johann Wolfgang von Goethe : « la tolérance ne devrait être qu’un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer c’est offenser. »
[1] PRYEN, Stéphanie, La prostitution : analyse critique des différentes perspectives de recherche, in Déviance et société, Vol. 23, No 4, 1999, p.451.
[2] Ibid., p. 453.
[3] Ibid, p. 456.
[4] Voir l’ouvrage de Nicole Canet, Hôtels Garnis : Garçons de joie : prostitution masculine : lieux et fantasmes à Paris, de 1860 à 1960, Edition Au Bonheur du Jour, 2012.
Réponse extraordinaire ;) Mon commentaire vous explique la position Suisse, si cela vous dérange et que vous portez la nationalité…