Préambule
Musique avant tout. Et paroles évidemment. Ni clash, ni Charlie Hebdo à l’horizon. Pour ça on vous laisse aller sur Instagram et/ou sur les sites de médias en quête de buzz qui de toute façon partagent les mêmes « infos », avec ou sans l’AFP finalement. Ici, il est question de Rap avec un grand R. Et comme Booba alias Elie Yaffa semble apprécier l’emploi du passé simple dans son 7ème album solo (D.U.C, déjà disque d’or), on s’est dit qu’on allait faire honneur à ce noble temps, si rarement utilisé de nos jours. #BackToThePast
Album Vivant 2.0
Les différents extraits de D.U.C, tels « LVMH », « Tony Sosa » ou « Mon Pays » – reprenant le sieur Souchon – nous avaient convaincus, et nous nous réjouissions de découvrir les autres titres. Il ne restait plus que quelques douzaines d’heures avant la date de sortie annoncée. La promotion du projet allait en grandissant, l’attente du public suivait pareille courbe. C’est alors que l’album fuita sur la Toile, en entier. D’abord tentés, nous finîmes néanmoins par nous retenir, peu fanatiques des versions leakées, parfois de qualité moindre et/ou incomplètes. Dès lors, au treizième matin du quatrième mois de la quinzième année du deuxième millénaire, lorsque la galette vit officiellement le jour, nous nous hâtâmes de l’écouter en détail. Nous visitâmes le duché de Boulogne de long en large, de fonds en combles, de fond en forme. Point déçus nous fûmes.
Comme une grande partie du public – du puriste backpacker au rate-pi à casquette U tréma – nous appréciâmes fortement le featuring avec l’une des meilleures plumes de la musique française du Rap français, messire Borsalino. Ce titre – servi par un instru de choix, rappelant d’ailleurs la collaboration entre Lunatic et Ärsenik sur la mixtape classique Sang d’Encre – fit l’effet d’une grenade à la première écoute, remplie de punchlines et prête à exploser au visage. Nous eussions peut-être aimé entendre davantage d’interaction entre les deux gladiateurs tout de même, tel un refrain commun ou un « tchi-tchi » de Lino bien placé sur une fin de phrase de B2O. Que nenni. Vingt-quatre mesures de l’un, vingt-quatre mesures de l’autre. Nous conclûmes que ces messieurs eurent craint de gâcher le morceau en livrant un refrain d’un niveau en deçà des couplets, ou en esquintant ces derniers en voulant trop y retoucher. Sage décision, a priori…
Mais « Temps Mort 2.0 » ne fut pas notre seul coup de cœur. Car nous étions de ceux qui considéraient le Rap comme une musique à part entière, capable d’évoluer avec son temps et briser les différentes barrières imposées, principalement mentales. De ceux que l’Auto-tune et les beats à consonance Trap – présents sur une bonne partie des titres dans D.U.C – ne rebutaient guère. De ceux pour qui les expérimentations rythmiques et mélodiques méritaient d’être louées en tant que prises de risque, preuves d’une ouverture d’esprit certaine plutôt que trahisons au sacrosaint Boom-bap. Dans cette perspective, le reggaetonesque « G-Love » invitant la star portoricaine Farruko, le krumpesque « Billets Violets » ou le dubstepesque « Loin d’Ici » constituèrent bel et bien des essais transformés.
Nous retrouvâmes d’ailleurs cette volonté de s’ouvrir du côté des autres featurings de l’album. Sur une vingtaine de titres, nous pûmes au total compter neuf invités. Pléthore d’intervenants en provenance de divers horizons, permettant en outre une réelle internationalisation de l’opus. En effet, à côté du français (évidemment), nous entendîmes encore de l’anglais, de l’espagnol, du yardie ou patois jamaïcain, et du créole, respectivement guadeloupéen et haïtien.
Théorie des Cycles’zer
Tous ces éléments nous permirent de confirmer une théorie que nous avions développée plusieurs années auparavant déjà : depuis un certain temps, Booba fonctionnait de manière cyclique. Un album sur deux, celui-ci s’ouvrait plus au niveau musical, tentant de nouvelles choses, collaborant avec une multitude d’artistes – producteurs et chanteurs – et parlant ainsi à un public plus large. Ce fut le cas de Ouest Side, référence en matière d’expérimentations musicales (#CouleurEbène). Ce le fut moins pour l’opus suivant, 0.9, auquel beaucoup reprochèrent de s’enfermer dans un genre : le Dirty South autotuné. Ce le fut à nouveau pour Lunatic, où la variété d’un beat à l’autre sauta aux oreilles et où des titres comme « Ma Couleur » ou « Comme une Etoile » repoussèrent certaines limites. Ce ne le fut (presque) pas du tout pour Futur et sa réédition, produits majoritairement par la même équipe de beatmakers – Therapy Music – et qui de ce fait sonnèrent peut-être un brin trop uniformes. D.U.C, quant à lui, impliquait la participation de treize producteurs différents, gagnant par conséquent en pluralité sans toutefois perdre en cohérence. Comme évoqué plus haut, sur moult sons nous fûmes agréablement surpris.
Back to the Past Simple
Sur moult paroles également. Car si B2O n’était pas vraiment de ceux qui aimaient renouveler leur panel de thématiques abordées, il fallait tout de même reconnaître que chacun de ses disques avait apporté, d’une manière ou d’une autre, son lot de nouveautés textuelles. Principalement dans la forme. Pour Futur par exemple, nous parlâmes en détail de la Grammaire du Futur, cette technique inventée par Booba lui-même – mais baptisée ainsi par nos soins – consistant à supprimer les déterminants, pour obtenir des phrases plus directes et efficaces, mais toujours parfaitement intelligibles. Pour la réédition Futur 2.0, nous présentâmes également le #SupaDupaFlow, figure stylistique purement rapologique à mi-chemin entre la métaphore et la comparaison, dont Booba ne fut point le créateur mais un des utilisateurs les plus doués. Ci-dessous un exemple de punchline regroupant les deux, Grammaire du Futur ET Supa Dupa Flow, tirée de « Parlons Peu » :
B**** la police, #Saïd, égorge MC’s, #Aïd
Et pour D.U.C alors, quelle nouvelle acrobatie lyricale ? En écoutant attentivement l’album et en scrutant minutieusement les textes, nous remarquâmes une chose : Booba appréciait désormais employer le passé simple (ou passé défini). Nous repérâmes effectivement plusieurs endroits où le rappeur utilisait ce temps. Ce fut notamment le cas dans « Tony Sosa », à 2’26 :
Et les enfants, les enfants de p***** s’accumulèrent !
Et à 3’05 (avec de la Grammaire du Futur en prime) :
Ils eurent Glock dans la boca, jamais ils n’articulèrent
Impressionnant, tout l’argent qu’ils manipulèrent !
Nous retrouvâmes également ce #BackToThePastSimple dans le son « Bellucci », en featuring avec – ironie du sort ? – Future, rappeur d’Atlanta. À 1’12 :
J’eus Alzheimer quand ils me questionnèrent
Enfin, nous entendîmes à nouveau cette technique dans le titre « OKLM », B2O commençant directement avec un récit au passé, à 0’36 :
92 izi, à coups de fusil se régla la querelle
Si Booba n’était évidemment pas l’inventeur du passé simple, l’utilisation de ce temps à différentes reprises sur plusieurs chansons dans son dernier album nous laissa penser qu’il s’agissait bien là de sa nouvelle technique. Méthode d’autant plus originale que le passé défini était généralement peu ou prou utilisé dans le langage courant, remplacé le plus souvent par le passé composé si besoin fut. Par extension, ce temps s’entendait aussi plus que rarement dans les textes de musiques modernes, Rap compris. De la sorte, ces différents passages de D.U.C conjugués au passé simple prirent l’allure de langage soutenu, voire distingué, contrastant brillamment avec les vulgarités présentes aux quatre coins des textes.
Mais alors, cet emploi répété du passé simple ne put-il pas sembler paradoxal, voire contradictoire, pour quelqu’un qui s’était lui-même constamment revendiqué du futur ? Eh bien non, ce n’était que pure logique en vérité. Booba étant dans le turfu, il parlait en effet de ses divers succès et méfaits au passé, tout simplement. De telle manière, les punchlines concernées semblèrent presque former des bribes de récits épiques du Moyen-Âge. Une impression de passé lointain renforçant en miroir celle que l’artiste – au moment d’écrire puis rapper ces lignes – se trouvait vraiment à des années-lumière de notre époque !
Once Again
Dès lors, la conclusion suivante s’offrit à nous : D.U.C était un très bon album, réellement varié en termes de musique et d’artistes invités. Moins sur le plan thématique des paroles, le fond, certes, mais tout de même joliment diversifié au niveau formel. L’emploi répété du passé simple venant ainsi s’ajouter à son arc – déjà doté de nombreuses cordes, telle une véritable harpe –, le poète Elie Yaffa confirma une fois encore son statut de grand lyriciste, capable de renouveler ses techniques d’écriture à chaque opus. Nous goûtâmes particulièrement à cette « nouvelle » méthode… En espérant que vous fissiez de même !
José Geos est désormais animateur sur COULEUR 3 (Radio Télévision Suisse), dans l’émission DownTown Boogie. Retrouvez ci-dessous une Punchline de Booba qu’il a décortiquée, pour sa chronique #POW aka Punchline Of the Week !
Vous pouvez aussi écouter l’émission entière « spéciale Booba » du 15 Avril dernier. RDV chaque Mercredi sur COULEUR 3, 22h-23h, pour une heure de musique et actualité Hip-Hop !
Réseaux sociaux : @genevaGEOS / #BoobaPasséSimple
Et en bonus, voici ci-dessous une liste de punchlines contenant de la Grammaire du Futur ou du Supa Dupa Flow, issues de D.U.C.
Punchlines #GrammaireDuFutur
D.U.C descend armé du bananier, Très mal accompagné /
Plusieurs fois condamné, J’me souviens plus d’toi, négro, j’fume trop d’amné’ /
(D.U.C)
J’fais trop d’oseille, mon négro, j’fais trop d’oseille,
J’vais devoir changer de coffre /
Rien à foutre de ma Rolls,
Couilles modifiées, dures comme balles de golf /
(D.U.C)
———
J’suis cocaïne, t’es somnifère /
Mon Dieu, comment autant de faux négros prolifèrent /
(Bellucci)
———
Le rap français, coupé en 2, comme Porsche GT dans un trou d’arbre /
J’suis sur Pluton, t’es sur France 2, F*ck un greffier, f*ck un gendarme /
Déployez Plan Épervier, j’suis un gangster, F*ck un vandale /
92 izi, faut te méfier, j’ai un Uzi, f*ck un Van Damme /
(Loin d’Ici)
Clic-clac, personne n’insiste, gros oid’: c’est mon insigne /
On a or noir comme on a l’shit change de trottoir, c’est mieux ainsi /
(Loin d’Ici)
———
Bleu, blanc, rouge: sur leur insigne, j’leur ris aux nez /
Bateau d’esclaves n’est jamais cambriolé /
(Caracas)
J’suis Maître Renard, t’es belette, belette /
J’suis plus AK 7-4 Russian, que SkyRoulette, Roulette /
(Caracas)
———
J’suis diamant d’Anvers, t’es Swarovski /
Mon amour pour cette terre n’est pas plus grand que Sarkozy /
(Mon pays)
———
J’suis un braquo, t’es délit mineur, à qui j’fais la guerre? Faudra qu’il meure /
J’suis paro comme Teddy Riner, j’suis sous ton balcon comme Val Kilmer /
(LVMH)
———
Peine et amour, amour et douleur /
Si ça vaut le coup je souffrirai comme gens de couleur, mon coeur /
(G-Love)
———
Tu veux une leçon de Rap, j’vais t’en donner une forte,
Billets violets ouvrent 1001 portes /
Le trafic vient d’Afrique en 1001 sortes,
Bugatti vaut mieux que 1001 Porsche /
(Billets Violets)
Langues de p****** veulent me lécher le corps,
Bateau pirate vient de quitter le port /
Bruit et l’odeur, #JacquesChirac,
Double moteur: Jack, Pirates /
Vitesse lumière au compteur,
J’ai petit selfie de la c***** à ta sœur /
J’ai sombre selfie de ta grand-mère aussi,
ne devient pas mafieux qui mange cannellonis /
(Billets Violets)
———
Les portes sont fermées, j’suis habitué, #MaîtreLebras: acquitté /
Faudra te faire à l’idée, J’ai oseille pour l’éternité /
(Ratpis)
———
Rien à gratter, sauf maladies, j’ai fait le tour de leurs fesses /
S.E.G.P.A for life, j’ai fait le tour de leurs textes /
(Temps Mort 2.0)
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Pour dénoncer atrocités, j’attends pas qu’ça passe à la télé /
Ma life est d’humeur palestinienne, bien avant toi, d’puis « Destinée » /
(3G)
Je n’fais la guerre qu’aux rappeurs, ne cautionne la mort d’aucun enfant /
Je suis lion de la Teranga, f*ck la souris, f*ck l’éléphant /
(3G)
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Comme dirait l’vieux, t’es plein de foutaises /
J’ai Dieu / double Uzi qui me protègent /
(La Mort Leur Va Si Bien)
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Non, négro, je n’te connais pas, si crimes tu n’commets pas /
Drapeau pirate sous les bras, on se reconnaîtra /
(OKLM)
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Punchlines #SupaDupaFlow
J’suis à la xeu-bo, t’es à la Zumba, Jeu d’jambes, #OscarDeLaHoya /
Ton nom d’mi-fa c’est la hchouma, Balles dans la tête’zer, pas de coup bas /
(Tony Sosa)
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J’ai le AR, j’ai le ski mask, chaînes en O.R sur le primate /
J’suis la Stan Smith chez Adidas, J’monte à 300, #Léonidas /
(Bellucci)
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Langues de p****** veulent me lécher le corps,
Bateau pirate vient de quitter le port /
Bruit et l’odeur, #JacquesChirac,
Double moteur: Jack, Pirates /
(Billets Violets)
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Les portes sont fermées, j’suis habitué, #MaîtreLebras: acquitté /
Faudra te faire à l’idée, J’ai oseille pour l’éternité /
(Ratpis)
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Calvaire! Ouh la la! Danse sous les impacts de balle /
Renoi c’est pas du Funana, #CapVert /
(Mr. Kopp)
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Des grands j’ai l’étoffe, j’ai l’cran aux appels d’offre /
J’réponds, j’t’écrase des verres sur l’crâne, #MazelTov /
(Lino, Temps Mort 2.0)
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J’éclate tout, sa mère l’économie, #IG tu follow me /
F********, bouche pleine de calomnies, #TariqRaklawis /
Le f*** rempli de saloperies, #SaïdTaghmaoui /
Sac mortuaire Ünkut: ta panoplie, B***** swallow me ! /
(3G)
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Fin de carrière soudaine, #ACMilan, d’mande à Constant /
Mon marabout est un Tchétchène, j’aide ceux que j’aime depuis longtemps /
(Loin d’Ici – Twinsmatic Version)
Chapeau pour l’article. Comme toujours bien écrit et consistant. Perso,je suis pas forcément contre reconnaître certaines qualités d’ « entertainment…