Politique Le 26 novembre 2015

De Bush à Hollande : mêmes discours, même combat

0
0
De Bush à Hollande : mêmes discours, même combat

Le président français François Hollande après les attentats de Paris, George W. Bush en 2007 © Elysée et United States Navy (photomontage Jet d’Encre)

Le soir du 11 septembre 2001, George W. Bush prenait la parole à la télévision pour s’adresser, depuis le Bureau ovale, à des millions d’Américains sous le choc. Par ce discours, il tenta de rassurer ceux qui avaient vu le pays le plus puissant du monde soudain touché en plein cœur. Quelques jours plus tard, le 20 septembre, face à l’ensemble du Congrès des Etats-Unis, il fit un plus long discours qui développa les éléments déjà esquissés le jour des attentats : l’analyse de la cause des attaques, les modalités du combat futur contre le terrorisme et le rappel de la solidité de son pays.

Les discours prononcés par le président français François Hollande en réaction aux attaques terroristes du 13 novembre 2015 n’ont pas été sans rappeler ceux de l’ancien président américain. Plusieurs médias ont relevé cette similarité, parfois avec cynisme, parfois avec gravité1. Car si les techniques rhétoriques de ces deux chefs d’Etat sont effectivement très semblables, il en va de même pour la situation dans laquelle se sont trouvées leurs deux nations : attaqués tous deux sur leur propre sol, ces pays politiquement stables et démocratiques ont dû trouver à la fois une réponse sécuritaire pour leurs citoyens et une stratégie offensive contre les assaillants. Dans le cas des Etats-Unis, l’on se souvient que trop bien de la longue guerre en Irak menée par Bush. L’instabilité engendrée par l’intervention américaine devint ainsi un véritable terreau pour le développement d’activités terroristes, à l’image du groupe Etat islamique. Quant à la politique sécuritaire américaine, elle changea de façon immédiate et radicale, au point que le pays s’en vit transformé : la population américaine dut apprendre à vivre dans la peur et la prudence, sacrifiant une belle part de son insouciance à davantage de surveillance et de constantes mises en garde du danger imminent.

Il est donc légitime de se demander aujourd’hui si les Français, confrontés à une vulnérabilité similaire, s’apprêtent à prendre un chemin analogue aux Américains, d’autant plus lorsque les discours présidentiels français (du jour même des attentats, puis de celui présenté au parlement) présentent des ressemblances troublantes avec ceux de George W. Bush. A quel point François Hollande s’inscrit-il dans la même démarche ? Quels sont les points communs dans leur adresse à la nation? C’est ce que nous essaierons d’éclairer ici, à la lumière de leurs discours respectifs.

 

La terminologie : le mal et les barbares

Les discours présidentiels qui ont immédiatement suivi les attentats sont tous deux extrêmement courts et concis. Malgré cette brièveté, tous les éléments fondateurs de la politique et du discours institutionnel qui suivront sont déjà présents en filigrane. C’est le cas notamment de l’identification du groupe qui les a attaqués.

La stratégie référentielle déployée par Bush pour désigner les terroristes du 11-Septembre est bien connue, en raison des lourdes critiques qu’elle a suscitées, notamment en Europe. Manichéenne, elle s’appuie sur une conception religieuse qui distingue de façon dichotomique le bien et le mal. Ainsi le président américain parla-t-il le 11 septembre 2001 de mauvais, méprisables actes de terreur, d’actes mauvais2, et affirma que son pays avait vu le mal – le pire de la nature humaine. Deux groupes s’affrontent donc : le bien contre le mal, mais aussi la lumière contre l’obscurité. Afin d’illustrer la situation dans laquelle son pays se trouvait, Bush cita en effet les psaumes bibliques suivants : Quand je marche dans la vallée de l’ombre et de la mort, je ne crains aucun mal, car Tu es avec moi.3 Il reviendra plusieurs fois sur cette notion d’obscurité, notamment dans son discours au parlement, en faisant état d’une sombre menace de violence. Ce champ sémantique de la lumière est aussi utilisé par François Hollande, par exemple lorsqu’il rappelle que la France est une lumière pour l’humanité et quand elle est atteinte, c’est le monde qui se trouve un temps dans la pénombre, et qu’il en va du rayonnement de la France dans le monde4 .  

Il utilise en outre d’autres termes, relatifs au niveau d’éducation et de civilisation d’un peuple, pour identifier les terroristes et s’en distancer : c’est un acte d’une barbarie absolue, déclare-t-il le 13 novembre5, renchérissant plus loin que la France sera impitoyable à l’égard des barbares et Daech, et enfin qu’elle triomphera de la barbarie.

Les deux présidents recourent évidemment aussi à plusieurs déclinaisons du substantif terrorisme pour qualifier les auteurs des attentats. Pour le président Bush, cet aspect terroriste réside dans la portée massive des actes commis, qui ont fait près de 3000 morts, et au caractère intentionnel de l’attaque (séries d’actes terroristes délibérés et mortels ; actes de meurtre massif) ; Hollande, lui, dénonce leur mode opératoire. Ces moyens les plus vils sont, selon lui, tous relatifs à la lâcheté, à la honte et à une certaine bassesse morale.6

Si les auteurs des attentats sont rapidement qualifiés d’ennemis dans les deux situations, ils ne le sont qu’à demi-mot dans le premier discours. Le 11 septembre, le président Bush se contente de comparer le futur traitement des terroristes à celui administré à d’autres adversaires des Etats-Unis (L’Amérique a vaincu d’autres ennemis auparavant et nous ferons la même chose cette fois). Or, dans son discours du 20 septembre 2001, lesdits terroristes deviennent de véritables ennemis de la nation : ce sont nos ennemis, dit Bush, notre ennemi, et plus généralement des ennemis de la liberté. Il en va de même dans le deuxième discours de Hollande, où l’autre est identifié également comme l’ennemi, mais de façon moins personnelle. Ainsi évoque-t-il une guerre face à un ennemi nouveau, estimant que l’ennemi a franchi une nouvelle étape. La détermination de l’adversaire est faite de façon plus subtile : plutôt que de le définir comme un ennemi de la France, Hollande préfère affirmer qu’il s’agit d’un ennemi de l’Europe. Or, un certain flottement demeure, visible notamment dans cette reformulation successive : Notre ennemi, notre ennemi en Syrie, c’est Daech.

Remarquons par ailleurs que George W. Bush s’attache dans une partie conséquente de son discours à distinguer clairement les extrémistes et les adeptes de la religion musulmane : il relie par exemple l’idéologie terroriste aux autres idéologies meurtrières du XXe siècle telles que le fascisme, le nazisme et le totalitarisme. Voici même ce qu’il dit de l’islam : Ses enseignements sont bons et pacifiques, et ceux qui commettent le mal au nom d’Allah blasphèment le nom d’Allah. Les terroristes sont des traîtres à leur propre foi, essayant en fait de prendre en otage l’islam lui-même. L’ennemi de l’Amérique n’est pas nos nombreux amis musulmans ; ce n’est pas nos nombreux amis arabes. Notre ennemi est un réseau de terroristes radicaux.

 

La cause des attentats terroristes : leur haine de la liberté 

Les deux chefs d’Etat livrent chacun une analyse des causes des attentats dans leurs discours respectifs. Selon eux, les attaques sont dues exclusivement à la haine des terroristes pour la liberté dont jouissent respectivement les Etats-Unis et la France.

En effet, la toute première considération de Bush sur les attentats du 11-Septembre est la suivante : nos compatriotes, notre mode de vie, notre liberté même ont été attaqués. Il développera cette thématique de la liberté dans son discours ultérieur, désignant les terroristes précisément comme des ennemis de la liberté. Selon lui, les terroristes détestent les Américains pour cela même : Ils haïssent ce qu’ils voient ici dans cette chambre – un gouvernement élu démocratiquement. Leurs dirigeants se désignent eux-mêmes. Ils haïssent nos libertés – notre liberté de religion, notre liberté d’expression, notre liberté de voter et de s’assembler et d’être en désaccord les uns avec les autres. Il n’hésite pas à le proclamer d’office : Nous sommes la balise la plus brillante pour la liberté et l’opportunité dans le monde. Et personne n’empêchera cette lumière de briller.

François Hollande attribue lui aussi la cause des attentats à une haine de la liberté française et, surtout, une haine pour l’essence même de la France. C’est un acte de guerre, dit-il, qui a été commis contre ce que nous sommes : un pays libre qui parle à l’ensemble de la planète… et si le groupe Daech les combat, c’est parce que la France est un pays de libertés, parce que nous sommes la patrie des droits de l’homme. Si le président français identifie la liberté française comme la cause de la haine terroriste durant tout son discours, il ne mentionne qu’extrêmement brièvement une possible autre cause à de tels agissements : Ces attentats poursuivent un objectif bien précis : […] nous faire pression, pour nous empêcher là-bas, au Moyen-Orient, de lutter contre le terrorisme. Cette phrase est la seule et unique référence à un conflit géopolitique, dans un discours long de quarante minutes.

De façon générale, aucun des deux discours du président français ne propose d’autres causes aux attaques terroristes, contrairement à Bush qui mentionnait notamment l’aversion d’Al-Qaïda pour Israël ou leur volonté de renverser certains gouvernements7. Aucune mise en perspective géopolitique, historique ni sociologique n’est avancée par Hollande. Le président français semble même comprendre le meurtre des victimes non pas comme un moyen, mais comme une fin en soi : La France que les assassins voulaient tuer, c’était la jeunesse dans toute sa diversité. La plupart des morts n’avaient pas trente ans. […] Quel était leur seul crime ? C’était d’être vivants. Or, affirmer que la jeunesse s’est fait tuer parce qu’elle était vivante, c’est sous-entendre que c’était là le seul motif des terroristes. L’analyse livrée est unilatérale, extrêmement simpliste et instaure deux groupes antinomiques : les adeptes de la liberté et les pourfendeurs de la liberté. La liberté serait donc le seul axe qui séparerait ces deux groupes… Un concept d’ailleurs initié par Bush lui-même : La liberté et la peur sont en guerre, avait-il sommairement analysé.

 

La riposte guerrière

Une des particularités des deux discours présidentiels est de considérer d’emblée les attaques terroristes comme une déclaration de guerre. Le 11 septembre, les ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays, avait déclaré Bush. C’est un acte de guerre, dit Hollande en ouverture de son discours le 13 novembre ; La France est en guerre, reformule-t-il le 16 novembre en guise d’introduction. En conséquence, la réaction envisagée par les chefs d’Etat est d’envergure, d’ordre belliqueuse et pensée selon deux axes : la protection des citoyens et la riposte militaire.

Dans les deux cas, la protection du territoire est annoncée comme totalement prise en charge par le président lui-même, qui s’exprime à la première personne pour la première fois dans son discours : J’ai mis en place les plans de réponse urgente de notre gouvernement, dira Bush ; J’ai pris un décret pour proclamer le deuil national pour trois jours, a dit Hollande. Une posture entreprenante d’un président, visant à rassurer sa nation. La protection des citoyens est invoquée pour justifier toutes les mesures qui seront prises par la suite : Nous ne sommes pas immunisés contre l’attaque, prévenait Bush, nous prendrons des mesures de défense contre le terrorisme pour protéger les Américains. Hollande énonce lui aussi la même finalité : Ma volonté, assure-t-il, c’est de mettre toute la puissance de l’Etat au service de la protection de ses concitoyens.

Suivent donc les mesures annoncées. George W. Bush avertit dès le 11 septembre que sa riposte sera d’ordre martial et qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une guerre à gagner contre le terrorisme. Parmi les organes qui seront utilisés, il y a l’outil militaire (Notre armée est puissante, et elle est prête) et le renforcement des services de renseignement. Il en va de même pour la France, qui annonce la guerre contre les terroristes comme une nécessité universellement établie à laquelle elle se contente de répondre : Aujourd’hui, il faut plus de frappes. Nous en faisons. Plus de soutien à tous ceux qui se battent contre Daech. Nous l’apportons, nous, la France.

Non seulement la détermination guerrière ne fait aucun doute, mais en plus l’opiniâtreté est d’emblée annoncée : Je n’oublierai pas cette plaie faite à notre pays ni ceux qui l’ont infligée. Je ne renoncerai pas ; Je ne me reposerai pas, promettait Bush ; il n’y aura dans cette action aucun répit et aucune trêve, assure Hollande en écho.

Et alors que Bush avertissait les Américains de la longueur que pourrait prendre la riposte guerrière (Les Américains ne devraient pas s’attendre à une bataille, mais à une longue opération, différente de toutes les autres que nous ayons jamais vues), Hollande fait de même : Dans cette guerre qui a commencé il y a plusieurs années, nous avons bien conscience qu’il y faudra du temps et que la patience est tout aussi exigeante que la durée et la dureté avec laquelle nous devons combattre. S’agit-il d’une volonté de montrer sa prévoyance ou un aveu anticipé d’impuissance ? Dur de le dire. Dans tous les cas, il semble bien reprendre le flambeau de la guerre commencée par le gouvernement Bush.

 

Pour ou contre la guerre : le faux dilemme

Dans les deux discours présidentiels, Bush et Hollande présentent la guerre contre le terrorisme non seulement comme une nécessité, mais comme une cause commune. Commune à leur nation, mais aussi au reste de la planète, laissant peu de place à toute opposition. Bush avait clairement indiqué que le monde était désormais scindé en deux clans : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes, avait-il affirmé. François Hollande procède de la même façon, mais à nouveau plus subtilement. En arguant que les terroristes s’attaquent aux valeurs humanistes et européennes, il désamorce toutes les critiques adverses à venir : Chers compatriotes, ce que nous défendons, c’est notre patrie, mais c’est bien plus de cela. Ce sont des valeurs d’humanité […] et je vous appelle à cette unité indispensable. Car comment dès lors être un compatriote français sans être contraint à défendre sa patrie de la façon dont Hollande le demande ? Bush avait procédé de la même façon, en affirmant qu’il s’agissait d’un combat pour tous ceux qui croient au progrès et au pluralisme, à la tolérance et à la liberté, et qu’une attaque sur un est une attaque sur tous. Cette unité demandée par Hollande, globalisante et homogène, n’est donc pas si différente de celle réclamée par Bush, d’autant plus lorsqu’elle s’étend à la planète tout entière : Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme djihadiste qui menace le monde entier, et pas seulement la France, affirme Hollande.

Ainsi, cette référence à la liberté rend à nouveau caduques toute tentative d’opposition et toute résistance à la nouvelle politique mise en place. La causalité entre aspiration à la liberté et riposte guerrière est d’une simplicité effarante : Nous éradiquerons le terrorisme parce que nous sommes attachés à la liberté, explique Hollande. Or il ne s’agit en vérité de rien d’autre qu’un faux dilemme : les deux options sont présentées comme les seules possibles et font ainsi fi de toutes les autres possibilités qui auraient pu s’exprimer.

 

Changer la Constitution

La réponse des chefs d’Etat américain et français ont ceci d’extrêmement similaire que, dans leur discours adressé à l’ensemble du Congrès, ils proposent tous deux un changement de la Constitution. Un seul événement ponctuel les conduit donc tous deux à modifier les textes législatifs régissant les codes de la vie dans leur société.

Nous savons aujourd’hui à quel point l’assertion de Bush le 20 septembre 2001 (Nous orienterons toutes les ressources à notre disposition – tous les moyens de diplomatie, tous les outils de renseignement, tous les outils de renforcement de la loi […] – pour l’interruption et la défaite de ce réseau de terreur) a été mise à exécution. La constitutionnalité de la loi antiterroriste Patriot Act8, qui permit la détention sans limite et sans inculpation de toute personne suspecte, fut fortement sujette à débat, en raison du vaste pouvoir pourvu aux agences de renseignement américaines.9 Le président François Hollande semble bien averti de cette dérive, puisqu’il martèlera à plusieurs reprises dans son discours vouloir mettre toute la puissance de l’Etat au service de la protection de ses citoyens, mais en étant pleinement dans un Etat de droit et sans rien perdre de ce que garantit l’Etat de droit. Cette prudence indique bien une envie de se prémunir contre ce qui a été nuisible au gouvernement Bush, notamment au niveau de la réception mondiale de ses agissements. Cependant, cela n’empêche pas Hollande de proposer plusieurs changements : d’une part, un projet de loi pour prolonger l’état d’urgence et adapter son contenu à l’évolution des technologies et des menaces (une loi restée inchangée depuis 195510) ; d’autre part, un nouveau régime constitutionnel pour permettre à l’Etat de mieux agir contre le terrorisme de guerre – toujours, selon Hollande, conformément à l’Etat de droit ainsi qu’à [leurs] règles fondamentales et à [leurs] engagements internationaux. Une attention toute particulière, nous le voyons, accordée au caractère « légal » de ces propositions – mais qui n’en résulte pas moins en un changement législatif extrêmement rapide.

 

L’argument de l’histoire

Il est intéressant de noter que les deux présidents ont recours au même argument d’autorité pour assurer à leur population respective que justice sera faite. Tous deux affirment leur puissance par le rappel de l’histoire et des nombreuses victoires obtenues ; en d’autres termes, leur promesse de venir à bout des groupes terroristes n’est basée sur rien d’autre que leurs capacités belligérantes passées. George W. Bush le déclare déjà le 11 septembre : L’Amérique a vaincu d’autres ennemis auparavant et nous ferons la même chose cette fois. François Hollande exprime la même idée : Les terroristes croient que les peuples libres se laissent impressionner par l’horreur. Il n’en est rien. Et la République française a surmonté bien d’autres épreuves. Elle est toujours là, bien vivante, et ceux qui ont entendu la défier ont toujours été les perdants de l’histoire. Il en sera de même, cette fois-ci encore. En guise de conclusion de son discours, il certifie que la France triomphera et la raison de sa confiance n’est autre que celle-ci : L’histoire nous le rappelle et la force que nous sommes capables de mobiliser aujourd’hui nous en convainc.

La certitude avec laquelle ces chefs d’Etat affirment leur suprématie est pour le moins présomptueuse. Ce n’est pas seulement une menace, mais une déclaration de puissance au regard de l’histoire, plus large et globalisante, de l’humanité. Le président Hollande, en affirmant que la France a toujours été victorieuse par le passé, établit par là-même encore une fois deux groupes, l’un puissant et l’autre faible, à l’image du passé colonial et impérial de la France : les gagnants et les perdants. Si la dichotomie à laquelle recourt Hollande n’est pas de nature religieuse, comme Bush, elle n’en est pas moins extrêmement prégnante et manichéenne.

 

Le lapsus révélateur de Hollande

A quel point le président Hollande est-il influencé par les attentats du 11 septembre ? A quel point l’Europe a-t-elle été marquée par le traumatisme américain et sa riposte invasive et guerrière ? A l’époque où les Etats-Unis décident de lancer l’opération Iraqi Freedom en 2003, la France s’oppose vivement à son projet et refuse de soutenir cette initiative militaire11. Cette défection avait suscité un puissant sentiment antifrançais aux Etats-Unis, particulièrement au vu de l’intervention américaine qui avait contribué à sauver l’Europe du nazisme.

Le discours de François Hollande semble bien conscient de cette réalité et d’une nécessité à redorer son alliance avec les Etats-Unis, le seul pays qu’il mentionne spécifiquement dans son discours (Je remercie également nos alliés américains qui ont utilement prêté leur concours à cette opération […].)  De plus, les différents points communs que nous avons énoncés témoignent d’une rhétorique et d’une stratégie élaborées en regard de celles américaines. A tel point que, quand le président français veut rappeler la date des attentats contre Charlie Hebdo, le magasin casher et des policiers (le 7 janvier 2015) au milieu de son discours, il laisse glisser ce lapsus ô combien révélateur : Face aux actes de guerre qui ont été commis sur notre sol, dit-il, et qui viennent après les attentats du 11 – du 6, 7 et 8 et 9 janvier – et tant d’autres crimes commis […], nous devons être impitoyables12. Une confusion que le président tente bien de rattraper, mais qui indique à quel point encore aujourd’hui l’ombre du 11-Septembre est présente.

 

La particularité oubliée de la France : le danger venu de l’intérieur

Malgré les diverses similarités que nous avons passé en revue, une différence fondamentale distingue la situation dans laquelle se trouvèrent les Etats-Unis le 11 septembre 2001 de celle qu’affronte aujourd’hui la France. Les terroristes qui avaient attaqué les Etats-Unis étaient étrangers à celle-ci. En revanche, la majorité des kamikazes qui ont agi le 13 novembre 2015 dans les rues de Paris étaient européens13 et au moins cinq d’entre eux étaient de nationalité française. Pourtant, ce fait n’est quasiment pas relevé dans le discours de Hollande, qui évoque, dans la lignée américaine, des interventions uniquement à l’étranger.

En effet, le président français martèle que c’est en Syrie que la France intensifiera ses opérations ; qu’il a donné l’ordre de détruire le fief du groupe Daech à Raqqa ; que le porte-avion Charles de Gaulle se rend[ra] en Méditerranée orientale, ce qui triplera [leurs] capacités d’action.  Et puis, cette phrase pour le moins surprenante, lorsque l’on connaît l’origine des terroristes du 13 novembre : il s’agit de nous protéger pour éviter que viennent sur notre territoire – comme ce fut le cas vendredi – des combattants étrangers pour mener des actes terroristes. La contradiction dans le discours de Hollande est flagrante. Il affirme en effet peu après le contraire : Nous le savons et c’est cruel que de le dire. Ce sont des Français qui ont tué vendredi d’autres Français. Il y a vivant sur notre sol des individus qui, de la délinquance passent à la radicalisation puis à la criminalité terroriste. Parfois ils sont allés combattre en Syrie et en Irak. Difficile dès lors de comprendre l’ambiguïté du discours de Hollande, qui reconnaît lui-même que certains des kamikazes étaient français et que leur séjour au Moyen-Orient n’est pas automatique (l’adverbe temporel parfois l’indique bien). Pourtant, il promet une mobilisation pendant encore longtemps sur le front extérieur comme sur le front intérieur : mais quelle est-elle sur le front intérieur ? Une chose est certaine : toutes les mesures intérieures proposées sont de nature répressive et aucune ne parle de prévention. Elles comprennent la modification de la loi du 3 avril 1955 sur les technologies, l’assignation à résidence, les perquisitions administratives, la déchéance de la nationalité française ; mais aussi la création de milliers d’emplois supplémentaires pour alourdir les peines pénitentiaires, la sécurisation du pays, le renforcement de l’administration judiciaire et douanière.

Or, la répression à l’intérieur du pays et la riposte militaire à l’extérieur constituent une mesure tactique en tous points similaires aux Etats-Unis. A la différence que la France ne paraît pas consciente d’être confrontée à une problématique bien spécifique, et qu’il ne s’agit pas pour elle d’uniquement neutraliser les groupes terroristes à l’étranger, mais de réfléchir à comment faire pour éviter que ses citoyens n’aient envie de les rejoindre. Jamais ils ne doivent réussir à abîmer l’âme française, scande martialement François Hollande. Mais parler d’âme française, c’est encore oublier que les âmes françaises sont plurielles ; c’est enfin faire fi du fait que plusieurs kamikazes étaient, eux aussi, de langue, de culture et de nationalité françaises. L’instauration de deux groupes (ils versus l’âme française) est, encore ici, incohérente.

En conclusion, force est de constater que, même si Hollande tente visiblement de se distancer par certains points de la réaction et de la politique menée par Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001, il ne fait que s’inscrire dans la continuité de celles-ci. Qui plus est, il construit de la même façon une réalité extrêmement simpliste attribuant des caractéristiques et des valeurs à deux groupes mutuellement exclusifs, rendant difficile toute tentative d’opposition à la politique qu’il s’apprête à mettre en place et qu’il présente comme la seule à même de résoudre la problématique terroriste. Ainsi, malgré les critiques faites à l’égard des Etats-Unis durant ces quatorze dernières années, il semble bien que la France va réitérer non seulement les mêmes stratégies, mais aussi la même politique d’intérieur… au risque de commettre, au final, les mêmes erreurs.

 


Bibliographie

Toutes les citations que nous avons utilisées proviennent de ces quatre discours dans leur version video et effective :

Discours Bush 11 septembre 2001 : https://www.youtube.com/watch?v=XbqCquDl4k4 ; http://www.americanrhetoric.com/speeches/gwbush911addresstothenation.htm

Discours Bush 20 septembre 2001 : https://www.youtube.com/watch?v=0wPuY5hI96U ; http://usconstitution.com/other/speeches/george-w-bushs-address-to-congress-after-911-2/

Discours Hollande 13 novembre 2015 : video disponible sur le site www.elysee.fr (la version écrite, disponible sur le site www.elysee.fr, diffère du discours effectif qui a été fait).

Discours Hollande 16 novembre 2015: video disponible sur le site www.elysee.fr (la version écrite, disponible sur le site www.elysee.fr, diffère du discours effectif qui a été fait.)

Autres ressources

http://www.lefigaro.fr/international/2013/03/20/01003-20130320ARTFIG00500-guerre-d-irak-comment-tout-a-commence-il-y-a-dix-ans.php

http://rue89.nouvelobs.com/2010/10/11/son-non-a-la-guerre-en-irak-a-coute-4-milliards-a-la-france-170466

https://www.mediapart.fr/journal/international/211115/du-11-septembre-au-13-novembre?page_article=1

http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/17/bush-en-2001-hollande-en-2015-les-discours-de-deux-presidents-face-aux-attentats_4812188_4809495.html

http://fr.euronews.com/2015/11/17/francois-hollande-wbush-meme-combat/

http://rue89.nouvelobs.com/2015/11/16/apres-les-attentats-hollande-bush-dit-262143

http://www.telesurtv.net/english/analysis/911-and-Paris-Attacks-Comparing-Bush-and-Hollande-Rhetoric-20151114-0024.html

https://chrhc.revues.org/1422

Références

1. Lire notamment les articles parus dans Le Monde, Euronews, Rue89, Mediapart. Voir les références dans la bibliographie complète.

2. Discours de Bush du 11 septembre 2001 : version vidéo https://www.youtube.com/watch?v=XbqCquDl4k4 ;  version écrite http://www.americanrhetoric.com/speeches/gwbush911addresstothenation.htm

3. Psaume 23 :4, The valley of deep darkness, Bible. https://www.biblegateway.com/passage/?search=Psalm+23%3A4&version=ESV

4. Discours de Hollande du 16 novembre 2015 : pour notre article, nous nous sommes basés sur la version vidéo du discours, disponible sur www.elysee.fr. La version écrite du discours, rendue disponible quelques jours plus tard sur le site www.elysee.fr, ne correspond pas en tous points au discours effectif qui a été fait.

5. Discours du 13 novembre 2015 : pour notre article, nous nous sommes basés sur la version vidéo du discours, disponible sur www.elysee.fr. La version écrite du discours. rendue disponible quelques jours plus tard sur le site www.elysee.fr, ne correspond pas en tous points au discours effectif qui a été fait.

6. lâchement, honteusement, violemment ; attaque ignoble ; une telle abomination

7. They want to overthrow existing governments in many Muslim countries, such as Egypt, Saudi Arabia, and Jordan. They want to drive Israel out of the Middle East. They want to drive Christians and Jews out of vast regions of Asia and Africa.

8. http://www.justice.gov/archive/ll/highlights.htm

9. http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/17/bush-en-2001-hollande-en-2015-les-discours-de-deux-presidents-face-aux-attentats_4812188_4809495.html

10. La loi n° 55-385 du 3 avril 1955, http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3237.asp

11. http://www.theguardian.com/world/2003/feb/11/pressandpublishing.usa

12. A 16 minutes environ dans le discours.

13. http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/11/16/01016-20151116ARTFIG00157-attentats-de-paris-ce-que-l-on-sait-sur-les-terroristes-presumes.php

Laisser un commentaire

Soyez le premier à laisser un commentaire

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.