Culture Le 10 février 2015

Des « nuits syriennes » hors du temps : le Festival culturel et humanitaire Layalina

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Des « nuits syriennes » hors du temps : le Festival culturel et humanitaire Layalina

Ahlam el Madina (Les rêves de la ville), film de Mohamed Malas (1984) qui sera projeté lors du festival.

L’association Layalina est née à la fois d’un sentiment d’urgence face à la crise syrienne et de l’envie de partager des aspects méconnus de la culture d’un pays aujourd’hui stigmatisé par le conflit. Dans le contexte actuel marqué par la violence de la guerre, une riche production culturelle continue d’exister et incarne une arme puissante contre la déshumanisation et l’oubli. Il s’agit ainsi de mettre en lumière, au-delà des images véhiculées quasi quotidiennement par les médias, les fragments d’une histoire fragile continuellement écrite et ré-écrite par des voix individuelles. Ces voix génèrent des récits qui s’engagent contre l’effacement et tentent de préserver ou de reconstruire des identités multiples. Artistes, cinéastes, écrivains et musiciens syriens témoignent ainsi d’une résistance marquée avant tout par le courage : celui de persister à raconter, à réfléchir et à créer, parfois au péril de leur vie.

Le terme layalina signifie « nos nuits » en arabe et se réfère à un espace-temps qui, dans les pays du Moyen-Orient, s’ouvre habituellement à la convivialité et à l’échange. Les rencontres qui se déroulent à la tombée de la nuit, dans l’intimité des cafés ou des salons privés, créent des espaces hors du temps animés par l’effervescence de discussions intellectuelles. Ces « nuits » qui se maintiennent en dépit du conflit, souvent autour d’une table parsemée de tasses de thé à la menthe et de café, réunissent des gens de tous bords, parmi lesquels poètes, écrivains, journalistes, cinéastes, artistes et musiciens. Les langues se délient, l’histoire se fait et se défait, les récits se partagent, les idées se débattent et la nuit suit son cours rythmé par le son de la musique.

En transposant les « nuits » syriennes à Genève, Layalina a donc voulu restituer à travers ce festival un temps de pause, un instant de convivialité et de partage malgré la crise actuelle, un espace qui rend possible le dialogue interdisciplinaire et transculturel. Ce dialogue se reflète par ailleurs autant dans la programmation du festival que dans l’équipe fondatrice de l’association. Représentants du monde humanitaire, culturel et universitaire, les membres de Layalina sont liés par un esprit de solidarité. Ils s’engagent à donner la parole aux acteurs de la culture syrienne tout en collaborant avec l’ONG Coup de pouce Syrie, ainsi qu’avec les réfugiés syriens de Genève. Cette approche représente un véritable défi puisqu’il s’agit de créer des ponts entre des milieux qui coexistent habituellement sans nécessairement œuvrer à une réflexion commune.

L’articulation entre culture et humanitaire s’incarne dans plusieurs évènements du festival, tels que les ateliers culinaires ou l’atelier vidéo. Les ateliers cuisine sont conduits par des femmes réfugiées syriennes, qui ont ainsi l’opportunité de valoriser leurs compétences et de créer des échanges avec le public genevois sous un jour nouveau, tandis que l’atelier vidéo, animé par la réalisatrice genevoise Dominique Fleury, donne la parole aux réfugiés syriens en leur offrant l’occasion de réaliser leur propre film et d’y partager leur vécu.

Toute la programmation du festival a également été pensée dans un esprit de décloisonnement. Cinéma, littérature, musique, arts visuels et gastronomie se font écho, se croisent et s’entrecroisent. Les pionniers du cinéma syrien sont remis à l’honneur, par un hommage au réalisateur Mohamed Malas dont les films incarnent le cinéma expérimental, poétique et engagé né dans les années 80, tandis que les jeunes cinéastes syriens, tels que Meyar al-Roumi, Nidal Hassan et Soudade Kaadan sont représentés à travers le documentaire indépendant et la vidéo.

La musique occupe une place privilégiée et le dialogue musical entre Syriens et Européens, musique traditionnelle et électronique, est incarné par la présence d’artistes tels que Interzone, duo rock syro-français, Animar Barjikli, musicien syrien réfugié en Suisse et Manal Samaan, venue en première européenne de Damas pour collaborer avec des instrumentistes genevois lors d’un concert unique.

Le volet littéraire poursuit la réflexion par une lecture-spectacle qui donne à entendre des voix d’auteurs en arabe et en français autour de la ville de Damas. En outre, une table ronde qui reprend le format informel du « Salon oriental » propose des discussions autour de thématiques clés de la littérature syrienne contemporaine en présence de l’écrivaine Rosa Yassin Hassan et des traductrices de renom Rania Samara et Claude Krul. Le festival sera aussi l’occasion de participer à deux autres tables rondes, l’une sur le thème de l’intégration et l’autre sur le cinéma indépendant syrien.

Enfin, ce festival ne pouvait être pensé sans inclure deux aspects majeurs de la culture syrienne et moyen-orientale en général : l’humour et la gastronomie qui transcendent les frontières et réunissent les gens. Le rire et la dérision sont mis à l’honneur dans une exposition consacrée aux dessins du satiriste politique Hani Abbas. L’expérience gastronomique, quant à elle, est proposée sous la forme des ateliers culinaires ainsi que d’un repas syrien organisé en partenariat avec les Bains des Pâquis, lieu emblématique de la diversité genevoise.

Ainsi, pendant toute la durée du festival, chacun est invité à devenir acteur de « ses nuits », qu’elles soient gastronomiques, littéraires, musicales ou cinématographiques, en participant au dialogue entre réfugiés syriens, public genevois et artistes venus de Syrie, de Suisse ou d’ailleurs, dans un esprit de découverte et de tolérance.

 

Programme détaillé du Festival culturel et humanitaire Layalina : nos nuits syriennes, Genève, 19-22 février 2015 : www.layalina-festival.ch.

 

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