« Une » du quotidien Libération – mardi 19 novembre 2013 © compte twitter @liberation_info
Lundi 18 novembre, fin de matinée dans les locaux du quotidien Libération à Paris. Un homme vient de faire irruption dans le hall d’entrée avec un fusil de chasse : plusieurs coups de feu sont tirés, blessant grièvement un photographe toujours entre la vie et la mort à l’heure où j’écris ces lignes. Acte isolé d’un déséquilibré ou point culminant d’une ambiance de plus en plus tendue autour de la presse? Le coupable n’ayant pas encore été arrêté, il nous est impossible de prédire la teneur de ses revendications, si tant est qu’il en ait.
Certains, à l’instar de François Hollande, pensent que c’est la liberté d’information qui est visée. D’autres ont (légitimement) peur et s’inquiètent d’un dysfonctionnement de notre société, c’est notamment le cas du directeur de publication de Libération Nicolas Demorand. Traumatisé par ce qui vient de se dérouler dans sa rédaction, il lance un cri d’alerte : « Quand on entre avec un fusil dans un journal, dans une démocratie c’est très, très grave, quel que soit l’état mental de cette personne. Si les journaux et les médias doivent devenir des bunkers, c’est que quelque chose ne tourne pas rond dans notre société ».1
Il faut dire que le principal suspect (tout porte à croire qu’il s’agit d’une seule et même personne) avait déjà « rendu visite » à BFM TV vendredi passé, pointant son arme sur un rédacteur arrivant sur son lieu de travail. Malgré deux cartouches retrouvées sur le parquet, aucun coup de feu n’avait cette fois été tiré. Les différents organes de presse parisiens (Le Monde, Le Petit Journal, France Télévision, Le Point, entre autres) craignent pour leur sécurité et des agents de police surveillent leurs bâtiments depuis hier matin.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on respire un sale air en France depuis plusieurs semaines. Sur fond de critiques (justifiées ou non) incessantes contre la présidence de François Hollande, un cadre de violence verbale s’est progressivement installé. Discours prenant pour cible les Roms (suite à la polémique suscitée par les propos de Manuel Valls), affaire Leonarda et, plus récemment, propos racistes à l’encontre de la ministre Christiane Taubira. Parallèlement, les signes d’une violence cette fois-ci bel et bien physique surgissent dans l’espace médiatique : on apprend la mort de deux journalistes français – Claude Verlon et Ghislaine Dupont – au Mali le 2 novembre, deux semaines donc avant l’attaque de Libération. Une série d’évènements qui n’ont a priori aucun rapport entre eux.
Il est tout de même inquiétant de constater que ce drame intervient après une série de dérapages verbaux, critiques acerbes ou encore tentatives de décrédibilisations d’informations produites par les journalistes. Ces derniers sont de plus en plus forcés à s’expliquer, à démontrer le caractère fondamental de leur profession pour nos démocraties, à prouver que leur travail est légitime. C’est un climat pesant que Nicolas Demorand a lui-même éprouvé : « Il y a une désinhibition par rapport aux médias, je note une montée d’agressivité depuis un an, un an et demi. Nous recevons des mails, des lettres anonymes qui nous menacent directement; des messages d’une violence extrême. »2. Une violence extrême non plus uniquement dans les mots, mais dans les faits depuis hier.
Les (bons) journalistes dérangent. Ils dérangent les pouvoirs publics en place, les partis politiques, les entrepreneurs en situation de conflit d’intérêts et autres institutions financières de par leurs révélations mettant en lumière des faits d’intérêt public. Et ils sont attaqués pour ça ! Concrètement, citons en exemple les actions en justice de Serge Dassault et de Nicolas Sarkozy contre Mediapart après des articles les concernant. Cette propension à mettre perpétuellement en doute le sérieux des informations délivrées par les journalistes s’étend de plus en plus. Et cela peut faire partie du jeu.
Ce qui ne l’est par contre décidément pas, c’est cette violence, cette hostilité qui ne cesse d’augmenter envers les médias, quels qu’ils soient. En marge des manifestations contre le mariage pour tous, de celles du Front national ou encore sortant de la bouche de Jean-Luc Mélenchon, les agressions physiques et verbales se multiplient dangereusement chez nos voisins français. J’insiste encore une fois ici : on ne sait pas, à l’heure actuelle, si le forcené ayant attaqué les locaux de Libération et BFM TV visait les médias en tant que tels, ou s’il s’agissait d’actes sans préméditation. Les prochaines heures nous en apprendront probablement davantage. Par contre, un constat s’impose : indépendamment du drame de hier, les journalistes ont de plus en plus tendance à être accusés de tous les maux. Accusations se traduisant par des actes et des discours violents, irraisonnés, dénigrants qui peuvent légitimement faire craindre le pire pour l’avenir de nos démocraties.
« Si la critique du traitement journalistique peut être légitime, les agressions contre des journalistes (…) sont absolument intolérables. Ces attaques témoignent d’un mépris du débat public et constituent une dérive grave dans une démocratie, et doivent à ce titre être dénoncées par toutes les parties prenantes »3
1 http://www.mediapart.fr/journal/france/181113/un-homme-ouvre-le-feu-au-siege-de-liberation-chasse-lhomme-dans-paris
2 http://www.slate.fr/story/80137/chasse-homme-journalistes-cible
3 Propos tenus par Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, après les agressions commises sur des journalistes en marge de la manifestation contre le mariage pour tous en mai 2013. http://fr.rsf.org/france-agressions-de-journalistes-lors-de-27-05-2013,44678.html
Cher HN, ma réponse sera brève puisque je partage la majorité de tes considérations. L'indépendance de la presse est clairement…