Société Le 26 août 2013

Le diamant au pilori

3
3
Le diamant au pilori

© Amnesty international

Qui ne s’est jamais surpris à rêver de diamants ? Que ce soit d’une petite bourse noire emplie de brillants joyaux, dans laquelle nos doigts se promènent allègrement, notre ouïe se délectant du subtil tintement des pierres qui s’entrechoquent. Ou alors, du grand diamant aux mille facettes étincelantes, avec sa forme si caractéristique, symbole de richesse, d’élégance, d’amour et d’éternel. Leur scintillante apparence a d’ailleurs inspiré des noms qui rivalisent de poésie, tels que « larmes des Dieux » ou encore « éclats d’étoiles » pour les Grecs de l’Antiquité1.

© byredis

© byredis

Mais revenons à des propos plus terre à terre. Un diamant, c’est quoi ? En fait, il s’agit « simplement » de carbone cristallisé sous de fortes pressions et de très hautes températures, ce qui en fait la matière la plus dure au monde2. Le diamant se décline en plusieurs teintes, bien que le plus connu soit le diamant blanc ou incolore, et il fait l’objet d’une exhaustive classification. Du blanc exceptionnel + au blanc nuancé, en passant par le blanc extra et le blanc tout court ; ils sont tous scrupuleusement passés à la loupe pour être sertis d’une note allant de D pour les plus blancs à Z pour les plus colorés3. Les diamantaires ne jurent que par les « 4 C », à savoir Carat, Clarity, Color and Cut (ou poids, pureté, couleur et taille). Mais trêve d’ennuyeuses descriptions objectives.

Qu’est ce qui confère une telle valeur au diamant pour qu’il suscite tant de convoitise et de fascination ? Quand on parle de valeur et de diamant, mes cours de microéconomie me reviennent en mémoire, notamment lorsqu’on a abordé le fameux paradoxe de l’eau et du diamant. L’eau est indispensable à la vie et donc d’une utilité inestimable, mais elle ne coûte pratiquement rien. En revanche, le diamant, qui n’est d’aucune utilité lorsqu’il est transformé en joyau, est d’une valeur extraordinaire. Vous me direz, les règles de l’économie peuvent tout à fait l’expliquer. Des questions de valeur objective, subjective et d’utilité marginale rentrent en ligne de compte. Mais je vous avoue que tant de rationalité me déconcerte et est insuffisante, à mes yeux, pour expliquer toutes les atrocités qui ont été et sont encore commises pour un morceau de minerai.

Car nous avons tous entendu parler des « diamants de sang », « diamants de la guerre » ou « diamants de la honte ». Certains auront peut-être vu le film Blood Diamond. De la fiction hollywoodienne, je le conçois, qui, malgré des airs de pub humanitaire, donne une bonne idée du climat de violence qui a régné pendant des guerres civiles, causées en partie par la cupidité des diamantaires. Le processus de Kimberley a bien tâché d’y remédier en introduisant en 2003 un système de certification4. Il ne faudrait surtout pas que les acquéreurs de diamants aient mauvaise conscience. Aujourd’hui, cette certification couvre 70% de la production mondiale5. Les clients moins fortunés ou plus avares pourront se satisfaire des 30% restants.

Mais il n’y a pas que les diamants de sang. Lorsque je parlais d’atrocités, je faisais aussi allusion aux répercussions environnementales non négligeables de l’exploitation minière. Saviez-vous qu’il faut extraire en moyenne 10 tonnes de minerai pour obtenir 1 carat, soit 0,2 gramme de diamant ? Des trous béants sont creusés dans la terre de notre belle planète pour en retirer quelques kilos de… cailloux brillants. La plus grande mine à ciel ouvert du monde est celle de Mir, en Sibérie orientale. Elle a une profondeur de 525 mètres et un diamètre de 1,2 kilomètre6. Il faut toutefois reconnaître qu’une grande partie des diamants extraits des mines est destinée à un usage industriel. Ils ne finissent pas transformés en luxueux bijoux qui feront de nous des êtres uniques.

mir-mine

Mine de Mir

Sentir les regards admiratifs et concupiscents posés sur soi, s’abreuver du sentiment d’exclusivité ; telles sont les aspirations. D’ailleurs, parait-il que « les diamants de couleur, [qui] sortent de l’ordinaire, [sont] le moyen unique d’exprimer [ses] sentiments. »7 Avez-vous déjà lu de pareilles balivernes ? Donc a priori, pour exprimer ses sentiments de manière unique, il faut dépenser l’équivalent du PIB du Djibouti pour s’offrir un caillou qu’on arborera fièrement autour du cou ?

Ces propos m’évoquent le discours suivant : « Tu imagines, ma chérie, qu’il existe aujourd’hui moins de 10 diamants de 3 carats d’une telle pureté dans le monde ? Et celui-là m’a coûté près de 460 000€8 ! Tu te rends compte à quel point je t’aime ? » Car, comme on nous l’a si bien inculqué, quand on aime, on ne compte pas ! Je me demande bien quel brillant escroc a pu inventer un tel propos, qui est hélas si populaire que d’aucuns culpabilisent lorsqu’ils ne déboursent qu’une vulgaire somme à trois zéros pour une bague de fiançailles. Les minables !

Une autre solution est envisageable pour débourser un peu moins, mais aussi pour préserver davantage notre planète ainsi que la dignité humaine. Il existe en effet des diamants synthétiques, fabriqués par l’homme, essentiellement pour un usage industriel9. Ne dépassant pas les trois carats, ils sont tout aussi beaux que leurs frères naturels, mais ont du mal à s’implanter sur le marché du bijou. Pour ne pas « tromper » le client, ces diamants doivent porter la mention synthétique lors de la vente. Or, dans un milieu où le snobisme règne en maître, ils ont du mal à s’y faire une place, affublés d’une telle étiquette. Cultiver la fascination pour le diamant naturel est donc une aubaine pour les diamantaires, qui continuent de se remplir les poches.

Aujourd’hui, je dois avouer qu’il m’est difficile de m’émerveiller devant ces petites pierres parfaitement polies, prétendument précieuses. Leur beauté, pourtant manifeste, est occultée par le triste spectacle de leur extraction, mais aussi par la philosophie du paraître dont ils font l’éloge. Car, il faut l’admettre, un diamant autour du cou, concrètement, ça ne sert à rien. Notre soif de brillant et notre culture du superficiel nous aveuglent. La petite bourse noire remplie de ces pierres précieuses ne m’évoque plus la même image. Et j’invite les diamantaires qui douteraient de ma sincérité… à me jeter la première pierre.

 

 

Commentaires

image-user

Jim Boss

Dit amant ! "Les hommes achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands…

Lire la suite
image-user

Lisandro

Tu as entièrement raison par rapport à De Beers, merci de l'avoir souligné. Son monopole a duré pratiquement jusqu’en 2000.…

Lire la suite
image-user

Adriano Brigante

A noter aussi que les diamants sont loin d'être aussi rares qu'on l'imagine, et que leur "valeur" et leur prestige…

Lire la suite

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.

image-user

Jim Boss

Dit amant !

« Les hommes achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis,…..  » Dixit un Renard .

Répondre
image-user

Adriano Brigante

A noter aussi que les diamants sont loin d’être aussi rares qu’on l’imagine, et que leur « valeur » et leur prestige proviennent aussi (surtout?) du monopole de la compagnie De Beers, qui a su faire monter les prix artificiellement depuis plus d’un siècle, grâce à une bonne stratégie marketing et une fausse pénurie savamment entretenue… (Steve Jobs n’a rien inventé)

Répondre
image-user

Lisandro

Tu as entièrement raison par rapport à De Beers, merci de l’avoir souligné. Son monopole a duré pratiquement jusqu’en 2000. Mais le consommateur a néanmoins une part plus qu’importante à jouer dans la valeur du diamant car, lorsqu’à travers sa campagne marketing, De Beers fait croire que le diamant est synonyme d’amour et que plus il est gros sur une bague, plus on aime sa future épouse… c’est le consommateur qui se laisse avoir et qui accepte de payer un prix exorbitant sans se poser de questions. Les publicitaires peuvent être de grands manipulateurs, certes, mais il tient à nous de ne pas être des marionnettes.

Répondre