Société Le 27 mai 2016

Les défis d’un patrimoine confidentiel

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Les défis d’un patrimoine confidentiel

© Christophe Vuilleumier

La Société d’Histoire de la Suisse Romande, fondée en 1837 et fonctionnant principalement comme éditeur savant, a créé au cours du temps plusieurs collections d’ouvrages, publiant notamment un certain nombre de sources1. Si la SHSR dispose d’une situation saine, elle est en bute aux problèmes que toutes les sociétés savantes, ou presque, rencontrent, soit une érosion du nombre de membres, une diffusion restreinte de ses ouvrages, ainsi que des obstacles logistiques.

Les évolutions sociales ayant été importantes au cours du XXe siècle, il est évident que les acteurs des sociétés savantes, s’ils relèvent toujours des élites intellectuelles locales, n’appartiennent plus forcément aux élites politiques ou financières qui caractérisaient ces sociétés au cours du XIXe siècle2. Les sociétés savantes sont ainsi devenues des niches, en marge des universités, collaborant avec ces dernières. Les défis auxquels elles sont maintenant confrontées se déclinent notamment en termes d’audience – et donc de visibilité – de moyens financiers, de préservation des collections, et de publications.

Si la question de la visibilité peut être résolue, comme le démontre le récent site Web de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève3 et la mise en œuvre de projets de sites Internet décidés cette année par trois sociétés, la Société d’Histoire de la Suisse Romande4, l’Association pour l’Étude de l’Histoire Régionale5 et l’Association Suisse d’Histoire et de Sciences Militaires6, la question des publications est tout autre. La nouvelle politique menée par le Fonds National de la Recherche Scientifique implique en effet une suppression de l’aide à l’édition, entraînant de nombreux chercheurs à se tourner vers ces sociétés dont les moyens limités ne peuvent bien évidemment pas servir l’ensemble des sollicitations. Nous assistons par ailleurs à un retrait progressif des sciences humaines au niveau des formations. Les heures d’enseignement de l’histoire à l’école, par exemple, sont en diminution, et certaines disciplines considérées comme mineures mises en danger au sein des universités dont les budgets se sont resserrés7.

Des tendances qui ne font qu’accentuer plus encore la confidentialité de nombreuses sociétés savantes qui, à terme, risquent de s’étioler et d’entraîner la disparition d’un patrimoine. Patrimoine constitué non seulement de collections mais également des sociétés elles-mêmes, tant il est vrai que celles-ci sont les héritières d’une tradition séculaire et les inventeurs de collections multiples et originales8.

N’y a-t-il pas une réflexion à mener sur ces différentes problématiques afin de préserver le futur de ce patrimoine9 ? Ce d’autant plus que les acteurs au sein des disciplines qui sont les nôtres, personnel universitaire, scientifiques rattachés à des instituts, chercheurs indépendants et comités des sociétés savantes, peinent à s’unir autour d’une communauté d’intérêts qui ne parvient pas à s’organiser. Un enjeu qui pourtant n’a pas échappé à de nombreux domaines ! Ainsi, le monde agricole, l’industrie, le bâtiment, les fonctionnaires – il serait possible de multiplier les exemples – ont tous constitué des dynamiques proactives, et parfois agressives, influant sur notre société à divers degrés et fonctionnant comme lobby au niveau politique. Les rangs des sciences humaines, dont les sociétés savantes sont l’un des relais, paraissent ainsi bien éclatés et leurs champs d’études de plus en plus mal compris faute d’être défendus. La voie du numérique, un renforcement des collaborations entre sociétés savantes ainsi qu’avec les universités et les éditeurs, voire la presse, représentent des réponses potentielles devant être envisagées.

 

La Société des Arts de Genève organisera un colloque sur cette thématique, « PENSER / CLASSER LES COLLECTIONS DES SOCIÉTÉS SAVANTES » le 25 novembre 2016 au Palais de l’Athénée

 


Références:

1. Gilbert Coutaz, «La Société d’histoire de la Suisse romande : enjeux et défis en 160 ans d’existence», Annales valaisannes (1996), pp. 25-39.

2. Olivier Perroux, Tradition, vocation et progrès : les élites bourgeoises de Genève (1814-1914), Genève, Slatkine, 2006. Intelligentia VS : portrait des sociétés intellectuelles et scientifiques du Valais / Société académique du Valais, Sion, Société académique du Valais, 2013.

3. www.shag-geneve.ch

4. www.shsr.ch

5. www.aehr.ch

6. www.militariahelvetica.ch/fr/ashsm

7. https://www.letemps.ch/opinions/2015/10/09/faut-reduire-sciences-humaines-suisse.

8. Matthieu de la Corbière, « Petite réflexion sur les apports des sociétés savantes à la recherche historique régionale », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, Genève, T. 39 (2009), pp. 71-80. René Sigrist, La naissance des sociétés savantes à Genève (1786-1815) : des assemblées familières au premier congrès national, Genève, 1988. Karl F. Wälchli, „Geschichte in der Öffentlichkeit : die Rolle des Historischen Vereins im Kanton Bern 1846-1996 : Gedanken zum 150-Jahr-Jubiläum“, Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde, 58 (1996), pp. 301-314.

9. Table ronde des sociétés savantes de la Savoie, de la Suisse romande, du Piémont et de la vallée d’Aoste : Aoste, 19-20 septembre 1966, Aoste : Impr. Marguerettaz, 1967.

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