Économie Le 2 février 2014

Quand le riche s’enrhume, le pauvre tousse

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Quand le riche s’enrhume, le pauvre tousse

Manifestation contre la faim aux États-Unis après le Krach boursier de 1929 © Lepoint.fr

Après l’effervescence du World Economic Forum (WEF) à Davos, il est temps de se repencher sur le surprenant rapport publié par Oxfam. L’ONG pointe les inégalités économiques qui ne cessent de s’amplifier, menaçant de ce fait les démocraties du monde.

Des inégalités toujours plus importantes

Si une inégalité modérée au sein de la répartition des richesses est acceptable, voire nécessaire, au sein d’une économie de marché, il est en revanche très néfaste pour l’économie et pour une politique démocratique que les richesses se concentrent dans la main d’une faible portion de la population mondiale. C’est bien pour cette raison que le « Outlook on the Global Agenda 20141 » a placé cette concentration à la deuxième place des plus grands risques pour les 12 à 18 mois à venir.

En effet, depuis les années 1980, la richesse des plus fortunés ne cesse de s’accroître, à tel point que « les 85 personnes les plus riches de ce monde possèdent autant que les 3,5 milliards les plus pauvres »2 selon Oxfam. Ce rapport démontre également que la crise financière de 2008 n’a pas infléchi la tendance, même si elle a ralenti très brièvement l’enrichissement des super-riches au début de la crise. Aux États-Unis, ces derniers ont confisqué « les 95% de la croissance post-crise entre 2009 et 2012 ». Or, si la part de richesse de cette minorité était restée la même qu’en 1980, l’ONG estime que chaque Américain recevrait un montant supplémentaire à leur salaire de 6’000 dollars par an et par personne en 2012.

Les États-Unis ne sont pas les seuls touchés, bien au contraire : en Europe, nous pouvons observer une augmentation des inégalités dans tous les pays, avec le Royaume-Uni et le Portugal en peloton de tête. Cet état de fait touche également les pays scandinaves, pourtant souvent cités pour leur égalité exemplaire : en Norvège et en Suède, la part de revenu allant aux plus riches a augmenté de plus de 50% ces dernières années.

Cette tendance à la concentration n’est pas l’apanage des seuls pays d’Occident, mais touche de manière égale les pays en voie de développement et les pays les plus pauvres. C’est le cas, par exemple, du Mexique avec un citoyen particulier nommé Carlos Slim. Celui-ci est non seulement l’homme le plus riche du Mexique, mais également l’homme le plus riche du monde : il gagne assez d’argent avec les seuls revenus issus de sa fortune pour payer le salaire de 440’000 Mexicains3.

Inutile d’essayer de berner les citoyens, les sondages menés par Oxfam montrent que les différentes populations concernées pensent que les politiques, et par conséquent les lois votées, intercèdent en faveur des plus riches au détriment du peuple. Les Espagnols considèrent en très grande majorité (8 personnes sur 10) que les lois de leur pays sont biaisées et profitent aux grandes fortunes. Nous comprenons à travers cet exemple pourquoi les élections désintéressent les électeurs dans plusieurs pays d’Europe : les politiciens de tout bord sont discrédités, jugés incapables de comprendre et d’appliquer la volonté populaire.

© Oxfam

Source : www.oxfam.org

 

Les richesses s’accumulent inexorablement

À qui la faute ? Oxfam répond à cette question sans ambigüité : la dérégulation des marchés financiers a un rapport direct avec les inégalités. Dès les années 1980, « les secteurs financier et bancaire ont dépensé des millions pour déréguler les marchés » qui avaient été assujettis après la grande dépression des années 1930. Or, l’augmentation des inégalités et la dérégulation sont liées, comme le montre le graphique suivant :

© Financial Deregulation, www.nber.org

Source : www.nber.org © Financial Deregulation

Une autre cause importante : les cures d’austérité imposées aux pays d’Europe. En effet, malgré une intense réprobation de la part des populations, les marchés financiers ont fait pression sur les différents pays en crise pour instaurer une plus grande inégalité sous l’excuse de la dette publique : augmentation de la TVA, baisse des dépenses publiques, impôts régressifs. Les structures sociales, qui ont pour effet de freiner les inégalités, sont mises à mal par les restructurations des États. Dans le même temps, les plus grosses fortunes accumulent toujours plus de richesses. Dans la majorité des cas, ces dernières ne sont pas soumises à une augmentation des taxes.

Des solutions en perspective ?

Loin d’être un rapport apocalyptique, Oxfam conseille des mesures pour inverser la tendance. Certains pays y arrivent : c’est le cas de nombreux pays d’Amérique latine qui ont réussi, par une politique fiscale plus agressive et un développement des protections sociales important, à réduire les inégalités qui restent, rappelons-le, encore importantes à ce jour. La solution réside dans les décisions d’une politique basée sur la volonté du peuple et non dans celle dictée par le monde de la finance.

Loin d’être une simple question de possession de biens, la concentration des richesses est une question fondamentale pour nos démocraties, puisque le pouvoir de décider ne peut résider dans la voix des citoyens quand les richesses sont accumulées dans la main d’une poignée d’hommes.

 


3 Selon : Milanovic (2012), The Haves and the Have-Nots: A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality, New York: Basic Books.

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