Migrations Le 17 février 2016

Les migrants vont-ils « déferler en Suisse » ?

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Les migrants vont-ils « déferler en Suisse » ?

Les principales routes migratoires vers l’Union européenne @rfi

Jusqu’ici la Suisse avait dans une large mesure pu se tenir à l’écart de la crise migratoire de 2015 avec une augmentation des demandes d’asile d’environ 16’000 par rapport à 2014 alors que des centaines de milliers de nouveaux arrivants gagnaient l’Europe. Les durcissements en cours dans de nombreux pays du Nord inquiètent cependant au Tessin et en Suisse orientale et le président de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police sonne l’alarme. L’Autriche vient d’annoncer qu’elle plafonnerait le nombre de demandes d’asile annuelles tandis que l’Allemagne va prolonger les contrôles à ses frontières et que la Suède met fin à sa politique d’ouverture.

Une approche strictement géopolitique basée sur l’observation de la carte de l’Europe et sur le constat de la persistance des crises dans les zones d’origines justifie à première vue ces craintes avec le risque d’un double transfert vers la Suisse:

– Le long de la frontière autrichienne pour les migrants issus de la route des Balkans par la Croatie et la Slovénie

– Plus fondamentalement, avec la réactivation de la route de l’Italie via l’Afrique du Nord, Lampedusa remplaçant à nouveau la Grèce comme porte d’entrée de l’Europe

Un tel scénario est envisageable, mais un report massif des demandes d’asile vers la Suisse reste peu probable. En premier lieu la configuration géographique du Nord de l’Italie et la nécessité de parcourir d’Est en Ouest tout le territoire autrichien continuera d’isoler en partie la Suisse. Les populations concernées par la route des Balkans – issues du Moyen-Orient et d’Asie – ne sont, en outre, pas les mêmes que celles qui empruntent la route de Lampedusa, issues plus fréquemment du continent Africain. La possibilité de choisir une route plutôt qu’une autre est très limitée.

En second lieu, l’Allemagne et la Suède vont rester attractives même si leurs politiques se durcissent. Ceci en raison des liens familiaux et diasporiques désormais établis : les communautés irakiennes et syriennes en particulier y sont désormais bien implantées. L’expérience historique d’autres durcissements des politiques d’asile est à cet égard éclairante. Ainsi, dans les années 1990 lorsque l’Allemagne, alors première destination d’asile, a durci sa politique, il n’y eut qu’une déviation atténuée vers la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas.

A cela s’ajoute que la Suisse, même si des pays durcissent leur politique, reste exigeante en matière d’asile. Elle a en quelque sorte devancé ses voisins dans la course à la dissuasion et ceux-ci tentent désormais de la suivre.

Un second scénario, tout aussi réaliste que celui d’un report des demandes d’asile vers la Suisse, pourrait par ailleurs être envisagé. Ainsi le revirement en cours en Allemagne et, de manière générale, le durcissement annoncé des politiques migratoires, pourraient réduire les migrations tout comme l’ouverture allemande de 2015 a contribué à les accroître. A fortiori, si les efforts actuels de l’UE pour obtenir de la Turquie une rétention efficace et une réadmission des migrants tentant leur chance en méditerranée orientale aboutissent, les tentatives de traversée pourraient diminuer de manière spectaculaire. Ainsi en 2007, l’Espagne était parvenue à mettre fin à la « crise des pirogues » vers les îles Canaries en mettant en place un refoulement sévère vers le Sénégal. Dans un tel scénario, la question des besoins de protection des migrants fuyant des conflits reste évidemment posée.

En conclusion, il est à l’heure actuelle impossible d’élaborer un scénario unique pour l’évolution des demandes d’asile en Suisse. La panique n’est pas de mise mais l’inquiétude est justifiée. On peut souhaiter qu’elle porte aussi sur le sort des migrants, qu’ils parviennent à gagner l’Europe ou qu’ils soient retenus dans les zones de premier accueil.

 

Cet article a été initialement publié sur le blog d’Etienne Piguet, hébergé par L’Hebdo.

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