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PARTIE 1 : INTRODUCTION
PARTIE 2 : RÉTABLIR UNE CERTAINE VÉRITÉ
PARTIE 3 : NON-ALIGNÉ MAIS PAS FOU À LIER
PARTIE 4 : VERS UN ÉQUILIBRE DE LA TERREUR AU MOYEN-ORIENT?
PARTIE 5 : LA THÉORIE DES DOMINOS MISE À MAL
PARTIE 6 : QUAND LES REMÈDES AGGRAVENT LES MAUX
La crise nucléaire iranienne ne cesse de s’aggraver, au point que l’extrême polarisation des positions qui s’affrontent aujourd’hui les rend de plus en plus irréconciliables. La perspective d’une résolution diplomatique semble ainsi s’éloigner inexorablement. Pour freiner la progression de Téhéran vers une hypothétique acquisition de l’arme nucléaire, tous les moyens semblent désormais bons. Il convient néanmoins de s’interroger sur le bien-fondé des politiques envisagées ou d’ores et déjà mises en oeuvre afin de répondre au “péril iranien”. D’abord, comme nous l’avons déjà souligné, les options privilégiées pour y faire face sont en disproportion totale avec la réalité de la menace que représente la République islamique d’Iran. En effet, des dispositions prises sur la base d’inquiétudes déraisonnablement exagérées et de scénarios apocalyptiques ne peuvent qu’être inadaptées et potentiellement dangereuses. Ensuite, même si on s’accordait largement sur la gravité de la situation et donc sur l’impérieuse nécessité d’empêcher la nucléarisation de l’Iran, il conviendrait toutefois de questionner la légitimité, l’éthique mais surtout l’efficacité des moyens employés pour atteindre cette fin.
Des sanctions à l’efficacité contestable
Jusqu’à présent, la méthode privilégiée a été celle des sanctions économiques, sous l’impulsion et le leadership des États-Unis. Depuis la Révolution islamique de 1979, Washington applique des sanctions rigoureuses à l’encontre de l’Iran.1 D’abord afin de précipiter la chute du régime clérical, qui avait de facto soutenu la prise d’otages dans l’ambassade américaine à Téhéran, puis dans l’optique de dissuader l’Iran de se doter de la bombe atomique, cela fait plus de trente ans que les Américains cherchent à asphyxier l’économie iranienne. Mais ils ne sont pas seuls. Sous leur égide, c’est même les Nations Unies qui – à quatre reprises lors des cinq dernières années2 – ont frappé l’Iran par des sanctions économiques. Moscou et Pékin bloquant néanmoins tout durcissement supplémentaire des mesures onusiennes, les États-Unis et l’Union européenne ont récemment décidé d’agir hors du cadre multilatéral de l’ONU et d’imposer des sanctions sans précédent sur les secteurs financier et pétrolier de l’Iran.3
Et tout cela, pour quel résultat? Si l’objectif est bien de contraindre Téhéran à mettre un terme à son programme nucléaire, dont la nature militaire est d’ailleurs toujours incertaine, force est de constater que ces sanctions économiques ne se sont pas montrées des plus efficaces jusqu’ici. Échauffés par la peur et les préjugés, les Occidentaux, avec les États-Unis en tête, semblent incapables de lire la situation de manière objective et rationnelle, sans sombrer dans un alarmisme manquant cruellement de perspective historique.
Comme l’explique Kenneth Waltz, l’Histoire démontre en effet qu’un pays profondément déterminé à acquérir l’arme ultime peut très difficilement être dissuadé d’arriver à ses fins. Punir un État par des sanctions économiques, aussi sévères soient-elles, ne saurait nécessairement l’astreindre à abandonner son programme nucléaire. A croire que les Américains n’ont pas tiré les leçons de l’échec nord-coréen! Ciblée par une série de sanctions draconiennes et condamnée à l’ostracisme sur la scène internationale, la Corée du Nord est tout de même parvenue à se doter de la bombe atomique. De manière analogue, si Téhéran estime que sa sécurité nationale dépend de l’acquisition de celle-ci, il est peu probable que des sanctions n’aboutissent à un virement de cap de sa part.
Le vice de raisonnement majeur des Occidentaux réside certainement dans leur totale incapacité à se décentrer. En pensant que les dirigeants perses réagiront à des sanctions par un simple calcul coûts-bénéfices à court terme, et renonceront ainsi à leur programme nucléaire, ils projettent sur la République islamique d’Iran une grille de lecture occidentale – et néo-libérale – qui s’avère sérieusement inadaptée au cas d’espèce. Ce carcan cognitif de nature idéologique les empêche de percevoir des éléments pourtant cruciaux qui remettent fortement en question l’efficacité attendue des sanctions économiques infligées à l’Iran.
Tout d’abord, il semble que l’Iran réagisse bel et bien aux contraintes économiques et financières qu’on lui impose, mais certainement pas comme les instigateurs des sanctions l’auraient souhaité. Afin d’amortir l’effet délétère des sanctions, les dirigeants iraniens se sont en effet engagés dans des restructurations progressives de l’économie interne du pays. Ces ajustements graduels, notamment par le biais de réinvestissements massifs dans les infrastructures, ont même permis à l’Iran de devenir largement auto-suffisant dans certains secteurs spécifiques de son appareil productif.4 Par ailleurs, les Iraniens ont tâché de s’assurer de la solidité de leurs réseaux commerciaux, aussi bien par la recherche de nouveaux partenariats que par le renforcement de ceux déjà existants, principalement en Amérique du Sud.5 Même si croire que l’Iran peut parvenir à s’immuniser contre toute conséquence négative des sanctions relèverait de la plus candide naïveté, force est de constater que les dirigeants perses cherchent activement à adoucir le choc par des mesures concrètes, bien loin de l’obédience passive que certains attendraient d’eux.
Ensuite, beaucoup font preuve d’un flagrant manque de discernement concernant le type de régime auquel ils ont à faire. Il est un brin paradoxal de constater que ceux qui sont à l’avant-garde de la dénonciation du régime iranien pour son caractère autocratique sont précisément les mêmes qui se montrent inaptes à tirer les conclusions qui en découlent quant aux politiques à appliquer à son égard. Dans un pays à tendance autocratique comme l’Iran, et contrairement aux démocraties occidentales, la légitimité du gouvernement ne repose en effet pas uniquement sur le soutien populaire. Du coup, les coûts économiques imposés à la population ne se traduisent pas nécessairement en coûts politiques pour les dirigeants de l’État,6 coûts qui sont pourtant la condition sine qua non de la déstabilisation du régime visée par les sanctions. Comme les dirigeants n’ont pas véritablement de comptes à rendre au peuple, il leur suffit de s’assurer du soutien indispensable des cercles rapprochés du pouvoir, en prémunissant ces derniers, financièrement s’il le faut, contre tout effet tangible résultant des sanctions. Le fardeau de celles-ci est alors rejeté uniquement sur la population civile. Saddam Hussein, passé maître en la matière, avait ainsi pu conserver son pouvoir durant plus de dix ans malgré des sanctions internationales d’une grande sévérité.7
De surcroît, la mise en place de sanctions pose un sérieux problème d’éthique, dans la mesure où c’est principalement la population civile qui en pâtit. Un contact à Isfahan nous confirmait encore récemment à quel point la situation devient de plus en plus tendue pour le commun des Iraniens. Quelle est donc la moralité d’une politique qui avive les souffrances d’une population déjà mal lotie, dans le but d’infléchir les positions de son gouvernement? Certains pourraient rétorquer avec cynisme que malgré l’immoralité de la démarche, c’est bien la population civile qui est visée, afin qu’elle s’insurge et renverse le régime devenu illégitime. Néanmoins, et c’est là un autre élément crucial, les répercussions des sanctions sur le soutien populaire au régime sont hautement incertaines. Acculée économiquement, il ne serait en effet pas étonnant que la population s’unisse autour du régime – dans un élan nationaliste – contre l’ennemi extérieur occidental, perçu comme le véritable oppresseur. Les dirigeants peuvent d’ailleurs extrêmement facilement attiser un tel ressentiment par des diatribes populistes. Ce rassemblement des Iraniens derrière le pouvoir en place semble d’autant plus probable que selon les sondages, ils supportent majoritairement le programme nucléaire mené par le gouvernement,8 et ce malgré le fardeau des sanctions.
Réévaluer les implications d’une intervention militaire
Les sanctions économiques n’étant pas parvenues à dissuader l’Iran de poursuivre ses activités d’enrichissement, qui ne seraient plus justifiées d’un point de vue purement civil, une frappe armée contre les installations nucléaires iraniennes est de plus en plus sérieusement envisagée. Alors que le gouvernement israélien de droite dure agite explicitement la menace militaire, les États-Unis affirment que “toutes les options sont sur la table”.9 Depuis la tribune des Nations Unies, le premier ministre Netanyahou vient d’ailleurs d’exhorter la communauté internationale, et en particulier leurs alliés américains, à tracer une ligne rouge claire au-delà de laquelle une attaque militaire serait engagée (cf. photo ci-dessus). Bien que la position américaine soit légèrement moins tranchée pour l’instant, on peut penser que Washington serait de facto obligé d’emboîter le pas à Israël en cas d’intervention de l’État hébreu. Devant la gravité de la situation, les conséquences d’une frappe militaire devraient être soigneusement étudiées avant de conclure à la nécessité d’une telle option.
En premier lieu, comme ce fut le cas en Irak, une telle attaque serait tout à fait contraire au droit international. En effet, toute intervention des Israéliens et/ou des Américains sans l’aval du Conseil de sécurité violerait la Charte des Nations Unies. En droit international, une intervention armée contre un autre État, sans résolution préalable du Conseil de sécurité, ne peut être justifiée que par un motif de légitime défense, à défaut de quoi elle constitue un crime d’agression, qualifié de crime ultime par Robert H. Jackson, procureur en chef pour les États-Unis au procès de Nuremberg.10 Or, l’Iran n’a pas attaqué Israël, les États-Unis, ou qui que ce soit d’autre, si bien qu’aucune frappe armée à son encontre ne saurait être justifiable d’un point de vue légal. La possession d’armes nucléaires à elle seule ne constitue pas un acte d’agression engendrant un droit de légitime défense. Autrement, si on suivait ce raisonnement, chaque pays aurait légalement le droit de s’attaquer aux États-Unis et à Israël.
Par ailleurs, des frappes militaires contre les facilités atomiques perses auraient des conséquences absolument dramatiques pour les populations civiles. De manière inévitable, de nombreux Iraniens périraient directement sous le coup des bombes, même si les plus grandes précautions étaient prises. En effet, une attaque efficace devant inévitablement s’effectuer par surprise, la population autour des installations nucléaires s’en trouverait totalement démunie et particulièrement vulnérable, et ce d’autant plus que certaines infrastructures se situent en zone urbaine. En outre, une telle frappe préventive comporterait un réel risque de propagation de matières radioactives et d’autres substances chimiques toxiques dans des zones peuplées,11 ce qui entraînerait des répercussions terribles sur le long terme pour la nation iranienne. Comme le souligne très justement Stephen Walt, il est toutefois curieux de constater que dans le débat public, on parle uniquement des potentielles représailles dont les Occidentaux seraient victimes, mais point des milliers de civils iraniens qui perdraient la vie.12 Vous savez, ces mêmes civils qu’on désire libérer du joug d’un régime despotique…
De plus, le recours à la force par Washington et/ou l’État hébreu marquerait probablement le commencement d’une confrontation militaire prolongée et hautement volatile – l’Iran entendant bien se défendre – qui impliquerait sans doute d’autres États du Moyen-Orient, déstabiliserait davantage une région déjà meurtrie et pourrait mettre en péril la sécurité mondiale.13 C’est d’ailleurs la conclusion d’un rapport de l’Oxford Research Group mené par le Professeur Paul Rogers, selon qui un tel engrenage conflictuel serait « quasiment certain« .14 Le général Martin Dempsey, chef d’état-major des armées des États-Unis, s’est également prononcé contre une attaque préventive qu’il juge “prématurée” et dont l’effet serait profondément “déstabilisant” pour la région,15 sans accomplir aucun des objectifs de long terme fixés par Israël et les États-Unis.
En sus d’une escalade de la violence au niveau inter-étatique, une intervention en terre perse serait non seulement perçue en tant que manifestation ultime d’hostilité de l’Occident envers l’Islam, mais également comme une démonstration de la volonté occidentale de domination dans la région.16 Ce crime d’agression17 alimenterait ainsi immanquablement le terrorisme anti-américain et anti-israélien, et faciliterait l’effort de recrutement de groupes tels que Al-Qaïda et le Hezbollah. Si une stupide vidéo de qualité amateur a pu déclencher de telles réactions violentes à l’égard des États-Unis à travers la région,18 il est difficile d’imaginer ce qu’une attaque militaire conjointe avec Israël pourrait provoquer! Enfin, c’est toute l’économie mondiale qui serait potentiellement mise à mal par cette crise, tant Téhéran a le pouvoir de rendre le marché pétrolier nerveux.19
Finalement, de l’aveu même des Israéliens, des frappes militaires contre les installations perses ne sauraient mettre fin au programme nucléaire de l’Iran. Elles ne permettraient en réalité que de le retarder, de deux ou trois ans au mieux.20 Graham Allison, célèbre professeur de l’Université d’Harvard, explique en effet qu’une telle attaque pourrait certes détruire une large partie des facilités nucléaires, mais les connaissances et compétences acquises en la matière resteraient elles intactes.21 De plus, rien ne garantit qu’Israël ou même les États-Unis soient en mesure d’annihiler les installations iraniennes. Les doutes concernent principalement le site de Fordow, près de Qom, où les infrastructures nucléaires sont enfouies à plus de quatre-vingt mètres sous le sol, ce qui pourrait même mettre à mal la force de frappe du Massive Ordnance Penetrator américain (cf. photo ci-dessous), une des plus puissantes bombes conventionnelles jamais développées.22 En définitive, attaquer la République islamique d’Iran engendrerait des coûts très conséquents, alors que les bénéfices paraissent pour le moins incertains. Serait-il donc rationnel de se lancer dans une telle entreprise?
Une coercition contre-productive?
En plus des doutes émis quant à la légitimité, l’éthique et l‘efficacité des méthodes coercitives (sanctions économiques et intervention militaire), celles-ci pourraient s’avérer foncièrement contre-productives, en provoquant un résultat diamétralement opposé à l’objectif poursuivi. A bien des égards, elles fournissent en effet aux dirigeants perses des incitations à acquérir la bombe atomique. En essayant à tout prix d’empêcher la République islamique d’Iran de se nucléariser, il est ainsi probable que les Occidentaux poussent le régime des mollahs en direction de l’arme ultime, ce qui n’est pas dénué de toute ironie.
Comme nous l’avons vu, l’Iran a des raisons objectives de se sentir vulnérable et menacé, si bien qu’il pourrait géostratégiquement faire sens de se doter de la bombe atomique dans une optique défensive. Les méthodes coercitives, qu’il s’agisse des sanctions ou d’une potentielle attaque, ne font en réalité qu’intensifier ce sentiment de menace et donc renforcent le besoin de protection qui en découle. L’implication logique est une probabilité accrue de voir l’Iran s’efforcer d’acquérir l’arme nucléaire. Une analyse clairvoyante dans Le Monde le soulignait encore récemment: « plus l’Iran sera menacé et sanctionné, plus il accélérera ses travaux en direction de l’acquisition de la bombe« .23 C’est également l’opinion de Kenneth Waltz qui avance que « le déploiement de sanctions supplémentaires pourrait amener l’Iran à se sentir encore plus vulnérable, lui donnant ainsi plus de raisons de rechercher la protection que confère l’arme de dissuasion ultime« .24 S’ajoute le fait que dernièrement, avec des déclarations virulentes comme celles de Netanyahou à la tribune des Nations Unies, la menace d’un recours à la force n’a cessé de gagner en vraisemblance, aggravant encore davantage l’insécurité ressentie par le régime iranien.
Dans cette même logique, le pire qui puisse se produire serait qu’une frappe militaire soit effectivement menée contre les infrastructures nucléaires iraniennes. De nombreux experts estiment que la réaction de Téhéran à une telle attaque serait un retrait immédiat du Traité de non-prolifération – risquant même ainsi de le faire voler en éclats – et une fuite en avant vers l’atome militaire.25 Pour Paul Rogers de l’Oxford Research Group, si Téhéran était la cible d’une telle intervention, “Israël ferait alors face à un Iran déterminé à développer une capacité nucléaire militaire dans les plus brefs délais”.26 C’est aussi le point de vue de Hans Blix, ancien directeur général de l’AIEA et responsable des inspecteurs onusiens pour l’Irak durant la crise de 2002-2003, qui considère que “si la décision d’acquérir la bombe atomique n’est pas encore prise, elle le sera à ce moment-là [ndlr: en cas d’attaque]”.27 Par conséquent, même si une attaque rondement menée pourrait permettre d’infliger un coup d’arrêt au programme nucléaire iranien à court terme, il est probable qu’elle ne fasse qu’augmenter les chances de voir l’Iran se nucléariser à moyen ou long terme.
Laisser sa chance à la diplomatie
Dans le débat public au sujet de la crise iranienne et des moyens de la résoudre, il est fort regrettable de constater que la posture occidentale est trop souvent prise pour une donnée intangible.28 A très juste titre, Hubert Védrine se demande pourquoi tant d’analystes ont renoncé à obtenir un changement de la politique des Occidentaux vis-à-vis de l’Iran, en particulier au regard des résultats mitigés et des dangers que nous venons de souligner. Ce manquement, s’apparentant a priori à une simple erreur de jugement, est en fait d’une extrême gravité, dans la mesure où il exclut de toute considération une palette de solutions potentielles. La position occidentale actuelle étant ainsi considérée comme gravée dans le marbre et intériorisée comme telle, toute option de sortie de crise qui en impliquerait une réorientation n’est même pas envisagée.
Ainsi, une résolution diplomatique du contentieux ne semble même pas entrer dans le domaine de l’imaginable pour beaucoup. Toutefois, la voie de la diplomatie permettant de régler des crises sans violence, elle devrait toujours être privilégiée avant d’en recourir aux sanctions ou à l’intervention militaire. Or, comme nous l’explique Nicholas Burns, professeur à Harvard et diplomate américain durant vingt-sept ans, “depuis 1980, il y a trente-deux ans, il n’y a pas eu de discussions soutenues entre notre gouvernement et celui de l’Iran […] ce qui est le meilleur moyen de faire des erreurs et de conduire au désastre, voire à la guerre si on ne fait pas attention.”29 Après l’occasion perdue en 2003 lorsque l’administration Bush n’a pas donné suite aux offres de Khatami et de Kharrazi,30 et malgré une ouverture de façade de l’administration Obama en début de mandat – la fameuse politique de la main tendue -, il n’est pas exagéré d’affirmer que l’option diplomatique n’a jamais été sérieusement tentée par les États-Unis dans cette crise, sans parler d’Israël.
Pourtant, seule la négociation pourrait mettre un terme à cet engrenage infernal qui semble tout droit nous diriger vers la catastrophe. Une résolution diplomatique de cette crise ne relève pas encore de l’impossible, à condition que chaque partie soit véritablement prête à s’engager dans un dialogue constructif, plutôt que de se retrancher dans ses positions. Du coté occidental, cela signifierait l’abandon de la posture coercitive actuelle au profit d’une attitude plus ouverte et coopérative. Comme évoqué, s’il y a risque de nucléarisation de l’Iran, c’est bien parce que les Iraniens se sentent vulnérables et menacés. Les méthodes coercitives ne font en fait que décupler ce sentiment, alors qu’une approche diplomatique l’atténuerait, diminuant ainsi drastiquement la probabilité qu’une bombe atomique perse voie le jour.
Comme Francis J. Gavin, éminent chercheur et véritable autorité en la matière, le souligne, “la politique étrangère américaine serait mieux servie si elle ne se focalisait pas tant de manière singulière et obsessive sur la prolifératon nucléaire, et prêtait plutôt davantage attention au contexte politique et sécuritaire au sein duquel les potentiels proliférateurs se trouvent.”31 La même recommandation est formulée par Stephen Walt, qui estime nécessaire d’assurer le régime iranien de sa sécurité avant de pouvoir mener à bien une négociation fructueuse.32 Quant aux dirigeants iraniens, une rhétorique plus tempérée leur permettrait de ne point braquer les Occidentaux. Au-delà des mots, ils devraient avant tout faire preuve d’une plus grande transparence, en mettant un point d’honneur à réduire les inquiétudes autour de la potentielle dimension militaire de leur programme nucléaire. Ce n’est que par le dialogue et le dépassement mutuel des idées reçues qu’une sortie de crise pourrait être entrevue. Mais on ne semble malheureusement pas en prendre le chemin…
1 WERK, Nikolaj, “Misunderstanding Rationality: The Failure of Sanctions against Iran”, Yale Journal of International Affairs, 30 juillet 2012.
2 “Sanctions européennes sans précédent contre l’Iran”, rts.ch, 24 janvier 2012.
Disponible sur: http://www.rts.ch/info/monde/3730774-sanctions–europeennes–sans–precedent–contre–l–iran.html
3 Times Topic: Iran, New York Times, consulté le 8 octobre 2012.
Disponible sur: http://topics.nytimes.com/top/news/international/countriesandterritories/iran/index.html?8qa
4 AMUZEGAR, Jahangir, “Iran’s economy and the US sanctions”, The Middle East Journal 51, no. 2 (1997): 185-199.
5 Werk, Nikolaj, op. cit.
6 LEKTZIAN, D., and SOUVA, M., “An Institutional Theory of Sanctions Onset and Success”, Journal of Conflict Resolution 51, no. 6 (2007): 848-871
7 DODGE, Toby, “The failure of sanctions and the evolution of international policy towards Iraq 1990-2003”, Contemporary Arab Affairs 3, no. 1 (2010): 82-90.
8 World Public Opinion, Iranians and their Nuclear Program, 22 September 2009.
Disponible sur : http://www.worldpublicopinion.org/pipa/pdf/sep09/IranNuc_Sep09_quaire.pdf
9 WALT, Stephen, “What I’d like to ask Mitt Romney about his foreign policy”, Stephen Walt’s blog (walt.foreignpolicy.com), 25 juillet 2012.
Disponible sur: http://walt.foreignpolicy.com/posts/2012/07/25/top_ten_questions_about_romneys_foreign_policy
10 FEIN, Bruce, “Iran : The Hawks’ Fantasyland”, The National Interest, 11 septembre 2012.
11 WALT, Stephen, “Top ten media failures in the Iran war debate”, Stephen Walt’s blog (walt.foreignpolicy.com), 11 mars 2012.
Disponible sur : http://walt.foreignpolicy.com/posts/2012/03/11/top_ten_media_failures_in_the_iran_war_debate
12 ROGERS, Paul, “Iran : Consequences of a War”, Oxford Research Group, february 2006.
Disponible sur : http://www.oxfordresearchgroup.org.uk/sites/default/files/IranConsequences.pdf
13 Rogers, Paul, op. cit.
COTTA-RAMUSINO, Paolo, HASSNER, Pierre et NORLAIN, Bernard, “Nuclaire iranien : toute attaque préventive serait une erreur fatale”, Le Monde, 18 avril 2012.
Disponible sur : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/18/nucleaire–iranien–toute–attaque–preventive–serait–une–erreur–fatale_1687114_3232.html
14 Rogers, Paul, op. cit.
15 KLIMASINSKA, Katarzyna, IVORY, Danielle, “Israeli attack on Iran would be destabilizing, Joint chiefs’ Dempsey says”, Bloomberg, 19 février 2012.
Disponible sur : http://www.bloomberg.com/news/2012-02-18/israeli–attack–on–iran–would–be–destabilizing–joint–chiefs–dempsey–says.html
16 WALT, Stephen, “The arab upheavals and Iran’s nuclear program”, Stephen Walt’s blog (walt.foreignpolicy.com),17 septembre 2012.
Disponible sur : http://walt.foreignpolicy.com/posts/2012/09/17/the_arab_upheavals_and_irans_nuclear_program
17 Résolution N° 3314 de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies du 14 décembre 1974.
Disponible sur : http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/3314(XXIX)&Lang=F
18 Walt, Stephen, op. cit., 17 septembre 2012
19 Interview de Thierry Coville par la RTS, 24 janvier 2012.
Disponible sur : http://www.rts.ch/rts/medias/audios/3733424-interview–de–thierry–coville–chercheur–a–l–iris–specialiste–de–l–iran-24-01-2012.html
20 Cotta-Ramusino, Paolo, Hassner, Pierre et Norlain, Bernard, op. cit.
21 ALLISON, Graham, “The Cuban Missil Crisis at 50”, Foreign Affairs, juillet/août 2012.
22 “Iran nuclear sites may be beyond reach of « bunker busters »”, Reuters, 12 janvier 2012.
Disponible sur : http://www.reuters.com/article/2012/01/12/us–iran–nuclear–strike–idUSTRE80B0WM20120112
23 Cotta-Ramusino, Paolo, Hassner, Pierre et Norlain, Bernard, op. cit.
24 WALTZ, Kenneth, “Why Iran Should Get the Bomb : Nuclear Balancing Would Mean Stability”, Foreign Affairs, Juillet/Août 2012.
25 Cotta-Ramusino, Paolo, Hassner, Pierre et Norlain, Bernard, op. cit.
26 Rogers, Paul, op. cit.
27 GRIBBIN, Alice, “How do we stop Iran getting the bomb?”, New Statesman, 16 février 2012.
Disponible sur: http://www.newstatesman.com/blogs/the–staggers/2012/02/iran–israel–blix–nuclear
28 VÉDRINE, Hubert, “Iran : comment éviter d’avoir à choisir entre la bombe et les bombardements”, Telos, 28 septembre 2007.
Disponible sur :http://www.telos–eu.com/fr/globalisation/politique–internationale/iran–comment–eviter–davoir–a–choisir–entre–la–bomb.html
29 BURNS, Nicholas, “The U.S. and Iran”, American Conversation Essentials series, 92Y & Harvard Kennedy School, 16 avril 2012.
Disponible sur: http://www.youtube.com/watch?v=6fsNigodA9c&feature=plcp&fb_source=message
30 Védrine, Hubert, op. cit.
31 GAVIN, Francis, “Same as it Ever Was : Nuclear Alarmism, Proliferation, and the Cold War”, International Security, Vol. 34, N° 3 (hiver 2009/2010), pp. 7–37.
J'viens de finir de lire ce dernier volet. Excellent travail les gars!