Les annonces du rachat par Christoph Blocher du journal genevois GHI ont créé l’émoi mi-avril. Rien n’est encore fait, nuance toutefois l’élue PLR Véronique Kämpfen. La cheffe de la communication à la FER Genève prend la plume et dénonce un « naufrage journalistique ». Partagez-vous son avis ?
Blocher rachète le GHI. C’est en substance ce qu’ont écrit et répété tous les médias de Suisse romande après l’annonce de Tamedia, le 18 avril dernier, de vouloir céder ses parts au tribun zurichois, dans le cadre de la reprise de la Basler Zeitung. Seulement voilà, rien n’est fait. La famille Fleury, propriétaire à 50% de GHI et de Lausanne Cité, dispose d’un droit de préemption; elle a un mois pour le faire valoir.
Ce qui est étonnant dans cette affaire, ce n’est pas tellement l’accord passé entre Tamedia et Christoph Blocher, père de l’UDC, qui met dans le panier de la mariée d’un côté la Basler Zeitung et de l’autre la feuille d’avis officiels Tagblatt der Stadt Zürich et les journaux gratuits Furttaler, Rümlanger et, sous réserve de l’accord de la famille Fleury, 50% de participation dans le GHI et Lausanne Cité. Non, ce qui est étonnant, c’est le naufrage journalistique qui s’en est suivi. Parce que Christoph Blocher et Pietro Suppino, président de Tamedia, l’ont annoncé lors d’une conférence de presse, tous les médias se sont empressés de prendre cette nouvelle pour argent comptant. Ils ont commenté cet épisode comme si la transaction avait déjà eu lieu, ce qui n’est toujours pas le cas. Aux dernières nouvelles, Christoph Blocher doit rencontrer Jean-Marie Fleury pour discuter de cette question.
A la suite de la nouvelle précipitée du prétendu rachat – on n’est pas loin de la fake news – les commentaires sont allés bon train. Blocher utiliserait ces médias pour servir la soupe de l’UDC, l’indépendance de la presse irait à vau-l’eau, ces médias locaux seraient dirigés depuis Zurich et perdraient donc toute leur raison d’être.
Revenons un court instant sur l’histoire du journalisme. Comme le rappelait l’historien Alain Clavien dans un excellent article paru récemment dans L’Evénement syndical, Le Journal de Genève a réalisé des pertes pendant quasiment ses 200 ans d’existence; ses caisses étaient systématiquement renflouées par les banquiers genevois. C’était connu et ne gênait pas grand monde. Durant une bonne partie du 19e siècle, « la presse est avant tout une affaire politique », ce qui ne semble déranger personne, la chose étant transparente. A côté de cette presse politisée, on voit peu à peu émerger des titres qu’on nommerait aujourd’hui populistes, à l’instar de la Tribune de Genève, dont l’éditeur, un Américain, veut financer la parution par le biais d’annonces publicitaires. Le positionnement du journal est limpide, il doit s’adresser aux « concierges » et comporter un maximum de faits divers. Et, fait nouveau, son indépendance journalistique est proclamée dès la première édition: « Nous n’accepterons aucun mot d’ordre nous réservant toute notre indépendance, nous garderons notre liberté d’appréciation vis-à-vis de tous les partis … ». C’est également à ce moment-là que la publicité prend un rôle prépondérant dans le modèle d’affaires des médias. Les abonnements et la vente au numéro n’ont longtemps pas suffi à couvrir les frais, sans parler de dégager un bénéfice.
Politique, publicité et journalisme ont toujours été étroitement mêlés. L’intérêt que Christoph Blocher porte depuis longtemps à la presse et aux médias est le reflet de cette réalité séculaire.
Portrait pessimiste de la presse? Loin s’en faut. Mediapart est un excellent exemple de média en ligne grand public, payant, qui a réussi à trouver son équilibre financier deux ans après son lancement. D’autres journaux, comme le New York Times, ont eux aussi trouvé un modèle économique intéressant, notamment en se détachant fermement de l’information gratuite à tout va. Pour les titres en main de grands groupes comme Tamedia, la difficulté réside dans le fait qu’ils ont repris à leur propre compte les plateformes de petites annonces qui faisaient les affaires des journaux papier, notamment des gratuits. Dans l’hypothèse d’une reprise d’un journal comme le GHI par Christoph Blocher, il faudra être attentif à l’évolution du modèle d’affaires tout autant qu’à celle du modèle journalistique. Un journal peut-il dégager suffisamment de bénéfices pour être attractif aux yeux des actionnaires? Sans revenus publicitaires, sans abonnements, sans mécènes et sans le génie journalistique de certains rédacteurs en chef hors norme, il est permis d’en douter.
Ce journal est déjà un journal d'extrême-droite, il n'y a qu'à voir le récent titre où on amalgamait musulman et…