Politique Le 20 novembre 2018

Quelles solutions politiques pour lutter contre la précarité des femmes?

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Quelles solutions politiques pour lutter contre la précarité des femmes?

La Grand Conseil genevois compte aujourd’hui un tiers de femmes parmi ses élus.

La précarité touche-t-elle davantage les femmes que les hommes? Si oui, comment l’expliquer et, surtout, comment y remédier? Dans cet article, Charlotte Frossard et Stefan Renna ont sondé diverses politiciennes genevoises issues de l’ensemble du spectre politique, actives dans le canton au Grand Conseil ou à Berne au sein des chambres fédérales. Les solutions proposées sont-elles identiques ou divergent-elles selon les partis? 

Retrouvez les autres contributions de notre dossier thématique consacré à la précarité ici.


 

L’image avait frappé les esprits le 28 février dernier. Une dizaine de conseillères nationales assistent au débat du Conseil des Etats à propos d’un projet de loi visant à imposer aux entreprises une obligation de transparence sur l’égalité salariale entre hommes et femmes. Un coup de pression sans effet ce jour-là, puisque la Chambre haute renvoie – par 25 voix contre 19 – le projet en commission.

Une photo prise par Ada Marra lors du fameux débat aux Etats où diverses conseillères nationales sont venues « mettre un peu de pression à une assemblée pratiquement que masculine qui va devoir décider de notre vie, de notre valeur », selon les mots de la socialiste vaudoise.

 

Pourtant, en Suisse, les femmes continuent de gagner en moyenne 12% de moins que les hommes tous secteurs confondus1. Une inégalité économique qui, couplée à d’autres facteurs (voir ci-dessous), a une incidence sur le rapport à la précarité. C’est donc à cette catégorie de la population que nous avons choisi de consacrer le dernier article de notre dossier spécial. Pour ce faire, nous nous sommes concentrés sur l’angle politique de ce phénomène, en interrogeant plusieurs politiciennes genevoises issues de tous les partis. L’idée étant – premièrement – de déterminer si le constat selon lequel les femmes sont davantage touchées par la précarité que les hommes en Suisse est partagé par l’ensemble du spectre politique. Puis, dans le cas où cette première hypothèse est vérifiée par les réponses reçues, nous verrons quelles sont les solutions proposées par les différentes politiciennes et en quoi celles-ci diffèrent selon le parti politique.

Avant de découvrir la teneur des propos recueillis, un premier élément d’analyse réside dans l’absence de réponse de la part de certaines figures de la vie politique du canton. Malgré plusieurs rappels et relances, il est intéressant de noter que les politiciennes des partis situés aux deux extrêmes de l’échiquier politique n’ont pas donné suite à nos sollicitations. C’est pour cette raison que vous ne trouverez pas dans les lignes qui suivent de réactions émanant de femmes membres d’Ensemble à Gauche, ni de l’UDC et du MCG. Si les partis de droite dure n’ont pas pour habitude de placer la question d’égalité au centre de leur agenda politique (ou alors en l’instrumentalisant, lire à ce sujet sur Jet d’Encre « Naturalisation facilitée: une burqa pour mieux se voiler la face »), le désintérêt des représentantes de gauche radicale, traditionnellement sensibles aux préoccupations féministes, a de quoi surprendre.

 

Constat partagé

Inutile de garder un semblant de suspense quant au constat d’un différentiel entre hommes et femmes face à la précarité. L’ensemble des sondées nous l’affirme : oui, les femmes sont davantage touchées. Cette analyse partagée semble bel et bien être ancrée dans les faits puisque, selon un rapport de l’Office fédéral de la statistique, 8,5% des femmes se trouvaient dans une situation de précarité en 2016, contre 7,5% d’hommes. Un état de fait « préoccupant », s’inquiète la conseillère nationale verte Lisa Mazzone.

Pourquoi cette inégalité ? Les explications sont évidemment multiples. Mais certains facteurs sont cités par l’intégralité du panel. Le fait que les femmes sont majoritairement concernées par les emplois à temps partiel (près de 60% des femmes travaillent à un taux inférieur à 90% contre 16% d’hommes, rappelle Lisa Mazzone) est de ceux-là. Plus largement, explique Liliane Maury Pasquier, députée socialiste au Conseil des Etats, les femmes « connaissent plus fréquemment des conditions de travail précaires (contrat à durée déterminée, cumul de plusieurs activités, sous-emploi) ». Ce phénomène a aussi une incidence sur les risques de précarité une fois arrivées à la retraite en raison de cotisations au deuxième pilier moindres, indique la Verte Alessandra Oriolo.

Très souvent, le travail à temps partiel est lié à la difficile conciliation entre vie professionnelle et vie de famille. « Aujourd’hui encore, dénonce la socialiste Caroline Marti, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à réduire leur temps de travail ou arrêter leur activité professionnelle pour se charger des tâches domestiques, ce qui fragilise leur situation financière et prétérite un éventuel retour en emploi ».

Et c’est encore pire pour les femmes qui se retrouvent seules avec un ou plusieurs enfants : « En cas de séparation, l’absence de revenus met ces femmes dans une situation difficile », se désole Delphine Bachmann, députée PDC au Grand Conseil genevois. Véronique Kämpfen, libérale-radicale, va, elle, encore plus loin: « Les enfants sont, et c’est triste à dire, un facteur de paupérisation » (ce que laissait aussi entendre dans nos colonnes Vérène Morisod, collaboratrice chez Caritas Genève).

Sa jeune collègue de parti, Diane Barbier-Mueller, fraîchement élue au Grand Conseil, pointe un autre facteur économique : les inégalités, « encore existantes et importantes », entre le revenu médian d’un homme et celui d’une femme en Suisse. « Tous les mois, c’est de l’argent qui manque dans le porte-monnaie des femmes », complète Lisa Mazzone.

La vice-présidente des Verts insiste également sur « la place assignée aux femmes dans notre société, structurée de façon conservatrice ». Une société « toujours hautement patriarcale qui favorise la précarité des femmes », ajoute sa co-partisane Alessandra Oriolo. Selon cette dernière, cela se ressent notamment dans le rapport à l’emploi, car « les postes à responsabilités sont encore aujourd’hui majoritairement occupés par des hommes à col blanc ».

En revanche, les postes dans des professions précaires et sous-payées rencontrent une surreprésentation des femmes. Des « secteurs réputés féminins », précise Véronique Kämpfen, où l’on retrouve des métiers tels qu’infirmier-ère et aide-soignant-e, liste Alessandra Oriolo, ou encore fleuriste, coiffeur-se ou esthéticien-ne, ajoute Caroline Marti. Selon Lisa Mazzone, « 60% des postes dont le niveau de salaire est inférieur à 4500 francs bruts par mois sont occupés par des femmes », alors que « 83,3% des emplois dont la rémunération dépasse 16’000 francs bruts mensuels sont le fait d’hommes ».

Emplois « féminins », inégalités salariales, société patriarcale, temps partiels et mères célibataires : vous l’aurez compris, la nature des explications qui nous ont été données transcendent les frontières de partis. Si les politiciennes se rejoignent dans les grandes lignes sur les causes, qu’en est-il des solutions ? Les programmes se ressemblent-ils ou assiste-t-on à un clivage gauche-droite ? Voici ce que proposent sept femmes politiques genevoises.

 

Comment lutter contre la précarité des femmes?

 

Liliane Maury Pasquier, députée socialiste au Conseil des Etats

Les solutions sont multiples. De manière générale, il s’agit de lutter contre les inégalités dans la formation, la vie professionnelle et la répartition des tâches familiales entre femmes et hommes. Plus concrètement et plus spécifiquement, il faut que l’égalité salariale devienne enfin réalité et que le temps partiel soit mieux valorisé. En outre, l’accueil extrafamilial doit encore être développé. Il s’agit également d’amortir le risque de pauvreté en cas de divorce (avec des pensions couvrant les besoins vitaux), mais aussi d’encourager l’implication des pères auprès de leurs enfants dès le départ, en mettant en place un congé paternité et autres congés parentaux.

 

Caroline Marti, députée socialiste au Grand Conseil

Il faut promouvoir une meilleure répartition des tâches dans le couple et faciliter la conciliation entre vie privée et vie professionnelle par le développement du temps partiel, l’augmentation du nombre de places en crèches et l’instauration d’un congé parental. Par ailleurs, établir un salaire minimum permettrait de revaloriser certains salaires dans des branches « féminines ».

 

Alessandra Oriolo, députée verte au Grand Conseil

Il nous faut agir sur plusieurs plans. Dans la formation par exemple, il faut favoriser la mixité dans l’orientation et la formation initiale afin de réduire la surreprésentation des femmes dans certaines professions. Il faut agir également sur le renforcement des dispositifs de garde pour enfants afin de permettre aux femmes d’accéder aux mêmes postes que les hommes. Il faut une meilleure répartition des tâches familiales dans le couple et pour cela il est nécessaire d’instaurer un congé parental à se répartir entre les deux parents comme c’est déjà le cas dans certains pays. Aussi, il faudrait favoriser l’accès à la vie politique pour les femmes en instaurant, pendant une période, des quotas. Enfin, il faut féminiser l’espace public ! Les solutions sont multiples et se jouent à plusieurs niveaux mais, pour cela, il est essentiel que hommes et femmes se rassemblent pour un combat commun, celui de l’égalité.

 

Lisa Mazzone, conseillère nationale verte

Les Vert-e-s s’engagent pour une société égalitaire. Cela passe par l’égalité salariale, la revalorisation des postes dits « féminins », l’engagement des hommes dans les foyers (notamment via le congé parental et la promotion du temps partiel) et le soutien à la conciliation des vies familiale et professionnelle, notamment par une offre en places de crèche suffisante. A côté de ces changements urgents et nécessaires, l’accès et les possibilités de formation et de reconversions (par une formation) sont primordiaux.

Il faut également mettre en place des politiques sociales qui permettent de sortir de la précarité et veiller à préserver les prestations publiques. A ce titre, la réforme de la fiscalité est particulièrement préoccupante, puisqu’elle réduira les moyens financiers des collectivités et que ce sont en général les plus précarisés qui en font les frais. Au contraire, il faut faciliter l’accès aux prestations, améliorer les services et conseils (un quart des ayants droit à l’aide sociale ne la sollicite pas) et apporter du soutien ciblé aux familles monoparentales.

 

Delphine Bachmann, députée démocrate-chrétienne au Grand Conseil

En agissant en amont ! En assurant une formation pour toutes et, ensuite, en encourageant les femmes à travailler par la mise en place de toutes les mesures de conciliation vie privée-professionnelle possibles. Il faut également réviser certains barèmes d’accès à des aides qui ne sont plus actuels.

 

Véronique Kämpfen, députée libérale-radicale au Grand Conseil

On ne répétera jamais assez aux femmes à quel point il est indispensable qu’elles travaillent à un pourcentage suffisamment élevé, soit au moins 70%, pour qu’elles puissent non seulement disposer d’une autonomie financière suffisante pendant leur période professionnellement active, mais qu’elles puissent également compter sur une retraite digne. Un abaissement de la déduction de coordination du deuxième pilier serait une mesure qui améliorerait cette situation. Cette déduction est la part du salaire sur laquelle les cotisations pour le deuxième pilier ne sont pas perçues et qui n’entraîne donc pas de rente. Aujourd’hui, cette tranche de salaire est fixée à 24’675 francs, ce qui est une forte somme sur un petit salaire ou sur un salaire à temps partiel.

Pour parvenir à travailler à un pourcentage élevé, les femmes doivent pouvoir disposer de solutions de garde pour les enfants afin de concilier au mieux vies professionnelle et privée. C’est un deuxième axe d’action sur lequel il est possible d’agir.

Enfin, la formation, initiale et continue, est la clé. Elle joue un rôle crucial dans le risque de pauvreté, avec un facteur quatre entre les personnes au bénéfice d’une formation tertiaire et celles sans formation post-obligatoire. Des études montrent que l’ascenseur social grâce à la formation pourrait mieux fonctionner. Trente pour cent des enfants dont les parents n’ont pas de formation post-obligatoire n’en auront pas non plus. Un des écueils à éviter est une sélection trop précoce dans une voie, par exemple pré-gymnasiale, comme la connaissent certains cantons. A Genève, le système relativement souple, avec de nombreuses passerelles, est à saluer.

 

Diane Barbier-Mueller, députée libérale-radicale au Grand Conseil

Les mesures devraient dépasser les clivages politiques et les solutions passent par le travail, et la formation. Concernant les femmes, il faut qu’elles puissent concilier vie familiale et vie professionnelle. Nous devons intégrer et accepter des méthodes de travail acceptant le télétravail, partiel du moins, pour permettre aux femmes de gagner une indépendance financière. Il faut faire évoluer les cultures, aussi, favoriser et accentuer une politique de promotion de l’égalité entre hommes et femmes, et faire disparaître les disparités en matière de salaire.

La motion demandée par Nathalie Fontanet l’année dernière est une première mesure concrète : le doublement des assistantes de Pro Juventute, les « Mary Poppins », ces assistantes parentales gardant les enfants à domicile qui permettent de pallier le manque de places dans les crèches et d’alléger les mères souhaitant travailler. Mais ce sont également des emplois de solidarité (EdS) qui permettent de former et de réinsérer des personnes en fin de droits de chômage. Ces femmes recevront une formation, reconnue, de 240 heures. Elles sont ensuite suivies par Pro Juventute et bénéficient de formations continues. C’est une première opportunité concrète, qui permet d’aider des femmes à sortir de la précarité.

 

Matière à débattre

Des mesures très concrètes, d’autres qui tendent à agir sur les inégalités structurelles entre hommes et femmes : les pistes sont nombreuses. Encore faut-il que les collègues masculins de ces politiciennes veuillent bien les parcourir avec elles. Ensemble, en discutant.

C’est d’ailleurs ce que nous avons tenté de faire – modestement et à notre échelle – en vous proposant de la matière à débattre dans notre premier dossier thématique consacré à la précarité. Toutes les autres contributions sont à découvrir ici.

 


1. Selon l’Office fédéral de la statistique, qui se base sur les chiffres de 2016 (https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/salaires-revenus-cout-travail/niveau-salaires-suisse/ecart-salarial.html). Attention toutefois, car 40% de cet écart reste « inexplicable » (https://www.letemps.ch/suisse/salaires-lecart-entre-femmes-hommes-reste-partie-inexplique)

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