Politique Le 19 janvier 2018

La commune de Carouge s’érige en laboratoire de la démocratie participative

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La commune de Carouge s’érige en laboratoire de la démocratie participative

Une affiche du concours « Construisons ensemble la Carouge de demain » sur l’esplanade de la salle des fêtes et du Théâtre de Carouge. [S.Renna]

La commune de Carouge, à Genève, propose trois projets liés au développement durable. Curiosité? Ses citoyens choisiront celui qui deviendra concret, en votant pour leur favori. C’est l’une des initiatives menées par la cité sarde pour favoriser la démocratie participative, relate Stefan Renna dans cet article.


 

Vivre à Carouge, c’est bon pour la santé, selon un dicton populaire. Bon, d’accord, la formule empruntée à notre conseiller fédéral Johann Schneider-Amman est un poil tronquée. Mais on ne peut nier qu’une atmosphère particulière émane de la cité sarde. Au point de susciter l’intérêt des touristes et des Genevois extra-muros avec ses petites ruelles commerçantes, ses bars et restaurants animés et sa situation géographique – à deux pas du lac Léman et de la campagne genevoise. Et les Carougeois dans tout ça ?

Qu’ils confirment ou non tout le bien que l’on prête à leur commune, les habitants ont diverses possibilités de participer à son organisation et à son fonctionnement. Dans les urnes, évidemment, mais également à travers des initiatives qui vont dans le sens d’une pratique active de la démocratie participative.

 

Trois projets, un vote, un vainqueur

Une fois par mois, les trois conseillers administratifs de la Ville – Anne Hiltpold (PLR), Stéphanie Lammar (PS) et Nicolas Walder (Verts) – ouvrent les portes de la Mairie pour y recevoir la population. L’occasion pour les Carougeois de s’entretenir directement avec leurs magistrats et de leur transmettre doléances, suggestions ou félicitations. Par ailleurs, la cité sarde consulte également ses citoyens en matière d’urbanisme. C’est notamment le cas pour la zone Grosselin, où un futur quartier d’habitations sortira de terre dans le cadre du projet PAV (Praille-Acacias-Vernets). Avec la volonté que ce quartier soit créé et fonctionne sur le mode participatif. Et en ce début d’année 2018, les Carougeois sont à nouveau appelés à contribution : cette fois, c’est pour choisir un projet lié au développement durable.

L’idée est proposée à l’automne 2017 par Gaëlle Haeny, responsable du développement durable à Carouge, à l’occasion des dix ans du programme Agenda 21. Plutôt que d’imposer un projet par le haut, pourquoi ne pas mettre en avant l’une de ces initiatives qui sont quotidiennement proposées par des habitants ? L’exécutif communal est séduit et c’est ainsi que naît Construisons ensemble la Carouge de demain. Trois projets, présélectionnés parmi 17 candidats par un jury composé de membres d’associations actives dans le développement durable, sont soumis au vote des citoyens jusqu’au 31 janvier. Un festival du commerce équitable, une épicerie participative ou un programme « Carouge zéro déchets » (voir ci-dessous) : le vainqueur verra son idée devenir réalité, grâce au soutien de la Ville.

 

Incitation participative

Pour ce faire, Carouge y consacre un beau budget. Vingt mille francs, plus exactement. Une somme investie en partie dans la promotion de ce concours citoyen sur les réseaux sociaux. Les trois projets sont présentés en vidéo, avec une image soignée et un son impeccable. « Le monde du développement durable a longtemps pêché par son amateurisme », explique Nicolas Walder. Aujourd’hui, les opérations de communication sont « indispensables pour faire accepter un projet par la population », selon le magistrat. Dans cette optique, les réseaux sociaux peuvent être« utilisés à bon escient » en faisant circuler des contenus liés aux thématiques de responsabilité socio-environnementale. In fine, pour le conseiller administratif Vert, l’important est qu’il y ait du « concret derrière ». Et s’il faut « mettre les moyens pour présenter quelque chose de bien, tant mieux ! »

La recette semble en tout cas fonctionner. « C’est super ! Je trouve vraiment bien que Carouge valorise des projets respectueux de l’environnement et souhaite favoriser des solutions de consommation plus durables », se réjouit Lorraine. Cette Carougeoise de 24 ans, qui avoue avec humour une « petite veine écolo-bobo », a même déjà choisi son favori parmi les trois projets en lice : « j’ai voté pour l’épicerie Epi’Coop, car c’est celui qui me paraît le plus complet avec la prise en compte de préoccupations à la fois environnementales et sociales ». De son côté, Gina, 58 ans, n’a pas (encore ?) voté : « comme je n’ai pas Facebook, je n’étais pas au courant de ce concours », précise-t-elle. Mais ce type d’opérations est une « bonne chose », indique l’habitante de la Fontenette : « je ne suis pas très impliquée d’habitude, donc ceci peut m’inciter à participer davantage ». Surtout que d’autres n’ont pas cette chance : « C’est dommage que seulement les habitants de Carouge puissent voter pour ces utiles projets », se désole une certaine « Ev Ka » dans un commentaire posté sur la page Facebook de la Ville de Carouge. Sous ce post, une autre internaute demande même à négocier : « J’habite au 1255 [Veyrier, ndla] mais suis carougeoise d’état civil… cela peut se discuter pour la votation et les ateliers déchets zéro ? Merci ! »

Même son de cloche du côté des porteurs de projet. « C’est une formidable opportunité pour donner aux citoyens les moyens de réaliser des idées concrètes de développement durable », s’enthousiasme Leticia Regueiro, 31 ans. Et même dans l’éventualité où son programme « Carouge zéro déchet » ne remporte pas les suffrages, l’initiative aura eu le mérite de « sensibiliser les gens aux problèmes des déchets, comment les réduire et surtout leur montrer que c’est faisable », glisse la Carougeoise d’adoption.

 

Alors, pionnière Carouge ?

La carotte serait-elle plus efficace que le bâton en matière d’environnement et de développement durable ? « L’accueil est de plus en plus positif pour ce genre de projets participatifs », relève Nicolas Walder. L’objectif est de montrer qu’une idée issue de la société civile peut être non seulement entendue, mais aussi réalisée. Pour l’élu carougeois c’est simple, il ne se voit pas « gouverner » sans la participation directe des citoyens. Mais à la Mairie, le Vert n’est pas seul. La libérale-radicale Anne Hiltpold et la socialiste Stéphanie Lammar complètent le conseil administratif carougeois, lequel penche donc à gauche. Un avantage politique décisif pour mettre en pratique une certaine vision de la démocratie participative ? « Il y a des orientations et des priorités qui sont mises sur certaines choses liées à un programme de gauche, c’est certain », concède le président des Verts genevois. Toutefois, si certains élus considèrent que ce genre d’initiatives est une perte de temps et d’argent, « cela se passe très bien avec Madame Hiltpold », tient à préciser Nicolas Walder.

En fin de compte, la commune serait-elle l’échelle idéale pour innover en matière de démocratie participative ? Bisbilles idéologiques moins marquées qu’au niveau cantonal ou fédéral, relations interpersonnelles plus directes entre élus et citoyens, ou encore nombre d’habitants à « convaincre » relativement moins élevé : les éléments semblent pointer dans cette direction. La cité sarde a d’ores et déjà été distinguée en matière de commerce équitable – elle est la première commune romande à recevoir la distinction de « Fair Trade Town »1 – et fait partie du réseau « Smart City » qui relie des villes européennes « intelligentes, agiles et ouvertes »2 comme Manchester, Helsinki ou Santander. Prochaine étape : devenir une commune de référence dans le domaine de la participation citoyenne ?

 


1. Voir un article du Courrier à ce sujet ici et une interview de Gaëlle Haeny, déléguée Agenda 21 à Carouge, sur les ondes de LFM .

2. https://www.carouge.ch/sites/default/files/u1913/ville_de_carouge_communique_de_presse_open_and_agile_smart_city.pdf

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