Économie Le 23 janvier 2018

No Billag : la « mauvaise économie » en action

0
0
No Billag : la « mauvaise économie » en action

La RTS sous la neige / Décembre 2017.
Photo: Laurent Bleuze (Page Facebook RTS)

La campagne portant sur l’initiative populaire No Billag a été lancée. Les deux camps avancent leurs arguments et le débat promet d’être agité. L’économiste Frédéric Martenet explique pourquoi, selon lui, les initiants font un mauvais usage de l’économie pour défendre un texte qui rapprocherait la Suisse d’un système à l’américaine avec des médias politisés.


 

L’économie est à la fois une science et un art. Elle est la science de construire des modèles et l’art d’appliquer le bon modèle à chaque situation. L’initiative populaire No Billag est un exemple de « mauvaise économie » où des modèles sont appliqués hors de leur contexte. Les initiants en font usage pour soutenir un texte qui met en péril un aspect crucial au bon fonctionnement de notre démocratie.

Le texte de No Billag propose de supprimer tout soutien financier de la confédération à des chaînes de radio ou de télévision. La SSR, l’entreprise de média publique suisse, perdrait les trois quarts de ses revenus. L’offre actuelle serait massivement réduite, selon le Conseil Fédéral.

Les initiants utilisent certains raisonnements économiques pour justifier leur proposition. Ils considèrent la SSR comme une entreprise en position de monopole, ce qui fausse le marché et freine la capacité d’innovation des acteurs privés.  Selon eux, supprimer la redevance mènerait à une concurrence plus libre et ainsi à une offre de meilleure qualité, davantage de diversité, et des prix plus bas.

En bref, ils affirment que les monopoles ne sont pas bénéfiques, alors que la concurrence oui. Et ils ont raison, c’est parfois vrai. Cependant, ce n’est pas le cas dans le contexte de la SSR.

Les effets bénéfiques de la concurrence et les mauvais côtés des monopoles avancés par les initiants sont les conclusions de modèles économiques simples, fondés sur des hypothèses bien précises. Les conclusions de ces modèles ne sont valides que si ces hypothèses sont vérifiées. Ce n’est tout simplement pas le cas dans le contexte de la SSR.

Les initiants omettent de prendre en considération que la SSR produit ce que les économistes appellent une « externalité positive » en rendant disponible à tous les citoyens une information non-partisane sur les sujets politiques importants1.

Les citoyens suisses sont appelés aux urnes quatre fois par an. C’est une chance extraordinaire de pouvoir se prononcer sur autant de sujets. Mais cette chance peut se transformer en menace pour notre démocratie si l’information est faussée. A l’ère des « fake news », plus que jamais, il est important que les Suisses aient accès à des sources d’informations crédibles pour se forger un avis critique et voter en connaissance de cause. Bien que qualifiée de « gauchiste » par les initiants, ce qui en dit beaucoup sur leurs intentions, la SSR se veut indépendante de toute influence de la politique, des milieux économiques ou d’autres groupes d’intérêts. Aucune ligne partisane n’est imposée.

Le système actuel permet aux journalistes de la SSR de travailler sans pressions de la part d’éventuels investisseurs ou actionnaires. Cela permet à la population Suisse de recevoir une information suffisamment neutre pour pouvoir se forger un avis lors de chaque votation.

Aux États-Unis par exemple, certaines chaînes de télévision sont loin d’être aussi impartiales. Une récente étude d’un économiste de l’Université de Stanford a démontré l’influence politique de certaines d’entre elles. Le graphique ci-dessous montre l’évolution de l’idéologie de trois chaînes américaines : Fox News en rouge, CNN en violet, et MSNBC en bleu. Plus la ligne est haute, plus la chaîne supporte des sujets conservateurs. On remarque que la polarisation s’est fortement accentuée. Fox News est devenue plus conservatrice alors que CNN et MSNBC sont devenues plus libérales. Ces chaînes de télévision sont donc susceptibles de présenter l’information de manière plus favorable au camp qu’elles soutiennent. L’étude démontre également que Fox News a eu un impact sur le nombre de votes pour le parti conservateur des Républicains. Une chaîne de télévision peut donc influencer le résultat d’une votation.

 

Figure 1 - Idéologie estimée par chaîne de TV. Source : Yurukoglu et Martin (2017).

Figure 1 – Idéologie estimée par chaîne de TV. Source : Yurukoglu et Martin (2017).

 

Ces données ne vont que jusqu’à 2012, mais la situation ne semble pas s’être renversée. Le Président conservateur Donald Trump cite fréquemment Fox News en éloge et discrédite CNN et MSNBC en les traitant de « fake news ».

Des médias politiquement biaisés ne servent pas les intérêts des citoyens. Ils servent les intérêts des partis politiques, des investisseurs et des actionnaires qu’ils soutiennent. Les citoyens suisses ont la chance d’avoir accès à une information libre de biais idéologique. Cet aspect est crucial au bon fonctionnement de notre démocratie. L’initiative No Billag le met en danger et rapprocherait la Suisse d’un système à l’américaine avec des médias politisés.

 


1. Il est possible que l’activité de certaines entreprises génère un bénéfice pour la société qu’elles ne perçoivent pas (une externalité positive), ou inversement un coût qu’elles ne supportent pas (une externalité négative). Il peut être désirable que l’État intervienne pour que l’effet de ces externalités soit pris en compte. Un exemple d’externalité positive est le secteur académique. L’éducation est source de nombreuses externalités positives pour la société comme des travailleurs plus productifs et des citoyens plus engagés. Cependant, les universités ne perçoivent aucun de ces bénéfices directement. C’est ce qui justifie un subventionnement par l’État.

 

Laisser un commentaire

Soyez le premier à laisser un commentaire

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.