Partie 1: « MONTE DANS LA DELO’, J’VAIS DANS LE FUTUR »
Voilà presque deux mois que les médias francophones ne parlent plus que de lui. Chaque jour ou presque, on est bombardés d’interviews, reportages, chroniques, et autres articles. Pour ne citer que les plus marquants ou plus connus: le Grand Journal de Canal+, Touche Pas à Mon Poste sur D8, le Parisien, les Inrockuptibles, Libération, ou encore le 20 Minutes. Tout récemment, c’est même Groland, l’émission culte de Canal, qui le parodiait ; une petite consécration en soi, l’aboutissement d’une campagne rondement menée1.
De son côté, la blogosphère se lâche également sur le personnage, en continu. Les réseaux sociaux sont parsemés de citations tirées de ses écrits, et l’homme a plusieurs fois figuré au top des sujets les plus discutés sur Twitter, entre autres2.
À chaque entrevue, on lui évoque ses rivaux, et son rapport avec le public. « Je suis le numéro 1 », répond-il constamment. Confiance en soi. Mais confiance justifiée, confirmée. Le 4 décembre dernier en effet, les chiffres tombaient. Comme des citoyens qui se rendent aux urnes pour élire celui qu’ils considèrent comme leur meilleur représentant, les amateurs de Rap (et/ou de musique en général) s’étaient déplacés en masse pour soutenir celui qu’ils voient comme le « Boss du Rap Game ». Entendez : le plus fort de la compétition. Booba.
51’000 ventes la première semaine pour son sixième album solo, « Futur » (sorti le 26 novembre). Disque d’or en quelques jours donc. Dont 16’000 en digital. Ce dernier chiffre constitue le record absolu de ventes non-physiques en France depuis l’avènement de Itunes et autres plateformes Internet3. Pas fini. Le rappeur français vient d’être nominé aux World Music Awards, aux côtés de Rihanna et Justin Bieber notamment4. Excusez du peu. À 36 printemps5, Élie Yaffa de son vrai nom6 arrive ainsi à se maintenir en haut de l’affiche. Un peu comme un Jay-Z aux États-Unis, toutes proportions gardées. Ironique tout de même pour un genre musical qu’on a eu cesse de considérer comme étant fait par et pour les jeunes, cela dit en passant…
Mais alors pourquoi un tel succès sur la durée ? Comment ?? D’où ?! Hmm… Pour des réponses à ce type de questions, passez votre chemin. En effet, s’il était nécessaire d’introduire quelque peu le sujet en plantant le décor général, on n’abordera plus que rarement le point de vue économico-médiatico-sociétal du phénomène « B.2.O.B.A ». Non, la suite de cet article se concentrera plutôt sur ce qui constitue probablement la facette la plus intéressante du personnage : son écriture. Car oui, si Booba fascine, si Booba est adulé ou détesté, si ses disques s’arrachent comme des petits pains au chocolat en plein mois d’août (spéciale dédicace à toi Jean-François), ce n’est pas seulement parce qu’il cultive son image. Ni parce qu’il a su gérer son business tel un vrai chef d’entreprise triomphant, avec sa marque de vêtements « Ünkut » par exemple. C’est aussi et surtout parce qu’il est un des plus fins paroliers que la langue française a pu rencontrer.
« Euh, pardon ?! Comment tu peux dire ça ?! Booba, c’est tellement peu recherché c’qu’il dit, comment tu peux kiffer ses textes, toi qui as fait des études ?! »… Banalité. Les soi-disant « puristes » du Rap, les « C’était mieux avant », ou encore les fans d’artistes rivaux (Rohff ou La Fouine pour ne citer qu’eux)… Autant de personnes qui refusent de tendre l’oreille plus attentivement. On peut comprendre qu’au niveau du fond, la violence de certains propos ou le message généralement véhiculé – capitalisme comme maître mot – puissent en rebuter plus d’un. Toutefois, il en devient beaucoup plus difficile d’avoir quoi que ce soit à redire au niveau de la forme. Booba raconte peut-être souvent (pas toujours) des bêtises, certes. Mais d’une part, il l’assume totalement : « J’suis là pour tout baiser, pas pour sauver l’humanité »7. Et d’autre part, ces bêtises, il les raconte magnifiquement bien !
Ce n’est d’ailleurs pas Thomas Ravier, écrivant pour la Nouvelle Revue Française, qui dira le contraire. À plusieurs reprises en effet, le romancier et essayiste a tenté de décrypter les textes de Booba, dans une revue qui fait office de référence en littérature française8. Que d’éloges, que d’admiration devant l’imagination débordante du rappeur franco-sénégalais. L’auteur, dans son article « Booba ou le Démon des Images », invente notamment le concept de la « métagore », métaphore à l’image ultra-violente, que Booba manie avec dextérité9. C’était en 2003, et B2O n’en était alors qu’à son 1er album solo, « Temps Mort ». Classique du Rap français. Une dizaine d’années plus tard, la récente sortie de « Futur » est aujourd’hui l’occasion de vérifier si l’artiste est toujours à la hauteur de sa réputation, et s’il continue de faire honneur à la langue de Molière.
Ainsi, pour cet article, la trame sera découpée en plusieurs parties. À coup de citations extraites de son dernier opus, on commencera par montrer en quoi Élie Yaffa a depuis quelques temps révolutionné le français, la grammaire plus précisément. L’on reviendra ensuite sur ce qui a fait sa force depuis ses débuts : ses métaphores et autres comparaisons puissantes. Enfin, en rapport avec les nombreux clashs qui ont pu viser l’artiste ces derniers mois, on ouvrira brièvement le débat sur des questions un peu plus globales, inhérentes au Rap en tant que courant musical : la street-crédibilité, le manque d’ouverture d’esprit, etc.
Rendez-vous donc chaque deux jours pour un nouvel épisode, et la suite de ce voyage dans le Futur… À bord de la DeLorean !
Partie 2: « VULGAIRE, FAUTES DE GRAMMAIRE »
[1] Just google it! ;-D
[2] Voir p.ex. http://www.twee.co/topics/booba (consulté le 24.12.12)
[3] Image officielle créée pour l’occasion: http://twitpic.com/bj8ued (consulté le 21.12.12)
[4] Voir entre autres: http://www.chartsinfrance.net/Shy-m/news-83338.html (consulté le 21.12.12)
[5] Booba est né en décembre 1976. Voir p.ex. sa page officielle Facebook: http://www.facebook.com/booba/info (consulté le 24.12.12)
[6] Biographie officielle de Booba: http://www.universalmusic.fr/booba/biographie/
[7] Extrait du titre “Tombé pour Elle”, 3ème couplet (Album “FUTUR”)
[8] Site officiel de la Nouvelle Revue Française: http://www.centenaire-nrf.fr/nrf/revue.jsp (consulté le 21.12.12); Biographie de Thomas Ravier: http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Ravier (consulté le 21.12.12)
[9] Article consultable ici: http://haterz.fr/wp-content/uploads/2010/05/Booba_in_NRF_haterz.pdf
[…] a été étudiée sous toutes ses coutures (Cf. “Le démon des images” – NRF, “Grammaire du Futur” – Jet…