
© www.cecilekyenge.it
Une ophtalmologiste italo-congolaise
Ce samedi 27 avril 2013, Cécile Kyenge Kashetu, une ophtalmologiste de 49 ans originaire de la République démocratique du Congo, a été nommée Ministre de l’Intégration dans le gouvernement italien formé par le nouveau Président du Conseil : Enrico Letta.
Après être devenue la première femme d’origine africaine à obtenir un poste de parlementaire, la voici première femme noire de l’histoire italienne à accéder au rang de ministre. Excusez du peu !
Arrivée en 1983 dans la Péninsule, Cécile Kyenge obtient son diplôme d’ophtalmologue à l’Université de Modena, en Émilie-Romagne, mais doit rapidement déchanter ; n’étant pas titulaire de la nationalité italienne à cette époque, elle ne pourra pas exercer son métier. Kyenge est pourtant mariée avec un Italien et mère de deux filles, mais cela ne suffit pas de l’autre côté des Alpes où la nationalité s’obtient par le droit du sang. Ne perdant en aucun cas sa motivation, Cécile prend alors la décision de se lancer en politique dans l’espoir de faire bouger les choses dans un pays – à certains égards – plus lent et conservateur encore que la Suisse…
Initialement conseillère municipale à Modena, elle intègre par la suite le Partito Democratico, formation de gauche dont elle deviendra responsable provinciale de la commission des politiques et de la protection sociale. Mais c’est bien ce dernier week-end d’avril 2013 que sa carrière politique va basculer.
Situation politique complètement floue
En Italie, les élections générales du 24 février dernier ont accouché d’une impasse politique rarement observée. Aucune majorité absolue ne s’est dégagée entre le Partito Democratico du Premier secrétaire Pierluigi Bersani (gauche) et le Popolo della Libertà de Silvio Berlusconi (droite). Le succès imprévu du Movimento 5 Stelle (centre) de l’ex-comique Beppe Grillo a jeté un flou supplémentaire sur la politique italienne déjà franchement pas réputée pour sa limpidité.
Dans le même temps, deux policiers ont été blessés par balle devant le Palazzo Chigi à Rome ce dimanche 28 avril. L’auteur des coups de feu, Luigi Preiti, un Calabrais de 46 ans au chômage, a avoué avoir eu comme objectif de « tuer des politiciens »1.
C’est dans ce contexte pour le moins tendu que le tout juste réélu président de la République Giorgio Napolitano (87 ans…) a chargé Enrico Letta de former une coalition capable de gouverner le pays.
Numéro deux très modéré du Partito Democratico, le nouveau Président du Conseil incarne le candidat idéal pour composer avec les multiples forces en présence. Son gouvernement sera finalement formé par neuf ministres de gauche, cinq de droite, trois du centre et trois de Scelta civica, la formation de Mario Monti (ex Premier, surnom du Président du Conseil en Italie).
Parmi ces nouveaux ministres, on compte sept femmes dont, justement, Cécile Kyenge Kashetu.
De l’aveu de Mme Kyenge elle-même, sa nomination est « un pas décisif pour changer concrètement l’Italie »2. Elle a déjà annoncé vouloir œuvrer pour la défense des immigrés en Italie, notamment par l’abrogation du délit d’immigration clandestine, en favorisant l’accès au marché du travail pour ces derniers et en remplaçant le droit du sang par le droit du sol.
« Un enfant, fils d’immigrés, qui est né ici et qui se forme ici doit être un citoyen italien »3, clame-t-elle haut et fort malgré les réticences dont fait preuve une grande partie des hommes politiques transalpins. Car oui, Cécile Kyenge est bien consciente des problèmes que son combat peut engendrer dans un pays où l’immigration reste encore et toujours un sujet sensible. Alors qu’elle préparait un dossier sur le « racisme institutionnel » avant sa nomination, la réalité n’a pas tardé à lui faire face.
Un florilège d’insultes pour débuter
En effet, aussitôt la nouvelle de sa nomination partagée, les réactions racistes et sexistes ne se sont pas faites attendre. Sur les réseaux sociaux et les blogs, les insultes provenant de partisans d’extrême-droite pleuvent de tous les côtés : « singe congolais », « négresse », « visage noir anti-italien »…bref, vous avez compris la teneur de ces propos. Sur le profil facebook du Movimento nazional socialista dei lavoratori (en référence au parti d’Adolf Hitler), on dénonce le « point le plus bas de l’histoire républicaine, marqué par la présence du premier ministre non-italien et nègre de l’Histoire d’Italie »4. Le ton est donné.
Si de telles considérations provenant de militants d’extrême-droite ne surprennent malheureusement plus, que dire de l’intervention radiophonique du toujours très délicat et raffiné Mario Borghezio, idéologue du parti séparatiste Lega Nord ?
Vous ne connaissez pas la bête ? Voici un petit extrait de la teneur de ses discours :
L’actuel député européen (!) a qualifié la nomination de Cécile Kyenge de « scelta del cazzo » (la formule se passe de traduction), car celle-ci représente l’« éloge de l’incompétence » avec sa « tête de mère au foyer ». Bien entendu, si elle a accédé à ce poste, ce n’est pas en raison de ses compétences mais bien parce qu’elle a probablement « séduit un responsable du Partito Democratico » et ceci dans le but d’ « imposer des lois tribales en Italie ».
Voici les extraits de la retransmission radiophonique pour ceux maitrisant la langue de Dante :
Cécile Kyenge a donc pu mesurer d’emblée l’ampleur de la tâche qui l’attend. À ce propos, la néo-ministre avait jugé « nécessaire de lutter contre la violence sexiste, raciste, homophobe et de toute autre nature »5 en Italie ; et il y a effectivement beaucoup de boulot !
Cécile Kyenge, une Italienne « comme les autres »
Somme toute, utiliser le terme de « révolution » serait quelque peu exagéré pour qualifier la nomination de Cécile Kyenge Kashetu en tant que Ministre de l’Intégration du nouveau gouvernement italien. Loin de moi l’idée de minimiser l’élection de la première femme noire dans un gouvernement transalpin, bien au contraire !
Mais cette nomination doit, selon moi, être le reflet d’un processus logique d’une Italie chaque jour plus multiculturelle, acceptant le fait d’être passée d’un pays d’émigration à un pays d’immigration.
Par ailleurs, il faut que les Italiens prennent encore conscience que les ministres doivent être choisis et jugés premièrement pour leurs compétences et non pour un quelconque critère « politiquement correct ». À l’heure actuelle, ils sont encore trop nombreux dans la Botte à se focaliser sur la nomination d’une femme « de couleur » (voir les premières pages des grands quotidiens transalpins) en occultant son parcours politique et ses convictions.
Bien que foncièrement différent, on peut à ce sujet citer le cas de Nichi Vendola, élu en 2005 au poste de président de la région des Pouilles, dans le sud de l’Italie. Ouvertement communiste et homosexuel, son élection a été vue par beaucoup comme résultant de sa « différence » et non liée à ses capacités à développer sa splendide région. Celui-ci a été réélu en 2010 malgré la perplexité et les moqueries initiales ; signe que la tolérance et la reconnaissance objective du travail d’autrui font leur petit bonhomme de chemin en Italie.
Ainsi, après les émerveillements initiaux (ô combien justifiés et légitimes), il sera vite temps de laisser la ministre Kyenge faire tranquillement son travail pour tenter d’améliorer le sort, souvent critique, de milliers d’immigrants présents sur le sol italien. Car c’est là que réside le véritable problème dans le Belpaese.
Et ce, sans insister à chacune de ses interventions sur le fait que telle ou telle mesure provienne d’une « femme » de « couleur noire », chose que la presse italienne continuera sans aucun doute de faire.
Or, Mme Kyembe doit pouvoir incarner une ministre italienne « normale » ! Le contraire serait faire le jeu de ces individus passéistes et intellectuellement déficients dont les insultes racistes et sexistes maintes fois réitérées démontrent une conception de l’altérité pour le coup… «tribale».
Notes
[2]Page Facebook de Cécile Kyenge, https://www.facebook.com/CecileKyengeKashetu?fref=ts
[3] http://www.tdg.ch/monde/europe/femme-noire-gouvernement-italien/story/21205058
Bibliographie :
http://www.tdg.ch/monde/europe/femme-noire-gouvernement-italien/story/21205058
http://www.dw.de/une-ministre-noire-au-gouvernement-italien/a-16779665
http://www.rfi.fr/afrique/20130429-cecile-kyenge-kashetu-premiere-femme-noire-nommee-ministre-italie
http://www.repubblica.it/politica/2013/04/27/news/grillo_e_tornato_barabba-57577680/
la motivation vient d'abord des ambitions d'une population qui veut changer et avoir des œuvres qui les accompagnent