© Photo Menstruation de Marco Verch sous Creative Commons 2.0 sur Flickr
Le 28 mai est la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. L’occasion pour Teresa Iglesias López de rappeler que la menstruation, pourtant biologique et naturelle, est encore un sujet tabou entouré de stigmates. Les personnes menstruées, explique l’auteure, font quotidiennement face à une multitude de difficultés qui diminuent leur bien-être, dégradent leur santé et limitent leur accès à une éducation de qualité.
Environ deux milliards de personnes dans le monde sont en âge d’avoir leur menstruation et, chaque jour, jusqu’à 300 millions d’entre elles ont leurs règles1. Chaque personne menstruée2 aura, au cours de sa vie, environ 450 cycles menstruels pendant environ 38 ans3. Cela signifie qu’au total, chacune doit gérer approximativement 6,25 années de règles4. À cela s’additionne un poids économique conséquent puisque, celles qui ont suffisamment de ressources pour le faire peuvent dépenser plus de 3’000 dollars (aux USA) au cours de leur vie pour l’achat de produits menstruels.5
Ces chiffres sont étourdissants, et pourtant, la menstruation reste un sujet tabou dont on ne parle que trop peu. Sujet entouré de mythes et de stigmates souvent enracinés dans des traditions religieuses, philosophiques et culturelles, et bien que celles-ci varient selon le contexte, le discours dominant sur les menstruations les présente toujours comme sales, impures et honteuses. Dans l’Ancien Testament, par exemple, on retrouve l’idée selon laquelle une femme en période de règles est « polluante » ou rituellement impure, et il y est stipulé que les femmes ayant leurs règles ne doivent pas être touchées6.
Au-delà des tabous et fausses idées, les personnes menstruées sont également confrontées à une multitude d’autres défis et problèmes liés à leurs règles, pourtant, biologiques et naturelles.
Certaines personnes menstruées ne disposent pas de ressources suffisantes pour acheter des produits d’hygiène menstruelle et sont contraintes d’utiliser des chiffons, des chaussettes, voire des journaux pour absorber le sang. L’utilisation prolongée d’alternatives absorbantes, souvent mal lavées, séchées et/ou sales, ainsi qu’un accès limité au savon et à l’eau, contribuent à provoquer des infections du système reproductif. D’autres subissent des codes ou des pratiques culturelles discriminatoires et humiliantes qui leur interdisent d’accéder à certains endroits et de toucher certaines choses et/ou qui rendent difficile le maintien d’une bonne hygiène.
À titre d’exemple, au Népal, le « chaupadi » est une pratique qui contraint les filles et les femmes à se retirer dans des huttes spéciales et à dormir seules pendant leurs règles. Le « chaupadi » a été interdit en 2017, mais il est parfois encore imposé7. Dans plusieurs régions d’Inde, la ségrégation des femmes pendant leurs règles est encore pratiquée, et certains temples interdisent même l’entrée aux femmes en raison de l’absence d’appareils permettant de « vérifier leur pureté » ou, en d’autres termes, de confirmer qu’elles n’ont pas leurs règles8. Mais encore, au Royaume-Uni, selon une étude de 2018 du Plan International UK, une jeune femme menstruée sur sept a déjà fait l’objet de commentaires sur sa propreté ou son hygiène durant ses règles, et ce chiffre passe à une sur quatre chez les femmes de 19 ans9. En outre, seule une personne menstruée sur cinq se sent à l’aise de parler de ses règles avec ses professeur·e·s ou le personnel de l’école, et 48 % des filles entre 14 et 21 ans se sentent gênées par leurs règles, ce chiffre passant à 56 % chez celles de 14 ans10.
Par ailleurs, le manque d’infrastructures et l’accès limité aux installations d’eau et sanitaires ne compliquent pas seulement le maintien d’une bonne hygiène menstruelle, mais exacerbent également la vulnérabilité des femmes et des filles face à la violence de genre. Une femme sur trois dans le monde n’a pas accès à un endroit sûr pour aller aux toilettes11. En Inde, par exemple, des femmes dalits ont fait état de harcèlement sexuel lors de l’utilisation de latrines communautaires12.
De plus, le manque de ressources, aussi appelé « pauvreté menstruelle13 », combiné aux traditions et aux tabous liés aux règles, peuvent conduire les jeunes personnes menstruées à manquer, voire à abandonner l’école14. Au Royaume-Uni, une fille sur dix âgée de 14 à 21 ans n’a pas les moyens d’acheter régulièrement des produits menstruels, ce qui oblige certaines d’entre elles à rester à la maison au lieu de se rendre à l’école15. Au Malawi, 70 % des filles manquent un à trois jours d’école chaque mois à cause de leurs menstruations – c’est plus qu’elles ne le font à cause du paludisme16. En Inde, environ 24% des filles manquent ou abandonnent l’école lorsqu’elles ont leurs règles17. Au Bangladesh, parmi les écolières, 41 % ont déclaré avoir manqué l’école pour des raisons menstruelles ; ce qui fait qu’au total, chaque fille manque en moyenne 2,8 jours d’école par cycle menstruel18. Lorsqu’une fille manque l’école à cause de ses règles, cela peut la placer cumulativement 145 jours derrière ses camarades masculins19.
Tous ces défis sont ancrés dans des normes de genre néfastes, et restreignent non seulement la participation des personnes menstruées dans la société, mais se répercutent également négativement sur leur estime et leur confiance en soi. On le voit donc, avoir ses règles dans un monde sexiste et patriarcal peut facilement devenir un obstacle à une éducation de qualité, mener à des problèmes de santé et affecter le bien-être des personnes menstruées.20
Combinées, ces difficultés mènent à la négation des droits humains fondamentaux de nombreuses femmes, filles et autres personnes menstruées, ainsi qu’à une inégalité de genre flagrante21. Les règles ne sont donc plus simplement un événement biologique mensuel individuel, mais deviennent alors une question éducative et socio-économique globale.
Pour ces raisons, un nombre grandissant de chercheur·se·s et praticien·ne·s soutiennent que pour véritablement répondre aux besoins de toutes les personnes menstruées du monde, la santé menstruelle devrait être incluse comme composante essentielle de la santé et des droits sexuels et reproductifs (SDSR). En 1994, la Conférence internationale des Nations unies sur la population et le développement (CIPD) a défini la santé reproductive et sexuelle comme « […] un état de complet bien-être physique, mental et social, et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité, pour tout ce qui concerne l’appareil génital, ses fonctions et ses processus »22. Ce qui voudrait évidemment dire que la menstruation, en tant que fonction clé du système reproductif et de l’appareil génital, fait effectivement partie intégrante de la santé et des droits sexuels et reproductifs.
En outre, le cycle menstruel accompagne toute personne menstruée du début de la puberté à la ménopause. C’est un indicateur et un prédicteur important de l’état de santé général, en particulier de la santé sexuelle et reproductive. Une personne menstruée peut, si elle connaît bien son cycle (la quantité de sang perdue, la douleur et les symptômes qui y sont liés), en apprendre beaucoup sur son état de santé général, sa fertilité et le fonctionnement de son corps. Cette connaissance de son cycle est une pratique de selfcare et un outil précieux pour les personnes menstruées à l’heure d’aborder d’autres questions de santé sexuelle et reproductive23.
Pour le moment, la stigmatisation et les normes sociales négatives existantes, ainsi que le manque de connaissances sur les menstruations, peuvent fréquemment influencer les décisions que prennent les personnes menstruées en matière de santé reproductive tout au long de leur vie, par exemple lorsque les jeunes filles confondent des changements normaux dans leurs règles avec un problème de fertilité. Cette situation laisse les jeunes filles, en particulier, mal renseignées au moment de prendre des décisions concernant les rapports sexuels et les moyens de contraception à un moment crucial de leur vie. Le manque de connaissances et les tabous peuvent également empêcher de savoir ce qui est « normal » dans le cycle menstruel, et ainsi faire obstacle à la recherche de traitement médical en temps voulu pour des douleurs ou des saignements anormaux. Au-delà de l’impact négatif sur la santé, cela peut aussi accroître l’anxiété ou le stress psychosocial des personnes menstruées, et en particulier des jeunes24.
Par ailleurs, s’il fallait encore des raisons pour inclure les règles comme composante essentielle de la santé et des droits sexuels et reproductifs, des recherches médicales récentes soulignent l’importance de valoriser la menstruation comme prédicteur et indicateur de santé potentiellement utile pour détecter les signes de VIH, de diabète, d’endométriose25 ou de cancer du col de l’utérus26.
Il est temps d’agir
Bien qu’il existe une coalition croissante d’universitaires, de donateur·trice·s, d’ONG, d’organisations internationales, de sociétés multinationales d’hygiène féminine et d’entrepreneur·e·s sociaux·ales qui se mobilisent pour attirer l’attention et les ressources sur la question des menstruations et de leur gestion, ce n’est pas encore suffisant.
Les défis et les problèmes autour des règles et la mauvaise hygiène menstruelle qui en résulte compromettent les possibilités d’éducation, la santé et le statut social des femmes, filles et autres personnes menstruées dans le monde entier. En cette journée du 28 mai, la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, je vous invite donc tout·e·s à faire entendre votre voix et à rejoindre la campagne de plaidoyer pour promouvoir une gestion de l’hygiène menstruelle de qualité et une bonne santé menstruelle pour toutes les personnes menstruées.
Ensemble, changeons les règles, brisons le silence, sensibilisons et éliminons les normes sociales négatives et néfastes existantes pour que toutes les personnes menstruées puissent saigner dignement.
Plus d’infos ICI.
Références :
[1] Zivi, Karen (2020). Hiding in Public or Going with the Flow: Human Rights, Human Dignity, and the Movement for Menstrual Equity. Human Rights Quarterly, 42(1), 119-144.
[2] J’essaie d’utiliser le terme « personnes menstruées » chaque fois que possible au lieu de femmes et de filles pour des raisons d’inclusion, car toutes les femmes n’ont pas leurs règles (par exemple, les femmes ménopausées) et pas seulement les femmes les ont (par exemple, les hommes trans).
[3] Keith, Bonnie (2016). Girls’ and women’s right to menstrual health: Evidence and opportunities. Outlook, 1.
[4] Idem.
[5] Zivi, Karen (2020). Hiding in Public or Going with the Flow: Human Rights, Human Dignity, and the Movement for Menstrual Equity. Human Rights Quarterly, 42(1), 119-144
[6] Plan International UK. (2018). Break The Barriers: Girls’ Experience of Menstruation in the UK – https://plan-uk.org/file/plan-uk-break-the-barriers-report-032018pdf/download?token=Fs-HYP3v
[7] Plan International UK. (2018). Break The Barriers: Girls’ Experience of Menstruation in the UK – https://plan-uk.org/file/plan-uk-break-the-barriers-report-032018pdf/download?token=Fs-HYP3v
[8] Anupriya, Tuli, Shruti, Dalvi, Neha, Kumar, and Pushpendra, Singh (2019). “It’s a girl thing”: Examining Challenges and Opportunities around Menstrual Health Education in India. ACM Trans. Comput.-Hum. Interact. 26(5), Article 29, 1-29. https://doi.org/10.1145/3325282
[9] Plan International UK. (2018). Break The Barriers: Girls’ Experience of Menstruation in the UK – https://plan-uk.org/file/plan-uk-break-the-barriers-report-032018pdf/download?token=Fs-HYP3v
[10] Idem
[11] Hill, Maisie (2019). Period Power. Green Tree.
[12] Keith, Bonnie (2016). Girls’ and women’s right to menstrual health: Evidence and opportunities. Outlook, 1.
[13] Il convient ici de préciser que les produits menstruels vendus dans le commerce sont rendus plus chers par les taxes d’importation et de vente (appelées « taxe tampon »), taxant de fait les femmes et filles pour leur physiologie (Keith Bonnie, 2016 ; Cousins Sophie, 2020). Les produits menstruels sont taxés comme des produits de luxe et non comme des produits de première nécessité (soit 21 % au lieu de 6 %). Il y a quelques années, de nombreuses campagnes ont été lancées dans le monde entier pour dénoncer la taxe tampon (#EndTamponTax, Taxe Free. Period., abolition de #TaxeTampon, …), ce qui a conduit, dans de nombreux cas, à la suppression de cette taxe (au Kenya en 2004, au Canada en 2015, en Belgique en 2017, au Royaume-Uni en 2020, …).
[14] Cousins, Sophie (2020). Rethinking period poverty. Lancet (London, England), 395(10227), 857.
[15] Hygiene Day (2018). Normalizing menstruation, empowering girls. The Lancet Child & Adolescent Health, 2(6), 379.
[16] Plan International UK. (2018). Break The Barriers: Girls’ Experience of Menstruation in the UK – https://plan-uk.org/file/plan-uk-break-the-barriers-report-032018pdf/download?token=Fs-HYP3v
[17] Anupriya, Tuli, Shruti, Dalvi, Neha, Kumar, and Pushpendra, Singh (2019). “It’s a girl thing”:
Examining Challenges and Opportunities around Menstrual Health Education in India. ACM Trans. Comput.-Hum. Interact. 26(5), Article 29, 1-29. https://doi.org/10.1145/3325282
[18] Alam, Mahbub-Ul, Luby, Stephen P, Halder, Amal K, Islam, Khairul, Ope,l Aftab, Shoab, Abul K, Ghosh, Probir K, Rahman, Mahbubur, Mahon, Therese & Unicomb, Leanne (2017). Menstrual hygiene management among Bangladeshi adolescent schoolgirls and risk factors affecting school absence: results from a crosssectional survey. BMJ Open. 7, 1-10. doi:10.1136/bmjopen-2016-015508
[19] Hill, Maisie (2019). Period Power. Green Tree.
[20] Hekster, Odette & Punzi, Maria C. (2019). Technical brief for the Integration of Menstrual
Health in SRHR. Amsterdam, The Netherlands: Stichting PSI-Europe: https://menstrualhygieneday.org/wp-content/uploads/2019/08/PSI_MHSRH_TechnicalBrief_v5_2019.pdf, Keith, Bonnie (2016). Girls’ and women’s right to menstrual health: Evidence and opportunities. Outlook, 1. & Phillips-Howard, Penelope A., Hennegan, Julie, Weiss, Helen A., Hytti, Laura, & Sommer, Marni (2018). Inclusion of menstrual health in sexual and reproductive health and rights. The Lancet Child & Adolescent Health, 2(8), e18.
[21] Pour une explication en profondeur du cadre des droits humains qui s’applique à la gestion de l’hygiène menstruel (Menstrual Health Management, MHM), voir : Human Rights Watch. (2017) Understanding Menstrual Hygiene Management & Human Rights. USA disponible sur https://www.hrw.org/news/2017/08/27/menstrual-hygiene-human-rights-issue.
[22] Traduction propre de la définition incluse dans Keith, Bonnie (2016). Girls’ and women’s right to menstrual health: Evidence and opportunities. Outlook, 1.
[23] Il existe aujourd’hui de plus en plus d’applications pour suivre et tracker son cycle, ainsi que pour recevoir des conseils personnalisés et des tonnes d’informations sur ce dernier (applications telles que Clue, Flo, Glow, pour en citer quelques-unes).
[24] Human Rights Watch. (2017) Understanding Menstrual Hygiene Management & Human Rights. USA disponible sur https://www.hrw.org/news/2017/08/27/menstrual-hygiene-human-rights-issue.
[25] L’endométriose est une maladie gynécologique qui touche 1 femme sur 10 et se caractérise par le développement, hors de la cavité utérine, de tissu semblable à celui de la muqueuse de l’utérus (appelée endomètre). Cette maladie, qui peut être extrêmement douloureuse et avoir de graves répercussions sur la vie quotidienne, le travail et les relations, peut pourtant prendre en moyenne 6 à 12 ans pour être diagnostiquée après l’apparition des symptômes. Cela est principalement dû au manque de formation adéquate du personnel médical pour son diagnostic et son traitement (Hill Maisie, 2019).
[26] Hekster, Odette & Punzi, Maria C. (2019). Technical brief for the Integration of Menstrual
Health in SRHR. Amsterdam, The Netherlands: Stichting PSI-Europe: https://menstrualhygieneday.org/wp-content/uploads/2019/08/PSI_MHSRH_TechnicalBrief_v5_2019.pdf
Bonjour Marie, Merci à vous pour votre long commentaire rempli de bienveillance. Ca m'a fait très plaisir de vous lire.…