International Le 30 janvier 2014

Chroniques malgaches 1 : élections réussies ou légitimité par défaut?

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Chroniques malgaches 1 : élections réussies ou légitimité par défaut?

Le nouvel hôpital de Tamatave, exemple de la gestion peu efficace des ressources par le pouvoir : flambant neuf, il n’a ni médecin ni équipement ; tous sont restés dans l’ancien hôpital… qui attend sa rénovation depuis des années. Mais son inauguration a permis au président Rajoelina de se faire un bon coup de pub. © JB Bing

Chères lectrices, chers lecteurs, je séjourne actuellement (i.e. de Noël à mi-février) à Madagascar ; plus précisément dans une zone rurale de la côte Est, un peu au Nord de la ville de Tamatave. J’y effectue des recherches de terrain, à propos des savoirs autour de la question des forêts. Il s’agit pour moi d’un retour dans le pays, ayant déjà passé deux années à Tamatave. Madagascar reste assez méconnue en Europe, bien que ce pays connaisse une période agitée, et que ses habitants puissent se vanter d’une culture fort intéressante. Je vais, dans une série de chroniques, aborder certaines questions qui conditionnent en partie le présent et l’avenir de ses habitants. Bonne lecture.

 

En novembre et décembre, le peuple de Madagascar a enfin connu ce qu’il attendait depuis la coup d’État qui, en 2009, a porté au pouvoir Andry Nirina Rajoelina aux dépens de Marc Ravalomanana (2002-2009) : des élections, à la fois présidentielles et législatives. Et ce 17 janvier, la commission électorale a proclamé vainqueur du deuxième tour de la présidentielle Hery Rajaonarimampianina1 (candidat de Rajoelina) face à Robinson Jean-Louis (candidat de Ravalomanana). Dans son ensemble, la communauté internationale, impliquée dans l’organisation des élections et qui a déjà approuvé leur déroulement en dépit de moult contestations et accusations – réciproques – de fraudes, a reconnu le nouveau président. Celui-ci a donc, officiellement, tous les atouts en main pour relancer un pays qui, depuis le coup d’État de 2009, s’enfonce dans une situation dramatique : corruption, pauvreté et malnutrition, déjà endémiques, n’ont cessé d’augmenter.

Le nouveau président doit faire face à des défis immenses. Si la victoire électorale constitue une condition nécessaire à sa légitimité, elle ne suffit pas à la lui conférer. D’abord à cause des accusations de fraude déjà évoquées : les différentes commissions chargées des élections ont certes rejeté les plaintes de Robinson Jean-Louis, et celui-ci a renoncé (après consultation de son mentor Ravalomanana, exilé en Afrique du Sud) à faire descendre ses partisans dans la rue ; mais les opposants au nouveau président restent à l’affût du moindre indice. Ensuite, car moins de 60% des Malgaches ont pu se rendre aux urnes : dans certains villages très enclavés comme dans certains bidonvilles, les fichiers de l’état-civil ne sont pas à jour. Enfin, car les Malgaches ne croient plus en leur personnel politique, n’y voyant que des parasites corrompus. Quand je vivais sur place, plusieurs fois, des collègues enseignants m’ont dit préférer servir leur pays en faisant leur métier d’enseignant (utile) plutôt qu’en allant voter (inutile) ; certains même (plus rares il est vrai), souhaitaient explicitement une période où un gouvernement à poigne restaurerait l’ordre et créerait les conditions d’une vraie démocratie.

À son indépendance (1960), Madagascar ne paraissait pourtant pas le moins avantagé des pays décolonisés. Son unité avait précédé la colonisation : l’île avait été unie au cours des XVIIIème et XIXème siècles par le royaume merina, dont la capitale Antananarivo reste celle de la République. De plus, en dépit de variantes dialectales parfois assez prononcées, tous les Malgaches partagent la même langue. En matière culturelle, les inévitables différences de coutumes et de traditions n’empêchent pas non plus l’ensemble des ethnies de l’île de se reconnaître un héritage commun ancien. Enfin, Madagascar bénéficiait – comparativement à d’autres pays – d’infrastructures d’assez bonne qualité laissées par le colonisateur (écoles, routes, hôpitaux).

L’une des origines de l’instabilité politique que connaît Madagascar depuis son indépendance réside dans un pouvoir généralement inapte et prédateur. Aucun président n’a jamais accepté de lâcher le pouvoir régulièrement (à part Albert Zafy, destitué par le Parlement en 1996). Philibert Tsiranana (1970), Didier Ratsiraka (1992 et 2002), Marc Ravalomanana (2009) : tous l’ont perdu lâchés par l’armée après une épreuve de force, à chaque fois plus violente, face à la rue. Rajoelina, Ravalomanana et Ratsiraka n’ont cessé de multiplier les volte-face quant à leur participation aux élections qui viennent de se dérouler – pour finalement devoir y renoncer sous pression de la communauté internationale. Que les deux finalistes de la présidentielle soient leurs poulains témoigne de la difficulté de renouveler le personnel politique, liée notamment aux moyens à disposition pour les campagnes électorales. De plus, les quatre Républiques qui se sont succédé ont, quelle que soit leur idéologie (socialisme anticolonialiste puis « libéralisme écologique » sous Ratsiraka, ultralibéralisme sous Ravalomanana…), entraîné le fort enrichissement d’une élite et laissé la majorité de la population dans la pauvreté. Les infrastructures, mal entretenues dès 1960, n’ont jamais suffi à couvrir les besoins élémentaires d’une population en plein essor démographique (six millions d’habitants à l’indépendance, vingt millions aujourd’hui). Madagascar n’est autosuffisant dans aucun domaine ; son budget a toujours dépendu de l’aide internationale (d’où la terrible aggravation de la crise qui a suivi la non-reconnaissance internationale du régime de Rajoelina, une grande partie de l’aide internationale ayant été supprimée).

Enfin, et malgré l’unité culturelle et linguistique des Malgaches, la question ethnique reste une menace sérieuse. Le racisme et la xénophobie n’ont jamais disparu : il y a toujours un plus noir que soi à mépriser et, inversement, les Merinas restent souvent vus comme des envahisseurs « sûrs de soi et dominateurs » (pour paraphraser C. de Gaulle…) au moins autant que les Français. Lors de ses deux chutes, Ratsiraka avait cherché à faire jouer la solidarité des « côtiers » contre la capitale et les Merinas. Il avait, certes, échoué, mais en 2002 le pays avait bien failli basculer dans la guerre civile. Quant aux évènements de 2009, qui avaient mis aux prises les deux derniers maires d’Antananarivo, ils étaient souvent considérés comme une querelle entre Merinas, qui entraînèrent l’ensemble du pays dans le chaos.

Restaurer la légitimité de l’État et faire émerger une classe politique qui le serve et non qui s’en serve (pour paraphraser, cette fois, J.F. Kennedy) ; développer une économie viable là où plus de 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté ; faire émerger des infrastructures solides permettant d’assurer l’éducation, la santé, les transports : les Malgaches attendent (sans oser trop l’espérer) tout cela. Quant à la communauté internationale, elle y ajoute la dimension environnementale (Madagascar est un « point chaud » de la biodiversité du globe)2. Autant dire que, si du point de vue du chercheur sur son terrain de thèse, la situation malgache est fort intéressante, pour les habitants les enjeux sont considérables. Et immédiats : la nouvelle année s’annonce, encore une fois, difficile sur tous les plans.

 

 


1 Bon courage aux journalistes européens de radio et de télé qui vont devoir apprendre à prononcer ce nom sans fourcher. Cela me rappelle les – longs – moments où je devais faire l’appel dans des classes de quarante personnes : pas facile… et beaucoup de fous-rires partagés. Inversement, les noms européens peuvent, ailleurs, poser de redoutables problèmes phonétiques : en Indonésie, mes élèves avaient du mal avec mon prénom (et la cérémonie de mon mariage évoqua un célèbre couplet de Greame Allwright).

2 Les chroniques suivantes évoqueront plus en détail ces différents aspects.

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