Sport Le 1 décembre 2020

Diego Armando Maradona, le mythe rebelle

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Diego Armando Maradona, le mythe rebelle

Diego Armando Maradona est décédé le vendredi 25 novembre dernier à l’âge de 60 ans. Dans ce texte, l’historien du sport Grégory Quin revient sur le parcours cabossé de l’Argentin, qui aura marqué de son empreinte le football du XXe siècle.


 

De la « Main de Dieu » au « But du siècle », la rencontre entre l’Argentine et l’Angleterre en quarts de finale de la Coupe du monde 1986, un certain 22 juin au stade Aztèque de Mexico, résume à elle seule la carrière de Diego Armando Maradona. Entre génie éphémère, caractère rebelle et dévotion politico-footballistique.

 

Maradona face aux Anglais

Force est de constater que tout a déjà été écrit, dit, commenté, au sujet de la rencontre entre l’Argentine et l’Angleterre de 1986. Une rivalité qui remonte à la Coupe du monde 1966 et à l’exclusion du capitaine argentin Antonio Rattin dès la première mi-temps. Cinq joueurs de l’équipe argentine de 1986, qui font partie de la « classe 62 », fournissent les conscrits de l’armée argentine au printemps 1982, dans le cadre de la Guerre des Malouines, bien qu’au final aucun joueur ne figure parmi les contingents envoyés sur le théâtre des opérations militaires.

Une équipe d’Angleterre qui rencontre des difficultés à entrer dans sa compétition au Mexique. Une programmation de la rencontre à midi heure locale pour satisfaire les diffuseurs européens, obligeant les équipes à jouer sous une chaleur étouffante à plus de 2000 mètres d’altitude. Un meneur de jeu – Diego Armando Maradona – revanchard après sa non-sélection en 1978 et son mondial gâché en 1982. En bref : un théâtre unique pour une rencontre qui va devenir mythique pour l’histoire du football et pour l’histoire de son principal soliste. En effet, la rencontre symbolise en quelques instants – peut-être 200 secondes entre la 51ème et la 53ème de jeu – toute la carrière de Maradona, entre génie, virtuosité, individualisme et surtout une immense solitude.

 

 

La success story d’un rebelle qui rêvait de devenir champion du monde

Issu d’une famille modeste de paysans, Diego Maradona incarne, comme beaucoup d’autres avant et après lui, ces trajectoires singulières des joueurs de football sud-américains. Mais déjà dans ses jeunes années, il va composer entre succès et excès, devenant très (trop ?) vite capable de faire gagner son équipe en solitaire. Ainsi, dès son premier contrat « pro » avec Argentinos Juniors (où il débute avant ses 16 ans), il va faire de cette équipe moribonde un cador du championnat argentin, marquant pas moins de 116 buts en 167 rencontres officielles entre 1976 et 1981. Et puis viendra Boca, mais surtout l’Europe… cet eldorado du football ! Ce football qui le fait tant rêver depuis ses plus jeunes années.

L’épisode de son transfert à Barcelone en 1982 s’inscrit dans un contexte qui vient de le voir expulsé de la Coupe du monde 1982 – disputée en Espagne – pour avoir perdu ses nerfs contre le défenseur brésilien Batista, alors que l’affaiblissement de la dictature en Argentine rend possible davantage de transferts de joueurs de football argentins vers le continent européen. À Barcelone, s’il conquiert ses premiers titres (Coupe du Roi et Coupe de la Ligue), il découvre aussi les plaisirs de la vie nocturne et plonge, de son propre aveu, une première fois dans la drogue. Pour autant, il se construit aussi l’image d’un caïd sur le terrain, comme en témoigne la bagarre qui jalonne son dernier match en terre espagnole, en finale de la Coupe du Roi et sous les yeux du Roi Juan Carlos, lorsqu’il cherche à se venger du tacle d’Andoni Goikoetxea qui lui avait brisé la cheville quelques mois plus tôt. L’Argentin devient sanguin au moment de conclure ses années catalanes, mais difficile de lui en vouloir à la vue du traitement que les défenseurs de Bilbao lui ont réservé pendant toute la rencontre… La violence répond à la provocation, comme souvent dans la carrière de Maradona, et pourtant la défaite n’en est que plus amère.

 

 

Après les 7,3 millions payés par Barcelone en 1982 à Boca Juniors, les 12 millions de dollars de son transfert à Naples constitue un record mondial pour l’époque. Mais ils vont surtout inaugurer les années fastes du « Pibe del Oro ». Accueilli comme une rockstar à San Paolo – le stade historique du SSC Napoli – le 5 juillet 1984, Maradona change encore de dimension en 1986, lorsqu’il va porter l’Argentine sur le toit du monde après la victoire historique contre l’Angleterre. S’il offre le but de la victoire contre la RFA en finale à son coéquipier Burruchaga, la victoire de l’Argentine en 1986 est avant tout celle de Maradona, qui avec cinq buts et cinq passes décisives a porté son équipe.

Désormais, « ses » équipes vont jouer à 10 + 1 et, les entraîneurs à Naples comme ailleurs l’ont souvent souligné, il s’agissait alors de trouver le meilleur dispositif sur le terrain pour laisser le « gamin en or » aussi libre que possible, en assurant la tactique avec le reste de l’équipe. Du reste, nul ne se souvient plus de ses compères sur la ligne d’attaque du Napoli, lorsque pour la deuxième fois en moins d’une année en juin 1987, l’Argentin entre une nouvelle fois dans l’histoire du football en donnant à Naples une place dans les palmarès du Calcio. Au passage, le club du Sud s’offre une double revanche, puisqu’il remporte le championnat devant la Juventus – le club de l’élite économique du Nord – alors mené par un certain Michel Platini.

Lors de la saison 1989-1990, il brille à nouveau, inscrivant 16 buts en 28 matchs, et remporte un second titre, devant les deux clubs de Milan. Une fois de plus, le pied de nez aux riches du Nord est magnifique ! Adulé par des centaines de milliers de tifosi napolitains, la vie en Campanie de Maradona rime aussi avec Mafia, et avec une certaine dégringolade dans la solitude, dans la drogue et dans les excès d’une vie nocturne que nul ne semble pouvoir contrôler.

 

 

Au demeurant, l’Argentine parvient encore à atteindre la finale de la Coupe du monde 1990, mais Maradona y fait pâle figure. Il n’est plus le joueur qu’il était en 1986, la tactique du 10+1 ne semble plus fonctionner, comme en témoigne le marquage sans erreur assuré par le joueur allemand Guido Buchwald en finale. L’imprévisible soliste est devenu l’ombre de lui-même, et quelques mois plus tard, un contrôle positif à la cocaïne achève son basculement dans les limbes du football mondial. Suspendu toute la saison 1991-1992, il va disparaître de l’avant-scène médiatique, l’année où le football international va opérer sa mue vers une nouvelle économie néo-libérale.

L’Olympique de Marseille de Bernard Tapie refuse ainsi finalement de s’offrir le joueur – trop cher, trop usé par le temps et la drogue – et devient le premier club de l’histoire à remporter la nouvelle « Ligue des champions » en 1993. Maradona, l’homme des années 1980, ne peut plus rivaliser. Son triste passage en équipe d’Argentine lors de la Coupe du monde 1994 et finalement sa nouvelle suspension – pour une prise avérée d’éphédrine – n’est éclairée que par un nouveau but d’anthologie, un de plus, en pleine lucarne contre la Grèce. Mais ce ne sont plus que les soubresauts d’un rebelle qui s’étiole un peu plus chaque jour.

 

Moderne, rebelle et décadent

Maradona est un homme de superlatif, champion du monde, ballon d’or (attribué pour l’ensemble de sa carrière en 1995 puisque jusqu’à cette date, il ne peut être attribué qu’à des joueurs européens), double champion d’Italie avec Naples (et pour la première fois de l’histoire du club en 1987), il a marqué 311 buts en 590 rencontres durant toute sa carrière pour six clubs différents, et encore 34 buts en 91 sélections pour l’Albiceleste. Ce n’est pourtant pas la régularité qui semble caractériser le plus son parcours dans le football. Mais en cela, il incarne aussi cette transformation que son sport va connaître entre les années 1980 et 1990, avec des sommes pour les transferts ou les salaires qui augmentent de manière accélérée chaque saison.

Loin de la régularité qui vire à l’ennui de joueurs comme Messi ou Ronaldo (le Portugais !), dont les statistiques resteront probablement davantage dans l’histoire que leur vraie influence sur leur sport, Maradona incarne la folie d’un moment où l’entraînement n’avait pas encore les accents scientifiques des années 2010, où une vie nocturne pouvait encore être assumée publiquement par les professionnels du ballon rond et où les hiérarchies économiques n’étaient pas encore aussi rigides. S’il ne s’agit pas de tomber dans le romantisme envers ces années, et si les plus riches étaient malgré tout souvent les vainqueurs dès cette période, les parcours de Naples et la trajectoire de Maradona indiquent que la folie avait encore sa place à l’époque. Une folie que le football a perdu en cours de route et que la mort de Maradona condamne sans doute encore un peu plus aux rayonnages des bibliothèques de l’histoire du football.

Maradona n’est plus, mais il restera toujours dans les mémoires du football, à la fois pour ses buts d’anthologie, pour ses dribbles, pour ses sourires naïfs, pour son goût pour le spectacle, mais aussi pour ses faiblesses, ses excès et pour le petit goût d’amertume qu’il laissera pour toujours à celles et ceux qui l’ont vu tant donner, sans toujours savoir se sortir de sa solitude, ni savoir exprimer tout son immense talent. Il restera un mythe rebelle.

 

 

 


 

A lire, à entendre, à regarder sur Maradona

Maradona, un livre par Alexandra Juillard, aux éditions Hugo (2010)

« La main de Dieu a-t-elle changé la face du monde ? » (France Culture, novembre 2020)

https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/la-main-de-dieu-a-t-elle-vraiment-change-le-monde

Maradona, un film par Emir Kusturica (2008)

Maradona, un film par Asif Kapadia (2019)

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