International Le 6 septembre 2013

El-Sissi : Le nouveau Pharaon d’Égypte

1
1
El-Sissi : Le nouveau Pharaon d’Égypte

Devant le palais présidentiel au Caire, une manifestante brandit le portrait du général Abdel Fattah al-Sissi. Le chef de l’armée égyptienne. (DR)

Le Caire – Dimanche 18 août 2013. Il est environ 16h quand les chaînes de télévision annoncent que le général Abd El Fattah El-Sissi donnera un nouveau discours pour s’adresser au peuple. Cette seule annonce aura suffi à exciter les plus fervents supporters du nouvel homme fort du pays. Dans les cafés du Caire, on compte déjà les minutes. « Quand est-ce-qu’ils vont le diffuser ce discours, allez bon sang ! » lance Magdy, entrepreneur dans le textile, avant d’aspirer une énième gorgée de son verre de thé et de le reposer aussi doucement que s’il lâchait une enclume.

Dans les quartiers poussiéreux de l’anciennement luxueux centre-ville de la capitale, on croirait voir un peuple qui attend une finale de coupe du monde. Mais non, c’est bel et bien le discours du général qui suscite tout ce questionnement, accompagné d’inquiétude: « je me demande ce qu’il va nous dire, j’espère juste que les frères n’iront pas encore casser nos vitrines » souffle Awad, étouffé dans son pull aux lignes oranges et grises pendant qu’il hésite entre sauver la reine et éliminer le cavalier. L’attente est insurmontable pour certains, qui agitent leurs pieds tel un Nadal après un premier set.

Mais après quelques trois heures d’attente, le voilà. Montant le son de la télévision, « ferme-la Hassan, El-Sissi va parler ! » peste soudain Sayed, le propriétaire du café. Le peu de clients présents, une quinzaine, lèvent alors tous leurs yeux vers l’écran, dans un silence religieux, presque inquiétant, quitte à se briser la nuque. Alors que tout le monde l’écoute, le général adopte sa posture habituelle, celle du militaire intransigeant. Pour autant, et pour ne rien changer, son ton calme et reposé apaise les esprits de ses auditeurs. Même son béret bleu marine fait l’unanimité du public : « Ha ! Quel homme ! Son béret lui va comme un gant ! » lance une passante au voile vert et jaune. Mais au moment où il prononce « se moquent-ils [les pro-Morsi] de nous car nous sommes patriotiques ?! » d’un ton ferme, les applaudissements brûlant les mains perturberont la messe. À la fin du discours long de presque une heure et demie, pendant que la musique de l’hymne national clôturera la scène, permission informelle sera donnée d’ouvrir le bal des applaudissements et des sifflets. « Il a dit tout ce qu’il fallait dire, Sissi veut réellement protéger l’Égypte » crie Mohamed, avant d’insulter les Frères musulmans de « terroristes ».

Même dans les salons des Égyptiens, les photos du général El-Sissi sont présentes. On peut y lire "L’armée et le peuple, une seule main".

Même dans les salons des Égyptiens, les photos du général El-Sissi sont présentes. On peut y lire « L’armée et le peuple, une seule main ».

Aujourd’hui, la photo du général est sur toutes les vitrines des magasins, sur les profils Facebook … et même dans les salons et chambres à coucher de ses fidèles. Marwa, professeure d’anglais âgée de 48 ans, en arrive presque à l’adoration. Âgé de 59 ans, El-Sissi lui serait un parfait mari « si seulement elle n’était pas déjà mariée ». Elle affiche dans sa salle à manger une photo du général, et un poster d’un soldat tenant un bébé dans les bras, sur lequel on peut lire « l’armée et le peuple, une seule main ». Pour elle, l’armée n’est pas seulement protectrice du pays, elle est aussi l’unique rempart au « complot » des Frères musulmans. C’est aussi sans compter la popularité de l’armée « en temps normal, elle qui a tant servi le pays en restant fidèle au peuple ». Le service miliaire étant obligatoire en Égypte, il n’est pas étonnant que l’armée bénéficie d’une grande popularité, car comme le disent les Égyptiens, « ce soldat, cela peut être mon frère, mon fils ou mon voisin ».

Sa télévision est allumée 24 heures sur 24, même quand elle dort, et elle ne lâche pas la télécommande. Un coup CBC Channel, un coup OnTV, un autre Al Qahera Wal Nas, toutes des chaînes privées. Toutes qualifient le parti Liberté et Justice de la confrérie de terroriste, de la première à la dernière. À 23h passé, l’une de ces chaînes décide de rediffuser le discours du général. C’est alors que Marwa prépare son café et ses gâteaux, fait mine de ne pas voir son portable qui sonne pour la dixième fois, et invoque Dieu toutes les cinq minutes « de donner la victoire à Sissi cœur de lion, sauveteur de l’Égypte et des Égyptiens ». Cette musulmane pratiquante très rigoureuse ne se cache pas de son amour, et le nombre de morts pendant les derniers événements ne l’attendrit que très peu. « De toutes les façons, les Frères musulmans sont des traîtres, et tout traître mérite la mort » dit-elle, avant d’ajouter « El-Sissi a fait ce que personne n’aurait jamais su faire, faire tomber les Frères musulmans. Cette organisation n’a rien d’islamique, ce sont des extrémistes et des terroristes ».

Une fois la rediffusion terminée, c’est au tour des politiciens et des académiciens présents sur le plateau de débattre du discours. Mais le « débat » ira dans un seul sens : l’armée nous protège contre les terroristes. Plus adoré que Staline au sommet de sa gloire, El-Sissi est, selon elle, parfait et irréprochable.

Sur le haut du poster : "L’Égypte au dessus de tous" En bas : "L’armée et le peuple, une seule main".

Sur le haut du poster : « L’Égypte au dessus de tous »
En bas : « L’armée et le peuple, une seule main ».

Ainsi, cet « anti-frérisme » ne se note pas seulement sur les posters et affiches dans les rues, il est aussi alimenté par l’unanimité des médias égyptiens, à en arriver parfois à l’agacement : « Je te jure ! Je suis pro-Moubarak et anti-Morsi à la fois, et pourtant j’aimerais tuer cette satanée Lamiss El Hadidy (présentatrice de télévision sur CBC Channel) et mettre le feu à tous les journaux ! Il y en a marre de cette division, il y en a marre du sang ! Vraiment ! C’est le même fascisme que les Frères musulmans appliquaient, mais sans barbe ! » s’énerve Mahmoud, 43 ans, ingénieur en construction, en observant les gros titres de la presse.

Pendant ce temps, une boutique de téléphonie mobile met en marche la chanson Teslam el ayadi (chanson de propagande faite pour l’armée regroupant plusieurs artistes égyptiens). Bien que le son soit assourdissant, c’est sur le rythme de ses paroles que vont danser, inlassablement, deux femmes présentes dans la boutique, sans craindre les représailles habituelles des passants. Mahmoud, lui, ne pourra que pester à voix basse en frappant ses mains l’une contre l’autre, désespéré.

La Une du journal Sawt El Oummah (La Voix de la Nation) où l’on peut lire "Toute l’Égypte est El Sissi".

La Une du journal Sawt El Oummah (La Voix de la Nation) où l’on peut lire « Toute l’Égypte est El-Sissi ».

Que l’on soit d’accord avec les décisions du général Abd El Fattah El-Sissi ou non, une chose est sûre : la popularité de celui qui représente l’armée n’est plus à prouver. Normal, car « il nous protège » indique Abbas, le vendeur de journaux. Le visage du nouveau Pharaon d’Égypte semble se préciser.

Commentaires

image-user

Philippe Villette

Il est temps que le Maghreb et le monde arabe séparent le religieux du pouvoir. Chacun peut avoir sa religion,…

Lire la suite

Laisser une réponse à Philippe Villette Annuler

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.

image-user

Philippe Villette

Il est temps que le Maghreb et le monde arabe séparent le religieux du pouvoir. Chacun peut avoir sa religion, ses idées, sa chapelle, mais loin du pouvoir politique. La politique est là pour servir les hommes, non les séparer !

Répondre