Économie Le 22 juin 2014

Yann Koby

Par Yann Koby

Freakonomics

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Freakonomics

© skeptic.com

La microéconomie, ses graphiques offre-demande, ses petits homo economicus qui maximisent innocemment leurs fonctions d’utilités de manière outrancièrement rationnelle… Franchement, la plupart de ceux qui se sont arrêtés aux cours de première et deuxième années universitaires en garde un souvenir pas franchement folichon. Pourtant, l’économie dite néoclassique est avant tout une manière de raisonner, une approche – bien particulière – des problèmes sociaux, applicable dans une myriade de contextes différents. Cette vision est particulièrement forte dans la tradition dite de Chicago, laquelle avance que la théorie néoclassique peut et doit être appliquée à n’importe quelle facette de la société – ce qui vaudra notamment au défunt Gary Becker son prix Nobel.

Cette tradition, l’économiste Steven Levitt et le journaliste Stephen Dubner l’ont démocratisée avec le livre à succès Freakonomics (plus de 4 millions de vente !) et sa suite Super Freakonomics. Dans ces ouvrages, les auteurs appliquent les principes de base de l’économie dans des exemples plutôt déjantés de la vie de tous les jours : prostitution, terrorisme, urgences médicales, crimes et j’en passe. Mais si l’analyse des sujets susmentionnés vaut la peine d’être parcourue, ce sont surtout les idées centrales de l’argumentation qui retiennent l’attention, et font la valeur des livres.

Premièrement, les auteurs mettent en avant les différences qui existent entre la manière dont les individus aiment être perçus et la manière dont ils se comportent réellement. L’exemple avancé est celui de l’altruisme : lorsque des humains sont placés sous le regard d’autres pairs, ils ont tendance à se comporter de manière plus généreuse qu’ils ne le feraient si laissés à eux-mêmes. On observe, par exemple, que si les gens ont tendance à donner de l’argent aux mendiants qu’ils croisent dans la rue, lorsque la possibilité leur est donnée de changer de trottoir, une part significative choisit de le faire (afin d’éviter le don), suggérant ainsi qu’ils valorisent leur perception sociétale au-delà du comportement altruiste lui-même.

Deuxième point important, et peut-être motto de tout bon économiste : pour comprendre les actions d’un agent économique, il faut commencer par chercher quelles sont ses incitations1. Ceci est particulièrement vrai lorsque l’objectif est d’amener un changement dans le comportement de ce dernier. Les choix étant rationnels – dans les limites des capacités humaines –, comprendre les motifs derrière ceux-ci permet de les expliquer et de comprendre la manière la plus directe de les changer. Cette leçon s’applique particulièrement dans le cadre expérimental : parce que les laboratoires sociaux ne sont que des copies « stylisées » de la vie réelle, les sujets y répondent de façon différente, souvent dépendante des conditions expérimentales elles-mêmes. Ce qui limitera toujours la valeur des « expériences » en sciences sociales.

Ces deux points appellent un troisième, distinctif de l’école de Chicago : la recherche constante de solutions qui soient premièrement simples – afin de prédire efficacement leur mise en application – et qui s’inscrivent deuxièmement dans le processus décisionnel des entités économiques en question. D’où l’emphase communément mise sur les mécanismes de marché, qui permettent de coordonner les actions des individus.

Parce qu’ils abordent leurs sujets avec humour, Freakonomics et Super Freakonomics réussissent habilement à introduire le lecteur aux outils d’analyse susmentionnés, comme le démontre le succès rencontré. Plus intéressant encore, ces outils peuvent être utilisés pour déconstruire les idées que les auteurs eux-mêmes mettent en avant : c’est particulièrement flagrant dans le passage sur le changement climatique, où le ton délibérément sceptique laisse transparaître un biais dans leur pensée, qui fut d’ailleurs particulièrement décriée par les critiques2.

Pour les intéressés, le dernier opus de la série, Think Like a Freak, est sorti le 12 mai dernier.

1Incentives, en anglais, est peut-être le mot le plus proche du concept souhaité.

2http://en.wikipedia.org/wiki/SuperFreakonomics#Global_warming_section

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