Genre Le 29 décembre 2019

Grève des femmes : et après ?

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Grève des femmes : et après ?

Après la grève des femmes du 14 juin 2019, que reste-t-il dans la société suisse ? Quelles marques ce mouvement a-t-il laissé dans la politique et dans le sentiment d’égalité des citoyen·ne·s suisses ? Delphine Bachmann, députée PDC au Grand Conseil genevois, nous propose un tour d’horizon.

Jet d’Encre a consacré un dossier à la grève des femmes en Suisse.

 

 

Un combat commun

La grève des femmes a eu lieu le 14 juin dernier ; ce n’était pas arrivé depuis 1991 ! Des dizaines de milliers de femmes, et d’hommes également, ont défilé dans les rues ce jour-là pour dénoncer le fait que nous n’ayons, en 2019, toujours pas atteint l’égalité. La Suisse s’est parée de violet, de slogans tous plus originaux les uns que les autres, et dès 15h34, heure symbolique à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement, c’est la rue qui a vécu cette vague joyeuse, enthousiaste et solidaire.

Depuis, les mois ont passé, et lentement mais sûrement, on constate que l’impact de cette journée ne sera pas seulement symbolique. La médiatisation de l’évènement a poussé les politiques de tous bords à s’emparer de cette thématique. Les écarts, salariaux notamment, entre hommes et femmes ne peuvent plus être ignorés. Le regard sur les politiques familiales, sur la conciliation entre vies professionnelle et familiale, sur les questions de société, est en train de changer.

L’égalité, dans les deux sens d’ailleurs, que ce soit la femme dans son rapport au travail ou l’homme dans son rapport à la famille, est désormais un combat commun aux deux sexes et à celles et ceux qui ne s’identifient à aucun, et dessine un nouveau mode de vie. Car notre société ne divise plus hommes et femmes dans des rôles prédéfinis, on tente de leur donner le plus vaste choix possible pour qu’ils puissent, chacun et chacune, s’épanouir. Le 20 octobre 2019, la Suisse a élu ses nouveaux et nouvelles représentant·e·s aux chambres fédérales et le pourcentage de femmes, 42, n’a jamais été aussi élevé1. C’est un bond de dix points, comparé à 20152, et un signal très fort en faveur de l’égalité.

 

Rester vigilant·e

Il s’agit pourtant de rester vigilant·e et ce pour plusieurs raisons. D’abord car monter au front pour défendre l’égalité a fait naître une nouvelle vague, qui tend à dire que désormais, celles et ceux qui prennent cette posture virent dans un discours anti-homme, et que les femmes souhaiteraient inverser la donne pour fonder une société matriarcale en lieu et place de la société patriarcale qui a dominé jusque-là. On entend aussi dire que cette vague en faveur de l’égalité veut nier l’existence des deux sexes, et faire disparaître les différences biologiques. Et pourtant, elles sont bien là, les femmes tombent enceintes, nos corps utilisent et produisent des hormones différentes, et nos masses musculaires et graisseuses n’ont pas les mêmes proportions. Mais en droits et en devoirs, hommes et femmes doivent être égaux et traités en conséquence. De telles visions seraient totalement contre-productives, il ne s’agit pas de faire contre, mais de faire avec, car c’est ensemble que nous devons avancer.

 

Nouvelles politiques familiales et sociétales

Dans les effets positifs et concrets de la grève du 14 juin et de sa médiatisation, on peut noter le développement récent de politiques familiales et sociétales un peu plus progressistes ainsi qu’un focus sur les violences faites aux femmes parce qu’elles sont des femmes et sur ce qu’on nomme désormais les féminicides. On peut aussi penser en particulier à l’adoption d’un congé paternité de dix jours3, après des années et des années d’essais infructueux, et à un discours visant à promouvoir et soutenir les moyens de garde pour les 0-4 ans. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à poursuivre leurs études puis une carrière. Il existe des journées « futurs en tout genre » pour tenter de sortir des stéréotypes liés à certaines professions (on parle « d’infirmière » et de « mécanicien » par exemple) et pousser à oser des domaines qui pouvaient être jusque-là étiquettés « homme » ou « femme ».

Mais les défis restent très nombreux pour les politicien·ne·s en Suisse, par exemple, en termes de retraites. Si beaucoup de femmes travaillent, c’est majoritairement à temps partiel4 et les cotisations au 2ème pilier ne sont pas suffisantes pour leur assurer une retraite décente. Le mariage reste pénalisé fiscalement. D’ailleurs, deux retraité·e·s marié·e·s ne touchent qu’une rente et demie, alors que deux concubin·e·s touchent deux rentes complètes. Il existe une rente de veuve, mais pour le veuf, il n’y a droit que s’il a des enfants de moins de 18 ans. Les hommes sont toujours soumis à l’obligation de servir (dans le domaine militaire ou civil). La charge mentale, la gestion des enfants, des tâches ménagères, pèsent encore beaucoup plus sur les femmes que sur les hommes.

Sans compter que dans d’autres domaines, comme celui de la grande distribution, les publicitaires continuent de mettre en scène des petites filles pour vendre des planches à repasser, et des garçons pour vendre les jeux avec des voitures. Le compte Twitter Pépite sexiste5 en propose malheureusement un florilège intéressant. On entend encore régulièrement des petits garçons se faire « traiter de fillettes » quand ils pleurent. Quel dommage… Quand commencera-t-on à appliquer l’adage qui vise à dire que si c’est un jouet, alors c’est pour les enfants sans tenir compte du reste ? Ces publicités et ce marketing genrés de manière volontaire cloisonnent les tout-petits dans des rôles prédéfinis.

Il est certain que la tâche qui nous attend que ce soit comme politicien·ne, comme citoyen·ne, comme parent est encore importante. Un référendum contre le congé paternité6 vient d’ailleurs d’être lancé, comme quoi, chaque petit pas acquis est remis en question. Si ce référendum aboutit, la population votera, mais j’ai parfaitement confiance dans l’issue de ce scrutin qui donnera aux pères une autre place dans les familles du 21ème siècle.

 

Oser se lancer

Etant candidate en 2019 au Conseil national, j’ai vécu la présence indéniable de la question de l’égalité au sein de la campagne électorale. J’ai eu le sentiment d’une réelle volonté de changement de la part de la population pour viser une meilleure représentativité au Parlement, notamment avec plus de femmes et de jeunes. Au travers de mes contacts dans la rue, dans les débats et sur les réseaux sociaux, j’ai eu beaucoup de soutien dans mon engagement bien que je sois encore relativement novice dans mon mandat d’élue. La diversité permet d’assurer une représentation équitable des intérêts de chacun·e. Je dis souvent que pour être sûr·e d’être entendu·e dans nos besoins, comme jeunes parents par exemple, il faut oser se lancer avec ce vécu, malgré la difficulté de combiner un travail et un engagement politique avec la gestion d’enfants en bas âge.

 

La Suisse en retard

Les Suisse·sse·s ont cependant encore un système politique qui, sur beaucoup de thématiques, est resté basé sur la société d’il y a 50 ans, avec les constructions sociales de l’époque. Nous avons par conséquent du retard, car la démocratie suisse, souvent citée en exemple, n’est pas toujours la plus rapide à changer concrètement les choses. Le défi des politicien·ne·s de cette nouvelle législature fédérale, peu importe les partis d’ailleurs, sera de savoir repenser notre système économique et les assurances sociales pour correspondre au fonctionnement actuel, et s’attaquer à construire, enfin, une vraie politique familiale digne de notre pays et de ses moyens. Alors oui, il y aura un « avant » et un « après » 14 juin 2019, mais tout laisse à penser que nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers afin que l’égalité soit de moins en moins une préoccupation pour la génération de mes enfants et celles à venir.

 


 

1. https://www.letemps.ch/suisse/un-parlement-plus-feminin-plus-academique

2. https://www.swissinfo.ch/fre/l%C3%A9gislatives-helv%C3%A9tiques_la-suisse-a-d%C3%A9sormais-le-15e-parlement-le-plus-f%C3%A9minin-du-monde/45317136

3. https://www.letemps.ch/suisse/conge-paternite-conseil-national-opte-deux-semaines

4. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/themes-transversaux/monitoring-programme-legislature/tous-les-indicateurs/ligne-directrice-1-prosperite/taux-activite-professionnelle-femmes.html

5. https://twitter.com/pepitesexiste?lang=fr

6. https://www.rts.ch/info/suisse/10849684-referendum-lance-contre-le-conge-paternite-federal-juge-trop-couteux.html

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