Culture Le 16 octobre 2013

Murs virtuels au service de murs en béton

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Murs virtuels au service de murs en béton

Voilà déjà deux semaines que le célèbre Banksy, paternel incontournable du Street Art, réputé pour ses pochoirs humoristiques à tendance politique, use des miracles d’Internet pour assurer la promo de sa nouvelle exposition via différentes plateformes Web (dont son site officiel1). Exposition qui a cela de particulier qu’elle se déroule dans le tout New-York et comptera d’ici fin octobre autant d’œuvres éparpillées dans la ville qu’il est de journées dans le mois ! L’artiste, dont la véritable identité nous est toujours inconnue, semble en effet décidé à « se faire un mur »2 par jour. Ajouté à cela, il propose également un guide audio à chacune de ses pièces, accessible par le biais d’un numéro de téléphone gratuit ! Ainsi pas de fausse interprétation possible et si art terroriste il y a, la cause paraît hautement plus intelligible que bien d’autres !

Ce mouvement artistique, qui répond au nom suggestif de Better out than in (Mieux vaut dehors que dedans), se veut porteur des idées de son auteur et témoigne de sa rébellion face aux marchés de l’art qui s’arrachent ses fresques pour plusieurs milliers de francs. Les œuvres de Banksy, fruits d’une symbiose entre l’artiste et le milieu urbain, appartiennent à la rue : en d’autres termes, à tout le monde et à personne. Ici, la liberté de l’art s’amalgame à celle de l’expression et se combine au refus de la propriété. Le côté éphémère ne fait qu’augmenter la signification de la performance. Dessins, pochoirs et graffitis apparaissent sans prévenir ; dès lors, leurs heures sont comptées. Ils acquièrent de la valeur dans la mesure où ils se donnent à voir, dénoncent, font sourire ou agacent. Ils existent en tant que tels mais tirent leur force du regard d’autrui. Puis ils disparaissent, recouverts sur ordre de l’autorité publique ou simplement remplacés par d’autres. Un peu à l’image de toute vie humaine au final. Et c’est précisément ce qui touche.

Or, rien ne meurt vraiment tant qu’il est quelqu’un pour entretenir la cause ou l’image dans la pensée collective. Banksy l’a très bien compris. Et quoi de plus facile que de préserver une œuvre de l’oubli au 21ème siècle ? Google, Facebook, Twitter, Youtube, Instagram, et j’en passe… autant d’outils nécessaires aussi bien à la conservation de fichiers qu’à leur distribution mondiale. L’avènement du Web 2.0 est une véritable aubaine pour Banksy et ses confrères. Ayant très peu de chance d’intégrer le Louvre, ils se voient dans l’obligation de trouver une alternative à la sauvegarde de leur travail. Ainsi, non seulement la Toile leur fournit l’opportunité de laisser une trace de leur passage, mais elle leur permet également de se constituer une sorte de galerie virtuelle, accessible à tout un chacun, qui leur confère potentiellement le plus grand public jamais recensé pour une exposition d’œuvres d’art !

Bien évidemment, un problème se pose dès l’instant où l’on introduit une dimension financière à la question. C’est toute la dichotomie bien connue qui sépare l’art commercial de l’art pour l’art. Néanmoins, les deux pôles supposent une caractéristique commune, à savoir la quête de reconnaissance. Que cela soit dans le but de vendre ou dans celui de créer envers et contre tout, les deux démarches aspirent au partage et à la communion de leur art. Dans cette optique, les médias sociaux font office de tremplin et augmentent la probabilité de percer dans le milieu, ce qui constitue un avantage inestimable pour une pratique jugée sauvage et trop fréquemment associée à la délinquance. De ce fait, le Web participe à la légitimation de l’art de rue, permettant d’asseoir sa visibilité, de démontrer son côté esthétique afin de le faire valoir aux yeux de la population. Tous ces éléments s’imbriquent peu à peu dans la conception sociale et agissent comme des promoteurs de l’émancipation du graffiti.

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Il n’en demeure pas moins que l’usage du spray reste controversé dans l’opinion publique. Si, d’un côté, on assiste à la montée en puissance d’un nombre restreint de graffeurs sur le marché de l’art, de l’autre, le graffiti ne parvient pas à se détacher totalement de l’image néfaste qu’on lui accole. Encore une fois, les médias n’y sont pas pour rien. Seulement voilà, cette fois les accros de la bonbonne ont tout à y perdre, ou presque…

Si l’on s’intéresse un minimum à ce qu’en disent les quotidiens, on constate une certaine animosité à l’égard du graffiti. Les titres tapageurs du Matin et du 20 minutes (journaux les plus lus en Suisse romande) parlent d’eux-mêmes : Des inconnus taguent la Banque nationale suisse3 ; Les graffeurs sprayent au gros calibre4 ; De mystérieux stigmates apparus en ville5 ; ou encore Le Tribunal de Lausanne vandalisé6. La référence à la délinquance, à la violence ainsi qu’à l’illégalité ne fait aucun doute. La presse contribue donc à alimenter le lien graffiti/insécurité présent dans la conception majoritaire, qui s’offusque devant l’altération des biens publics et y voit une atteinte à la propriété. Sur cette base, la logique veut que l’on retienne le côté criminel de l’activité, condamné et condamnable.

À première vue, il n’en ressort rien de bon pour le street art et ses adeptes. Mais tout n’est pas si sûr… Dans un sens, la presse participe activement à la réalité du graffiti en collaborant inconsciemment avec ses partisans dans l’affirmation de leur art. Pour reprendre l’exemple de Banksy, nombreux sont les quotidiens qui lui ont consacré un article suite à sa prestation journalière. Le Matin7 et Le Monde8 soulignent la performance de l’artiste et ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Et quand celui-ci publie une vidéo sur Youtube9 mettant en scène une bande d’extrémistes armés pulvérisant Dumbo l’éléphant volant, ce sont tous les médias qui s’emballent créant ainsi le buzz autour de l’exposition officieuse.

Bien évidemment, toute inscription réalisée à la va-vite sur un mur ne cache pas un Banksy en herbe. Tags et graffitis ne relèvent pas toujours d’une recherche esthétique ou d’expression et, malheureusement, il est vrai que certains cherchent avant tout à nuire. Il faut savoir prendre au cas par cas et différencier la pratique artistique de celle subversive. Toutefois, il y a un avantage à faire parler de soi en bien ou en mal… Qui dit critique, positive ou négative peu importe, dit aussi reconnaissance de fait, visibilité prouvée et existence assurée. Quand street art et tags défraient la chronique, indépendamment du fait qu’il s’agisse de la dernière œuvre de Banksy ou d’inscriptions minables recouvrant les murs d’une banque, c’est toute l’image du graffiti qui gagne en notoriété. Encore faut-il  savoir en user à bon escient…

Pour terminer, il convient de s’arrêter sur les différentes questions qui restent en suspens suite à cette réflexion quant au rôle des médias dans la promotion du street art. Premièrement, il est important de considérer que les notions d’art et de graffiti ne se marient pas facilement. Elles sont aussi vagues l’une que l’autre et recouvrent une multitude de facettes qui nécessiteraient de plus profondes investigations. Par ailleurs, si elles semblent de plus en plus liées, notamment en raison de l’apparition du graffiti sur toile et dans les marchés de l’art, reste à résoudre un autre problème : peut-on parler de graffiti ou de street art en galerie, lorsque que l’essence même de ces termes renvoient précisément à l’univers de la rue ?

day72Dans un autre genre d’idée, on peut également s’interroger sur les notions d’originalité et d’unicité de l’œuvre. En effet, si les médias sociaux font office à la fois d’outils de communication et de galeries virtuelles, le principe d’authenticité pourrait courir un grave danger, surtout dans la mesure où ces fresques sont vouées à disparaître. Or, la logique du street art veut que ses œuvres n’appartiennent à personne. L’utilisation d’Internet comme moyen de propagation s’inscrit donc parfaitement dans cette démarche de liberté de l’art, permettant ainsi le partage universel et la découverte d’une pratique, parfois connotée négativement. Enfin, bien que le développement du Web engendre des complications quant aux questions de droits d’auteur, force est de constater que sans l’essor des médias sociaux et l’apparition du buzz sur la Toile, le street art ne connaîtrait pas son expansion actuelle et le nom de Banksy nous serait tout aussi inconnu que son identité.

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