La dernière affiche de l’UDC genevoise en vue des votations fédérales du 22 septembre sur la suppression de l’obligation de servir a la mérite de faire tomber les masques. Violence pure, volonté extrême de faire le buzz en choquant, le soldat Schwitzguebel joue à nous faire peur en se mettant en scène une arme pointée sur sa tête. Cela fonctionne. Il rend compte à merveille de la morbidité de l’armée et des dangers de celle-ci. Il faut faire de la publicité à cette affiche, elle dessert la cause d’une armée suisse qui soi-disant protégerait sa population et lui donne son vrai visage: une institution armée qui menace ses recrues, et tue, accidents après accidents ceux qui, par l’arbitraire de leur sexe ou de leur nationalité, ont le malheur d’y être engagé. L’armée d’amateurs telle que nous la connaissons menace la population plus qu’elle ne la protège en mettant des milliers d’armes en circulation et en initiant à la guerre. L’UDC illustre combien jouer avec les armes peut rendre agressif ou suicidaire. Si l’armée suisse a pour mission de défendre le pays qu’elle prétend servir, concrètement, elle est surtout une institution qui retourne ses armes contre ceux qui la servent. Et ceux qui la servent, avant de se défendre d’un ennemi, sont surtout prêts à en découdre avec eux-mêmes ou avec leurs proches. Les multiples morts en lien avec l’armée sont illustratifs. L’amateurisme et les armes, ça ne fait pas bon ménage.
Une expérience à Savatan
Mon expérience personnelle de l’armée : 4 mois à Savatan pour une école de recrue. 1 mort. Un jeune homme plein de vie qui marchait peu et que l’on a sanglé pour forcer à avancer, ce qui l’a tué. Rien appris, rien lu, coûté cher à la société, en matériel, en heures de travail perdues et en veilles inutiles dans des trous creusés dans la montagne, siestes à l’arrière de camions, marches sans but dans la nature. Des milliers de cartouches vidées dans la montagne, parce qu’il fallait bien épuiser des stocks de munition. Des levers à 4h30 du matin pour attendre quoi: – rien. Le mythe de l’école de recrue facteur de mixité nationale c’est du bidon. On était entre romands, et ça ne volait pas haut. Cela n’a pas fait de nous « des hommes » mais des abrutis en groupe passant le visage au cirage des plus fragiles et tondant les cheveux des plus petits ou de ceux qui ne tenaient pas les secouées à l’abricotine du mardi matin. L’uniforme porté par des amateurs rend con. L’uniforme porté par plusieurs cons rend au mieux très très con, au pire: méchant.
Les obsédés des armes repartaient à la maison le vendredi avec des cartouches volées dans les poches avant d’aller se bourrer la gueule le samedi pour oublier qu’ils devaient revenir le lundi. Mon expérience de l’armée aujourd’hui: des courriers qui me viennent de Berne pour me demander si j’ai bien rendu mon fusil militaire il y a environ 10 ans, car l’armée ne sait plus si je l’ai rendu ou pas. Comme je n’ai pas répondu à une première lettre, un rappel deux mois après m’est parvenu et puis plus rien. Aujourd’hui, non seulement l’armée ne sait pas si j’ai rendu mon arme ou pas, mais en plus, elle se moque de savoir que je lui réponde ou non sur le fait que je la lui ai rendue. Bref, c’est le chaos, et on ne parle pas d’allumettes ou des factures Billag, mais d’un fusil militaire. L’amateurisme semble aussi régner en maître à l’arsenal central.
Vive l’armée d’amateurs
Vive l’armée de milice, armée d’amateurs
Vive l’armée de milice, tant qu’elle n’oblige que les mecs
Vive l’armée de mecs amateurs, garantie tout risque contre tous les terroristes
Vive l’école de recrue, vacances garanties où l’on risque sa vie
Vive la mythologie des armes, ça peut toujours servir à un arrêt de bus
Vive n’importe quelle armée, du moment que l’on en a une
Vive les accords militaires avec des états en guerre. Il y a de l’argent à se faire. L’armée de milice sert à tester à peu de frais notre matériel
Combien de morts chaque année grâce à l’armée suisse? Entre les tombés de camion, les noyés de rafting (5 morts sur la Kander en 2008), les ensevelis sous les coulées de neige (6 morts à la Jungfrau en 2010), les heurtés par les tanks (Bure, 2011, 16 blessés graves) les dégommé-e-s à un arrêt de bus par des recrues (Zurich, 2007, 1 morte), les supprimé-e-s au hasard (Dübendorf 2013, 1 blessé grave, Daillon 2013, 3 morts, 2 blessés gravement par un ancien capitaine de l’armée, Menznau, 3 morts, 7 blessés, Baden, 2007, 1 morts, 4 blessés grave, etc., etc.), les personnalités (Corinne Rey-Bellet supprimée à l’arme d’officier en 2006), liste non-exhaustive et qui ne retient pas les nombres importants de suicides à l’arme militaire. Nous sommes tous et toutes, toi, toi, toi et moi, et toi encore, victimes potentielles des petits Schwitzguebel qui jouent avec les armes en les pointant sur eux, sur d’autres, en affiche mondiale ou plus banalement depuis leurs fenêtres vers la rue.
Une obligation de servir très récente
L’instauration du service militaire obligatoire ne date que de 1874. Les conscrits avaient alors à charge de s’auto-armer. L’État disposait alors de moyens limités, il a relancé des mythes comme celui de Guillaume Tell et celui du citoyen-soldat, utiles pour discipliner les citoyen-ne-s. Mais désormais, le pouvoir est suffisamment fort pour ne pas laisser traîner des armes dans la nature et les confier à n’importe qui. 466 morts par arme à feu en Suisse en 1998. Il y en avait 221 en 2010. Cette baisse va de pair avec la diminution des effectifs militaires de 850’000 hommes dans les années 1990 à 180’000 actuellement. Moins il y a de soldats, moins il y a d’armes, moins il y a de morts. C’est mathématique. Moins il y a d’amateurs qui peuvent se procurer d’armes, moins on risque sa peau. L’armée suisse telle qu’elle est construite aujourd’hui, avec une obligation de servir anachronique, devient une menace plus qu’une assurance.
À quoi sert une armée de milice? À donner aux petits Breivik en puissance des munitions. L’affiche de l’UDC donne la juste image de l’armée suisse. Armée à laquelle il nous est proposé de retirer rapidement les armes cédées aux citoyens qui les manipulent. Chaque citoyen enrôlé en moins c’est un risque diminué. Le 22 septembre, je vote OUI à la suppression de l’obligation de servir pour assurer un peu plus la paix civile et empêcher tous les petits Schwitzguebel de faire un carton.
Le temps n'a jamais rendu les hommes intelligent.