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Le peuple a tranché net. Un raz-de-marée négatif. 73,2% des votants ont refusé l’initiative du GSsA pour l’abolition du service militaire obligatoire. Pourtant, cette dernière a permis une nouvelle fois de questionner le bien-fondé de la conscription, extraire ses racines et exiger qu’elle identifie ses objectifs à court et à long terme. Lorsqu’on est un îlot de croissance au cœur de l’Europe et qu’on assimile notre prospérité au mythe national d’une sécurité armée, il y a encore de grands pas à faire pour comprendre que notre liberté et notre différence ne se sont jamais acquises à la pointe du fusil. L’identité nationale est une chimère forgée à laquelle on est bien forcé de croire et l’armée en est devenu son avatar le plus évident. Il est douloureux de voir, qu’encore aujourd’hui, le plus grand nombre pense que notre cohésion nationale tient par la hiérarchie militaire ; la discipline d’une guerre à laquelle on n’a jamais participé.
Rien n’est effacé. La question de la légitimité a été posée. C’est maintenant que le débat commence. Alors je fais feu le premier, avec comme chevalet cet article paru sur Jet d’Encre le 20 septembre passé et qui regroupe une bonne partie des arguments des pro-armée. Il est utile de l’avoir lu au préalable, puisque ceci est une réponse sous forme de billet d’humeur.
« S’il n’existe aucune armée similaire dans le monde, c’est parce qu’elle est comme tous les éléments instables : condamnée à disparaître. »
Tout est dit. L’armée est une structure instable qui doit être réformée. Le mérite du GSsA est d’avoir posé le doigt sur la plaie, là où personne ne l’aurait mis. Même si leurs propositions peuvent paraître radicales, la question de la réforme est posée et ne pourra être retirée. Même des politiciens conservateurs et gradés, à l’instar de Pierre Maudet, admettent la nécessité d’une refonte de l’armée. Lui évoque une participation augmentée aux missions de gendarmerie, notamment d’ordre fédéral. Avoir des hommes en chars et en armes répondre aux délits de citoyens, me fait penser au mieux à l’instigation de la loi martiale, au pire à une dérive totalitaire. Un palliatif serait de repenser une police fédérale professionnelle actuellement encore au stade embryonnaire.
« Le jour où les volontaires viennent à manquer, soit l’armée se meurt, incapable de renouveler son effectif soit elle se professionnalise, et dans le cas de la Suisse, devient vite aussi encombrante qu’inutile.»
Le papier n’explique nulle part les raisons nécessaires à la préservation d’une force armée. Défense contre qui ? quoi ? Des hackers ? Juste une reconversion en service citoyen comme pis aller. L’auteur à court d’argument va jusqu’à chercher des conflits extérieurs pour justifier l’existence de la grande muette.
« Assouplir la neutralité et mener davantage d’opérations à l’étranger sous l’égide de la communauté internationale. »
La guerre à la place de la neutralité ? C’est ça notre idéal commun ? Provoquer de faux théâtres d’opération, inutiles à la politique étrangère suisse, afin d’assumer les coûts de l’armée ? Une solution bien cynique, que tant de pays embourbés dans de vrais conflits sanglants nous envieraient.
« Il y a au moins trois raisons de penser que la Suisse éprouverait encore davantage de difficultés : le plein emploi, un bassin de population minuscule et la neutralité. S’entraîner durant des années pour ne jamais partir à l’engagement ne va faire rêver personne. »
Effectivement, alors que tant de gens rêvent d’enfiler leurs bottes pour aller piétiner la boue dans des guerres qui sentent la poudre et les chaires calcinées. Les défenseurs suisses de la grande muette ont été tenus si éloignés, et pendant tant d’années, de la puanteur des conflits, qu’ils en ont gardé l’excitation morbide et le plaisir sadique de l’engagement. Souhaiter l’affrontement pour le plaisir de celui-ci sans que la nécessité défensive n’y soit, ça ne fait bander que les excités d’Isone et quelques jeunes lieutenants formatés.
Et plaignons-nous de notre -relatif- plein-emploi. Encore une solution qui transpire le cynisme. Trop peu de chômeurs pour jouer à la guerre ; alors quoi ? Licencions plus pour fournir plus de corps et de temps à cette manne économique qu’est l’armée ! Le propos est intenable, tant économiquement que socialement.
« Peu d’armées, par exemple, tirent à balles réelles dès la deuxième semaine d’école de recrue. En Suisse, nous pouvons nous le permettre, car nos hommes comprennent vite et sont des gens responsables. »
Heureux de prendre connaissance de la supériorité intellectuelle et morale de mes compatriotes. L’excès de patriotisme et d’orgueil mis de côté, parlons aussi de nos bien inutiles forces spéciales qui ont un niveau d’entraînement « au-dessus des standards internationaux »; surtout quand on sait que les Navy SEALS ou le SAS britannique viennent nous donner des cours, fortement rémunérés, afin de nous remettre au niveau de ces standards internationaux.
« L’Algérie et le Vietnam ont montré qu’une opinion publique défavorable pouvait vous faire perdre la guerre. »
Ah cette saleté d’opinion publique, qui pour certains imbéciles n’existe même pas1… elle nous empêche d’envahir des pays et de tenir en respect protectorats et colonies ! C’est même elle qui nous fait perdre la guerre en critiquant la torture (Algérie) et les massacres de civils au napalm et à l’agent orange (Vietnam). Elle ne comprend vraiment rien à l’importance de la guerre et à l’utilité des forces armées cette sotte !
« Machiavel, dans « Le Prince », rappelle que Rome, Sparte et la Suisse tirent leur liberté de leurs « armes propres » et non de mercenaires. La milice est dans notre ADN. »
Ou comment justifier notre armée XXI avec l’appui de Machiavel, qui a réduit la chose politique à la simple prise du pouvoir (ou sa conservation) dans une Italie tyrannisée par des guerres et des renversements incessants. Une situation parfaitement analogue à notre Suisse moderne ! Dans la Florence de Machiavel, le concept d’Etat-nation n’était pas encore forgé. Cette juxtaposition politique paraît ici compliquée par cinq siècles d’histoire.
Ah, et ne pas confondre tradition et ADN. Un concept qui n’a d’ailleurs aucune pertinence en science politique ou en relations internationales.
« la « grande muette » doit apprendre à communiquer. Elle doit cibler les jeunes, être percutante et utiliser tous les canaux d’informations disponibles. »
Au lieu de la réformer, il faudrait rendre l’armée sexy par un emballage communicationnel à destination de notre jeunesse ? Avec un peu de chance on peut espérer voir son logo sur la prochaine jaquette de Call Of Duty ? Ca me fait penser aux bornes d’arcades présentes en caserne et aux trousses Nivea offertes durant le recrutement. Mais continuons d’essayer de rendre le service hype, qui sait, on risquerait de récupérer quelques écervelés en plus.
« Mais c’est le GSSA qui retarde d’une guerre. Sans doute parce qu’il y a longtemps qu’aucun de ses membres n’a mis les pieds à l’armée… »
Sans doute parce qu’il y a longtemps qu’aucun membre de l’armée n’a mis les pieds dans une guerre…
« Or, l’avenir n’a jamais été aussi flou : révolutions, globalisation, crises économiques, changement climatique, émergence de nouvelles puissances. Tout est en mouvement. Il est impossible d’affirmer que le « Sonderfall » suisse sera encore une réalité dans 10 ou 20 ans. Surtout au milieu d’une Europe en crise. »
Mais oui c’est ça, suivons la bonne théorie survivaliste. Il aurait été judicieux, pour clarifier le propos, d’évoquer la sentence « qui veut la paix prépare la guerre » elle aurait été de bon ton. La meilleure façon d’éteindre la démocratie c’est d’user de la peur et de la stratégie du choc. L’Europe vit sa plus longue période de paix et paradoxalement on n’a jamais ressenti une telle proximité avec un illusoire danger. Créer ses propres désastres lorsqu’on a enfin accès à une vie plus sûre, voilà le vice à combattre… Et ne me sortez pas que cette paix est le fruit de nos luttes armées. On a encore des lingots au fond de nos coffres qui suintent la collusion avec l’ennemi.
« l’armée est devenue le parent pauvre de la politique fédérale. »
Trop de Gripen tue le Gripen.
« Par exemple, imaginer l’armée dans le cadre plus large d’un service citoyen, auquel les femmes seraient astreintes. »
Ou l’égalitarisme à l’envers. La conscription des femmes avant des salaires équitables. Un grand pas pour l’égalité vaut bien quelques foulées pour l’armée !
1http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html
De toutes façons peut importe la vision biaisée de Matteo, le principal c'est que le peuple à conscience de la…