Politique Le 25 septembre 2013

Conscription : une pomme empoisonnée ça s’avale jusqu’au trognon

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Conscription : une pomme empoisonnée ça s’avale jusqu’au trognon

[DR]

Le peuple a tranché net. Un raz-de-marée négatif. 73,2% des votants ont refusé l’initiative du GSsA pour l’abolition du service militaire obligatoire. Pourtant, cette dernière a permis une nouvelle fois de questionner le bien-fondé de la conscription, extraire ses racines et exiger qu’elle identifie ses objectifs à court et à long terme. Lorsqu’on est un îlot de croissance au cœur de l’Europe et qu’on assimile notre prospérité au mythe national d’une sécurité armée, il y a encore de grands pas à faire pour comprendre que notre liberté et notre différence ne se sont jamais acquises à la pointe du fusil. L’identité nationale est une chimère forgée à laquelle on est bien forcé de croire et l’armée en est devenu son avatar le plus évident. Il est douloureux de voir, qu’encore aujourd’hui, le plus grand nombre pense que notre cohésion nationale tient par la hiérarchie militaire ; la discipline d’une guerre à laquelle on n’a jamais participé.

Rien n’est effacé. La question de la légitimité a été posée. C’est maintenant que le débat commence. Alors je fais feu le premier, avec comme chevalet cet article paru sur Jet d’Encre le 20 septembre passé et qui regroupe une bonne partie des arguments des pro-armée. Il est utile de l’avoir lu au préalable, puisque ceci est une réponse sous forme de billet d’humeur.

« S’il n’existe aucune armée simi­laire dans le monde, c’est parce qu’elle est comme tous les éléments instables : condam­née à dis­pa­raître. »

Tout est dit. L’armée est une structure instable qui doit être réformée. Le mérite du GSsA est d’avoir posé le doigt sur la plaie, là où personne ne l’aurait mis. Même si leurs propositions peuvent paraître radicales, la question de la réforme est posée et ne pourra être retirée. Même des politiciens conservateurs et gradés, à l’instar de Pierre Maudet, admettent la nécessité d’une refonte de l’armée. Lui évoque une participation augmentée aux missions de gendarmerie, notamment d’ordre fédéral. Avoir des hommes en chars et en armes répondre aux délits de citoyens, me fait penser au mieux à l’instigation de la loi martiale, au pire à une dérive totalitaire. Un palliatif serait de repenser une police fédérale professionnelle actuellement encore au stade embryonnaire.

« Le jour où les volon­taires viennent à man­quer, soit l’armée se meurt, inca­pable de renou­ve­ler son effec­tif soit elle se pro­fes­sion­na­lise,  et dans le cas de la Suisse, devient vite aussi encom­brante qu’inutile.»

Le papier n’explique nulle part les raisons nécessaires à la préservation d’une force armée. Défense contre qui ? quoi ? Des hackers ? Juste une reconversion en service citoyen comme pis aller. L’auteur à court d’argument va jusqu’à chercher des conflits extérieurs pour justifier l’existence de la grande muette.

© keystone

© keystone

« Assou­plir la neu­tra­lité et mener davan­tage d’opérations à l’étranger sous l’égide de la com­mu­nauté inter­na­tio­nale. »

La guerre à la place de la neutralité ? C’est ça notre idéal commun ? Provoquer de faux théâtres d’opération, inutiles à la politique étrangère suisse, afin d’assumer les coûts de l’armée ? Une solution bien cynique, que tant de pays embourbés dans de vrais conflits sanglants nous envieraient.

« Il y a au moins trois rai­sons de pen­ser que la Suisse éprou­ve­rait encore davan­tage de dif­fi­cul­tés : le plein emploi, un bas­sin de popu­la­tion minus­cule et la neu­tra­lité. S’entraîner durant des années pour ne jamais par­tir à l’engagement ne va faire rêver personne. »

Effectivement, alors que tant de gens rêvent d’enfiler leurs bottes pour aller piétiner la boue dans des guerres qui sentent la poudre et les chaires calcinées. Les défenseurs suisses de la grande muette ont été tenus si éloignés, et pendant tant d’années, de la puanteur des conflits, qu’ils en ont gardé l’excitation morbide et le plaisir sadique de l’engagement. Souhaiter l’affrontement pour le plaisir de celui-ci sans que la nécessité défensive n’y soit, ça ne fait bander que les excités d’Isone et quelques jeunes lieutenants formatés.

Et plaignons-nous de notre -relatif- plein-emploi. Encore une solution qui transpire le cynisme. Trop peu de chômeurs pour jouer à la guerre ; alors quoi ? Licencions plus pour fournir plus de corps et de temps à cette manne économique qu’est l’armée ! Le propos est intenable, tant économiquement que socialement.

« Peu d’armées, par exemple, tirent à balles réelles dès la deuxième semaine d’école de recrue. En Suisse, nous pou­vons nous le per­mettre, car nos hommes com­prennent vite et sont des gens res­pon­sables. »

Heureux de prendre connaissance de la supériorité intellectuelle et morale de mes compatriotes. L’excès de patriotisme et d’orgueil mis de côté, parlons aussi de nos bien inutiles forces spéciales qui ont un niveau d’entraînement « au-dessus des standards internationaux »; surtout quand on sait que les Navy SEALS ou le SAS britannique viennent nous donner des cours, fortement rémunérés, afin de nous remettre au niveau de ces standards internationaux.

« L’Algérie et le Viet­nam ont mon­tré qu’une opi­nion publique défa­vo­rable pou­vait vous faire perdre la guerre. »

Ah cette saleté d’opinion publique, qui pour certains imbéciles n’existe même pas1… elle nous empêche d’envahir des pays et de tenir en respect protectorats et colonies ! C’est même elle qui nous fait perdre la guerre en critiquant la torture (Algérie) et les massacres de civils au napalm et à l’agent orange (Vietnam). Elle ne comprend vraiment rien à l’importance de la guerre et à l’utilité des forces armées cette sotte !

« Machia­vel, dans « Le Prince », rap­pelle que Rome, Sparte et la Suisse tirent leur liberté de leurs « armes propres » et non de mer­ce­naires. La milice est dans notre ADN. »

Ou comment justifier notre armée XXI avec l’appui de Machiavel, qui a réduit la chose politique à la simple prise du pouvoir (ou sa conservation) dans une Italie tyrannisée par des guerres et des renversements incessants. Une situation parfaitement analogue à notre Suisse moderne ! Dans la Florence de Machiavel, le concept d’Etat-nation n’était pas encore forgé. Cette juxtaposition politique paraît ici compliquée par cinq siècles d’histoire.

Ah, et ne pas confondre tradition et ADN. Un concept qui n’a d’ailleurs aucune pertinence en science politique ou en relations internationales.

Avec l'autorisation de la library of congress

Image : avec l’autorisation de la library of congress

« la « grande muette » doit apprendre à com­mu­ni­quer. Elle doit cibler les jeunes, être per­cu­tante et uti­li­ser tous les canaux d’informations disponibles. »

Au lieu de la réformer, il faudrait rendre l’armée sexy par un emballage communicationnel à destination de notre jeunesse ? Avec un peu de chance on peut espérer voir son logo sur la prochaine jaquette de Call Of Duty ? Ca me fait penser aux bornes d’arcades présentes en caserne et aux trousses Nivea offertes durant le recrutement. Mais continuons d’essayer de rendre le service hype, qui sait, on risquerait de récupérer quelques écervelés en plus.

« Mais c’est le GSSA qui retarde d’une guerre. Sans doute parce qu’il y a long­temps qu’aucun de ses membres n’a mis les pieds à l’armée… »

Sans doute parce qu’il y a long­temps qu’aucun membre de l’armée n’a mis les pieds dans une guerre…

« Or, l’avenir n’a jamais été aussi flou : révo­lu­tions, glo­ba­li­sa­tion, crises écono­miques, chan­ge­ment cli­ma­tique, émer­gence de nou­velles puis­sances. Tout est en mou­ve­ment. Il est impos­sible d’affirmer que le « Son­der­fall » suisse sera encore une réa­lité dans 10 ou 20 ans. Sur­tout au milieu d’une Europe en crise. »

Mais oui c’est ça, suivons la bonne théorie survivaliste. Il aurait été judicieux, pour clarifier le propos, d’évoquer la sentence « qui veut la paix prépare la guerre » elle aurait été de bon ton. La meilleure façon d’éteindre la démocratie c’est d’user de la peur et de la stratégie du choc. L’Europe vit sa plus longue période de paix et paradoxalement on n’a jamais ressenti une telle proximité avec un illusoire danger. Créer ses propres désastres lorsqu’on a enfin accès à une vie plus sûre, voilà le vice à combattre… Et ne me sortez pas que cette paix est le fruit de nos luttes armées. On a encore des lingots au fond de nos coffres qui suintent la collusion avec l’ennemi.

« l’armée est deve­nue le parent pauvre de la poli­tique fédé­rale. »

Trop de Gripen tue le Gripen.

« Par exemple, ima­gi­ner l’armée dans le cadre plus large d’un ser­vice citoyen, auquel les femmes seraient astreintes. »

Ou l’égalitarisme à l’envers. La conscription des femmes avant des salaires équitables. Un grand pas pour l’égalité vaut bien quelques foulées pour l’armée !


1http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html

Commentaires

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Quentin

De toutes façons peut importe la vision biaisée de Matteo, le principal c'est que le peuple à conscience de la…

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Brett

Ce qui est dommage dans cet article, c'est le niveau très faible de réflexion. Étant moi-même opposé à l'armée, je…

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HN

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Quentin

De toutes façons peut importe la vision biaisée de Matteo, le principal c’est que le peuple à conscience de la nécessité d’avoir une armée, qui plus est milicienne. Néanmoins elle évoluera au fil du temps comme elle l’a toujours fait, c’est une évidence et on le perçoit d’année en année (même de l’extérieur). La différence c’est que les choses s’accélèrent, les menaces changent plus rapidement qu’auparavant, et bien entendu, notre armée ne se mue pas à grande vitesse vu que notre système l’en empêche. Mais c’est une bonne chose, notre lenteur démocratique permet de faire les bons choix, de laisser le temps aux débats. Aujourd’hui nous refusons la stupidité du GSsa, demain nous voterons pour des avions de combats (peu importe le résultat, cela fait partie d’un débat et c’est ca l’important), après demain nous accepteront ou non une nouvelle monture moderne de nos forces militaires.

Bref, le pays et son armée son sur une bonne voie, et les faibles qui croient en un monde de télétubies sont laissé sur le bord du chemin, et tout compte fait, c’est tant mieux !

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Brett

Ce qui est dommage dans cet article, c’est le niveau très faible de réflexion. Étant moi-même opposé à l’armée, je trouve triste que l’article auquel tu es censé répondre soit bien meilleur que le tien.
Un billet d’humeur n’apporte rien à l’argument, seule une analyse construite et lisible peut faire progresser le débat.
Dommage, très dommage.

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HN

« Rencontrer un étudiant, un boulanger, qui que ce soit, nouer des liens, créer une amitié », on peut le faire dans la vie…
Evidemment, les conditions difficiles facilitent le rapprochement entre les individus. Mais je trouve cet argument un peu léger pour justifier tant de contraintes, de dépenses, de perte de temps. On n’attend pas de devoir faire son service pour se faire des potes.

Cdlmt

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Vincent Gillet

Tu rejettes visiblement le principe même d’une armée en Suisse. Et c’est donc dans ce sens que tu réagis. Mais ce n’était pas mon propos, mon article vise à répondre à la question posée par l’initiative du GSSA : faut-il garder l’armée de milice où l’abandonner pour une autre forme de service militaire, comme une armée de volontaire ou professionnelle ? Mon article n’est peut être pas le bon « chevalet » pour ton exposé puisqu’on ne parle pas de la même chose. Comme tu as jeté en vrac quelques unes de mes phrases sorties de leur contexte (même pas les arguments en entier), je vais quand même devoir éclaircir ou rappeler quelques points :
– Je n’ai pas dit que l’armée était instable en général. C’est l’armée de volontaire qui est instable.
– Je ne développe pas la question de l’utilité de l’armée suisse, parce que ce n’est tout simplement pas le sujet de l’article. Mais rassure toi, j’ai assez d’arguments pour un nouvel article (trop long pour un simple commentaire).
– Je n’ai aucunes velléités guerrières, je pense juste que la Suisse devrait être un acteur de la sécurité internationale au lieu de toujours jouer les « freeriders ». Vouloir participer à des opérations de maintien de la paix et envoyer des casques bleus, ça n’a rien de cynique. Et, malheureusement, il y a déjà suffisamment de théâtres d’opérations. Pas besoin d’en inventer !
– La motivation d’un professionnel, c’est soit l’argent, soit l’action, donc oui, la neutralité est un désavantage pour une armée professionnel. De même que le plein emploi, il y a moins de gens à recruter. Peut être n’as tu pas compris que je parlais de l’armée professionnelle. C’est pourtant le titre de cette deuxième partie. Heureusement, les miliciens sont différents, ils ont d’autres centres d’intérêts que l’armée. Même les jeunes lieutenants formatés…
– Personnellement, je ne critique pas l’opinion publique. Je dis simplement qu’elle dérange les dirigeants et qu’elle peut faire perdre des guerres. Ce sont des faits. Et ils expliquent, en partie, pourquoi autant de pays ont professionnalisé leur armée (plus facile à contrôler). Je suis pour la milice justement parce qu’elle ne peut pas s’affranchir de l’opinion publique, il y a toujours un contrôle démocratique. Elle n’est pas qu’un outil aux mains des dirigeants.
– La référence à Machiavel était d’abord pour rappeler l’importance de la milice dans la construction de la Suisse. Mais son propos n’est pas anachronique, le monde a peut être évolué, il n’en demeure pas moins qu’il reste pertinent pour expliquer la supériorité de la milice sur l’armée professionnel et le mercenariat (une fois de plus, je ne parlais pas de l’utilité de l’armée en Suisse).
– Dans notre société « ultra-médiatique », la communication est importante, bien sûr ! Pourquoi l’armée devrait-elle laisser le champ libre aux antimilitaristes ? Et mieux communiquer n’empêche pas de réformer.
– Reconnaître que la sécurité n’est pas quelque chose d’acquis pour toujours, ce n’est pas jouer avec les peurs, c’est juste faire preuve de bon sens. La crise a montré la fragilité de l’Europe. Et s’il faut encourager la fraternité entre les peuples, le monde des Hommes n’étant pas celui des Bisounours, il faut aussi rester vigilent.
– Enfin, je ne sais pas si tu as lu mon article en diagonale ou si tu as délibérément détourné mon propos, mais je ne suis pas juste un « pro-armée ». Je défends l’armée de milice, certes, mais je fais aussi partie des réformateurs. Le débat est intéressant, alors il mérite mieux qu’un discours caricatural.

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Léon Aubert

« Mais conti­nuons d’essayer de rendre le ser­vice hype, qui sait, on ris­que­rait de récu­pé­rer quelques écer­ve­lés en plus. »
Bien malheureusement, cette vision réductionniste des recrues sort souvent de la bouche de ceux qui ne l’ont jamais été. Trop occupé à combattre l’armée et ses défenseurs, les opposants à celle-ci ont oublié quelle expérience pouvait représenter l’obligation de servir, qu’on soit peintre en bâtiment ou fraîchement diplômé d’une maturité gymnasiale. Ni sens du devoir, ni patriotisme, mais simplement durant cinq mois, vivre quelque chose de différent, sortir de son confort, de sa routine, de son habitude. Oui, l’armée c’est chiant. C’est chiant de se lever à 05h45 le matin. C’est chiant de manger des vieux schubligs toute la semaine (bien qu’aujourd’hui d’autres s’en réjouissent apparemment…). C’est chiant de faire 6 heures de train tous les week-ends. C’est chiant de nettoyer son fusil tous les jours. Mais c’est génial de rencontrer et partager des moments, qui peuvent être forts, avec des personnes qu’on ne connaît ni d’Eve ni d’Adam pendant cinq mois. C’est génial de pouvoir nouer une amitié durant une garde nocturne et ensuite voir qu’elle se prolonge lorsque l’on retourne à la vie civile. C’est génial de côtoyer un étudiant, un boulanger, un mécanicien (chose possible nulle part ailleurs), de rencontrer des gens venus des quatre coins de la Suisse.
Juste une fois. Ça peut vouloir la peine.
Oui l’armée doit revoir son mode de vie, et oui le service obligatoire garde tout son sen.

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