Sport Le 18 septembre 2018

La National League est-elle devenue une insupportable rombière?

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La National League est-elle devenue une insupportable rombière?

Champion en titre, Zurich renversera-t-il une nouvelle fois la concurrence (comme ici en 2012, face au Genève-Servette de Kevin Romy) ? [WikiMedia Commons]

Le championnat suisse de hockey reprend ses droits vendredi. Va-t-on à nouveau assister à une saison monotone et dont l’issue est jouée d’avance ? Comment faire pour améliorer l’attractivité de la National League ? L’analyse de Guillaume Claude.


 

« Rombière » : Nom féminin désignant une femme d’âge mûr, ennuyeuse, prétentieuse et un peu ridicule.

Ici et là, ils s’essaient. Les « têtes pensantes », les « grands », y mettent de leur personne pour tenter de donner une seconde jeunesse à cette vieille rombière décrépie qu’est devenue la Ligue nationale suisse de hockey.

Il faut dire que chaque année elle nous ressort le même cinéma, la vieille. Elle a beau travestir son nom et s’appeler « National League » (ça fait amerloque, c’est vendeur l’Amérique!), sous le vernis, elle reste la même : une insupportable rombière !

Ridicule, la Ligue l’est quand elle permet qu’en pleine saison – et ce en dépit de toute cohérence sportive – un joueur signe dans un autre club1. Ennuyeuse, la vieille dame l’est quand elle offre année après année les mêmes scènes.

Avec son petit sac à main et ses manies d’EMS, elle nous refait le même coup à chaque début de saison. Elle fait presque pitié à la longue. « J’ai changé !», « Je ne suis plus la même! », « Je peux moi aussi être belle et sexy comme ma grande sœur américaine ! ». Courtois avec les personnes âgées, on veut y croire, une fois de plus.

En septembre, bêtes comme on est, on a eu le temps d’oublier pendant l’été. On s’est extasié devant la Coupe du Monde, on a pris de la hauteur devant les playoffs de NHL. On se dit que c’est peut-être vrai, que cette Ligue suisse a enfin changé et qu’elle saura elle aussi nous faire rêver et tout et tout…

On la croit quand elle nous dit être prête à s’offrir enfin à un nouveau maître. Mais au printemps, patatras… Inlassablement, elle retombe dans les bras de ses éternels amants2. Toujours les mêmes. Et le cercle des élus ne fait que rapetisser de championnat en championnat.

Elle a beau tenter tous les liftings qu’elle veut3, elle a ses habitudes, la vieille. Elle aime les  possédants4. Ces derniers temps, elle table sur du millionnaire bernois ou zurichois5. Rien d’autre.

Après avoir vu le double succès de l’ogre bernois6, la Ligue s’est donnée à un autre habitué du trône. En avril dernier, les ZSC Lions du milliardaire Walter Frey7 ont arraché le titre au nez et à la barbe du HC Lugano des Mantegazza8.

Davos, Berne, Zurich, avec quelques miettes récupérées par le HC Lugano : les jeux semblent joués d’avance dans cette ligue. Et cette année encore, la hiérarchie ne semble pas devoir être remise en cause9.

Pourtant, quelques espoirs existent

À la Ligue, un vent de révolte semble s’être levé. On parle d’une fine brise pour l’instant mais tout de même, on sent que les lignes bougent et de plus en plus de voix s’élèvent pour envoyer un grand coup de pied dans le derrière de cette ronflante rombière afin de redynamiser tout ça.

Les règles ont changé. L’époque des mécènes portant à bout de bras leur club paraît révolue10. Le sens de l’Histoire semble porter les équipes vers plus d’indépendance. Tant mieux. L’exemple du CP Berne11 fait des émules et les nouveaux revenus engendrés par les droits TV pourraient redéfinir le championnat et – osons rêver – redistribuer quelque peu les cartes.

Reste que la question demeure : quand viendra ce grand coup de balais sur ces vieilles pratiques ? La rombière s’attache à ses privilèges. Elle tient bon, la vieille.

En effet, pour qui n’est pas assez fan pour se déplacer à la patinoire mais est tout de même amateur de hockey, quel peut bien être l’intérêt d’un championnat qui est déjà – plus ou moins – joué avant même la première journée ?

Quelle chance pour n’importe quel fan romand ou un supporter de Langnau, Ambri ou Rapperswil de voir un jour le capitaine de son équipe brandir le trophée remis au champion suisse ? Réponse : aucune.

Notre mamie a ses petits fétichismes, ses pratiques d’un autre temps. Elle tient à son folklore, sa Valascia, son Ilfis et son chäs-brägu. Même si les clubs qui l’incarnent n’ont (et n’auront) jamais l’occasion de toucher le puck dans cette ligue.

Bientôt la révolution?

L’enjeu est pourtant de taille. En sport, l’attractivité tient en grande partie au degré d’incertitude et de surprise qu’un événement peut générer. Le hockey connaît parfaitement cela pour avoir introduit depuis longtemps ces séries finales de playoffs. En foot, les coupes nationales ou les phases à élimination directe tirent régulièrement en avant les taux d’écoute. L’incertitude fait l’attractivité d’une compétition.

Aux antipodes des pratiques helvétiques, les sports nord-américains sont depuis longtemps passés maîtres dans la valorisation de l’attractivité de leurs ligues sportives. Outre-Atlantique, la culture sportive (place du sport dans la société) et la couverture médiatique (réservoir immense de téléspectateurs) du moindre événement ont naturellement poussé vers ce modèle.

Les ligues sont pensées comme des marques, des « produits ». La destinée de chacune d’elles a pris le dessus sur celle des clubs. Tout est donc fait pour valoriser le label NFL, NHL, NBA, MLB ou encore MLS. Les droits TV ont depuis longtemps forcé les clubs à s’entendre et ont du même coup renforcé le pouvoir des dirigeants de ligues, en lieu et place des propriétaires de clubs. Le Commissioner en dessus des directeurs-généraux. C’est à ce dernier que revient la responsabilité de négocier avec les diffuseurs.

Avec leurs plafonds et planchers salariaux, leur politique de redistribution des revenus et leur réflexion en ligue (et non par clubs isolés dans leur coin), les sports US parviennent à maintenir attractif l’enjeu de leurs compétitions sportives. D’autres problèmes émergent (authenticité des sportifs, identité des clubs, etc.), mais le spectacle sportif est assuré.

Bien que le marché, les pratiques et les habitudes suisses n’aient pas grand-chose en commun avec le monde du sport anglo-saxon, l’apparition de la télédiffusion payante et les rivalités entre diffuseurs pourraient amener le hockey suisse à se transformer.

Qui dit droits TV à négocier dit également mise en commun des revenus (c’est la Ligue qui négocie et redistribue les revenus des droits TV) et politique marketing commune. Les clubs ont donc dès à présent intérêt à penser le label National League dans un esprit collectif.

Le temps des raisonnements égoïstes tire à sa fin. C’est peut-être là que la concurrence que se livrent – et se livreront – les deux diffuseurs (Swisscom TV et UPC) s’avérera la plus vertueuse.

Au prochain échéancier (fin de la saison 2021-2022), Swisscom pourrait surenchérir sur les 35,4 millions par an versés par UPC pour diffuser les matches du championnat12. De négligeable lorsque seul le service public diffusait le championnat, la manne perçue par les droits TV deviendra une part de plus en plus importante du budget des clubs.

Corollaire : le téléspectateur deviendra bientôt plus important que le spectateur (c’est la logique suivie par tous les sports à diffusion payante). Davantage soumis à la culture du zap que le traditionnel amateur qui chaque année prend son abonnement place-assise, le téléspectateur demandera du spectacle, de l’enjeu, du suspens. Sinon, il ira plus volontiers voir ailleurs. Cela pourrait donc tout changer. Le hockey suisse se verra forcé d’opérer une mue radicale pour proposer un championnat attractif.

Plancher et plafond salariaux (chaque club aurait la même enveloppe salariale pour payer ses joueurs), augmentation du nombre d’étrangers alignés (ce qui aurait pour effet de forcer les joueurs suisses à se surpasser13), délimitations précises des périodes de transferts (qui redonneraient du crédit aux effectifs des équipes), fermeture de la Ligue (impossibilité d’être relégué afin de constituer des franchises sur le long terme), deuxième division changée en ligue de clubs-école, ligue junior indépendante des clubs, système de draft à l’américaine, etc. Les idées ne manquent pas pour égaler les chances sur la ligne de départ et rendre du même coup un certain suspens à une ligue qui en a cruellement besoin.

Mais la révolution ne semble pas prévue pour tout de suite tant il paraît compliqué de faire bouger les lignes dans ce championnat suisse. Dernier sujet soumis à la discussion : l’augmentation du nombre de joueurs étrangers (donc attractifs pour la Ligue) ne semble pas passer la rampe et convaincre au-delà de certains cercles restreints (Genève, Berne, Lausanne et Davos ont voté pour)14.

En somme, le chemin est encore long avant qu’une Ligue attrayante, dynamique et moderne voit le jour en Suisse. En attendant, tout semble concourir à la perpétuation de cet éternel ronronnement dans lequel s’est lentement enfermé le championnat suisse. Monotonie qui repousse le fan de rivalités, de suspens et de cohérence sportive vers d’autres ligues, voire d’autres sports.

En attendant la venue d’une jeune, jolie et enthousiasmante jeune fille venue la pousser vers la retraite, chat sur les genoux, tisane fumante sur la tablette et tricot dans les mains, notre gentille rombière peut encore ricaner un bon moment. En attendant un nouveau titre bernois ou zurichois le printemps venu.

 


1. On peut citer deux affaires récentes où les échanges prévus longtemps à l’avance faussent quelque peu la donne: la signature de Romain Loeffel (GSHC) à Lugano en octobre dernier (voir ici) et celle, plus récente, du gardien Leonardo Genoni (Berne) en partance pour Zoug dans… un an (lire ici). Tout cela pose la question du sérieux sportif de la compétition: comment un athlète qui a déjà signé dans un autre club se comportera s’il affronte celui-ci?

2. Outre les fulgurances de Zoug (1998) et Kloten (1993, 1994, 1995, 1996), aujourd’hui en division inférieure, seuls quatre clubs ont remporté le championnat suisse.

3. À l’horizon 2020, chacun des douze clubs aura une enceinte construite (ou fortement rénovée) au XXIème siècle (sauf quelques retardataires comme Genève et Lugano…).

4. Régulièrement en finale ou sacrés champions, les clubs de Zurich, Berne et Lugano sont également les plus gros budgets de la Ligue.

5. Sur les neuf titres depuis 2010, le SC Berne et les ZSC Lions en ont remporté sept.

6. Champion en 2016 et 2017.

7. https://www.forbes.com/profile/walter-frey/#1f4836f7782e

8. Propriété désormais de Vicky Mantegazza, le HC Lugano est porté par la famille de l’entrepreneur milliardaire Geo Mantegazza depuis les années 1980. http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F30528.php

9. Voir le panorama complet ici : http://www.hockeyhebdo.com/article-suisse—back-in-business–,10820.html

10. https://www.basellandschaftlichezeitung.ch/sport/eishockey/die-halbe-eishockey-liga-der-schweiz-haengt-am-tropf-der-milliardaere-128336793

11. Voir le très bon article du journaliste Klaus Zaugg: https://www.watson.ch/sport/eismeister%20zaugg/839278772-seit-17-jahren-schwarze-zahlen-so-funktioniert-die-geldmaschine-scb

12.https://www.swisshabs.ch/upc-cablecom-a-officiellement-decroche-les-droits-du-hockey-suisse/

13.Voir la position défendue par le journaliste Emmanuel Favre :

https://www.lematin.ch/sports/hockey/fautil-augmenter-nombre-etrangers-national-league/story/23337493

14. https://swisshockeynews.ch/index.php/shn/11-swiss-ice-hockey/nla/12339-teams-informally-discussed-an-increase-of-the-import-player-contingent

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