Migrations Le 5 juin 2013

La révision de la loi sur l’asile : Inutile & inhumaine

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La révision de la loi sur l’asile : Inutile & inhumaine

© Léonard Micheli

La révision de la loi sur l’asile : Inutile & inhumaine

(la modification de la loi sur l’asile vue sous l’angle des principes fondamentaux du droit)

Le 9 juin prochain, nous aurons l’immense honneur, comme plusieurs fois par année, de faire vivre notre démocratie. Cette fois-ci, nous devrons décider si la loi sur l’asile (LAsi) doit être changée pour la douzième fois depuis 19791.

Notre entreprise sera de guider les quelques-unes et quelques-uns qui, à moins d’une semaine de la votation, ne sont pas encore déterminés sur cette modification de la LAsi qui nous est proposée.

Parce qu’au fond, sur quoi allons-nous voter ?

 

1) La suppression de la qualité de réfugié pour les déserteurs ou personnes ayant refusé de servir, même si une convention la leur accordant est réservée : une première mesure qui dit donc tout et son contraire.

En effet, l’article 3 alinéa 3 LAsi2 entré en vigueur le 28 septembre 2012 (oui, il y avait « urgence ») indique tout d’abord que les déserteurs et les personnes ayant refusé de servir ne seront pas considérés comme des réfugiés, même s’ils craignent à juste titre d’être persécutés pour ce motif. Il précise ensuite que les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.

Cette convention – dont la Suisse est d’ailleurs dépositaire – attribuant justement la qualité de réfugié aux déserteurs ou personnes ayant refusé de servir3, la modification sera ainsi dénuée de toute portée. Si même les défenseurs de cette révision indiquent que cette mesure ne changera en rien la pratique (est-il urgent de ne rien changer !?),  il n’en reste pas moins dangereusement ambigu d’avoir un texte supprimant la qualité de réfugié aux déserteurs et aux personnes ayant refusé de servir.

(c) Peter Leibing

(c) Peter Leibing

 

2) L’impossibilité de demander l’asile dans une ambassade suisse : une mesure fragilisant les plus vulnérables pour peu de résultats.

Durant les sept dernières années, 2084 personnes4 ont été reconnues comme réfugiées, et donc sauvées de la torture, de l’emprisonnement arbitraire ou de la mort grâce aux procédures d’asile dans les ambassades. Cette suppression, qui a pour but d’accélérer les procédures d’asile, a peu de chances – et nous sommes bons princes – de modifier sensiblement la durée des procédures d’asile en Suisse. En effet, ces procédures dans les ambassades n’impliquaient pas ou peu les autorités ordinaires, par conséquent leur suppression n’aura que peu d’incidence sur la célérité de la procédure. Par ailleurs, il paraît évident que ces procédures permettaient à des personnes exposées à des conditions de transport extrêmement périlleuses (femmes, enfants, etc.) de bénéficier de la protection offerte par le droit d’asile. Cette mesure est en définitive de nature à mettre en péril la survie de nombreuses personnes, sans assurer une réelle accélération de la procédure d’asile.

 

3) Placer les requérants d’asile « récalcitrants » dans des « centres spécifiques » : une exception arbitraire et illégale.

La possibilité de placer les requérants « récalcitrants » dans des « centres spécifiques » est problématique car si le code pénal définit les notions de « criminel » et de « délinquant », celle de « récalcitrant » ne vise ni des criminels ni des délinquants, et ne s’appliquera qu’aux requérants d’asile qui sont des personnes dans une situation de particulière vulnérabilité. En dehors de cette violation du principe d’égalité – puisque cette mesure prévoit un droit d’exception pour les requérants d’asile – ladite mesure pose un autre problème : les personnes placées dans ces centres ne pourront recourir contre la décision de placement que dans le cadre du recours contre la décision finale octroyant l’asile ou non5.  Celle-ci intervenant bien plus tardivement dans la procédure6, il sera donc, dans les faits, impossible de faire recours contre cette décision de placement. Ceci constitue une violation de la CEDH7 et de la Constitution suisse8 qui offrent le droit à un recours effectif, et ouvre donc une porte à l’arbitraire.

 

4) Un délai de recours plus court : une mesure violant les garanties procédurales suisses et européennes.

La mesure suivante réduit le délai de recours pour les décisions de non-entrée en matière (NEM) de 10 à 5 jours. Il y a lieu de rappeler que le fait de ne pas présenter des papiers valables dans les 48 heures suivant la requête d’asile est synonyme de NEM. Vu la difficulté des personnes persécutées dans un État de le quitter en présentant leurs papiers d’identité (s’ils sont identifiés, ils risqueraient en effet d’être persécutés…), les NEM sont fréquentes9 et cette mesure touchera donc un nombre important de requérants. De plus, il paraît quasiment inconcevable qu’une personne touchée d’une NEM puisse, en seulement 5 jours, trouver un défenseur qui ne pourra dans tous les cas pas la défendre efficacement dans ce délai. De ce fait, ladite mesure vide le droit de recours de son essence et viole ainsi les mêmes dispositions que la mesure précédente, avec la même conséquence, à savoir une porte ouverte vers l’arbitraire.

 

5) Des décisions judiciaires d’une rapidité extraordinaire.

Le nouvel article 108 al. 2 LAsi indique que l’autorité de recours rendra sa décision dans un délai de 5 jours. Si l’on peut se réjouir de cette mesure qui peut sembler exhorter le Tribunal à traiter les recours relatifs à l’asile en priorité, dans la pratique, il paraît toutefois évident que ces recours risquent plus probablement d’être traités à la va-vite, ce qui est regrettable lorsque des vies humaines sont en jeu.

 

6) Une « carte blanche » au Conseil fédéral.

La dernière mesure qu’il s’agira d’analyser permet le transfert de certaines compétences législatives du Parlement au pouvoir exécutif, le Conseil fédéral. Le problème, en l’occurrence, est que cette délégation ne précise que l’objet de la délégation (les procédures d’asile) sans en définir les buts ou les modalités. La seule mesure précise évoquée est une réduction de certains délais de recours posant les mêmes problèmes que pour les deux mesures précédentes. Pire, cette délégation est mal encadrée et laisse donc « carte blanche » au Conseil fédéral, ce qui signifie que des mesures prévues dans ce cadre ne seront pas prises en compte par le Tribunal fédéral10.

 

En définitive, cette modification urgente de la loi sur l’asile n’est pas acceptable car elle n’apporte ni une accélération des procédures d’asile, ni une solution aux problèmes de criminalité allégués par les défenseurs de cette révision. Les mesures proposées ne respectant ni le droit suisse ni le droit international, elles ne pourront être appliquées que difficilement par les autorités suisses, ou alors en violation des droits fondamentaux. En dehors de ces considérations juridiques, ces modifications ne permettraient pas d’accélérer les procédures, pire, les conséquences de certaines mesures soumises au peuple seront également dangereuses et inhumaines.

Dangereuses parce que l’on nous propose de toucher à la définition même du réfugié, définition prévue par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Ce signal est inquiétant de la part du pays dépositaire de cette convention.

Inhumaine car en supprimant la possibilité de faire des demandes d’asile dans les ambassades, la Suisse met clairement une barrière à la protection des réfugiés, en les laissant à leur sort sur place ou dans les mains de passeurs, avec à la clef une traversée souvent fatale.

Le peuple, ultime législateur de ce pays, se doit, lorsque ses représentants élus lui proposent un texte mal pensé, inutile, inhumain et dangereux, de le rejeter.

Le 9 juin, nous devrons décider si nous sommes toujours un peuple sensible à la détresse de ceux qui risquent d’être persécutés pour des raisons ethniques, raciales, ou religieuses, en raison de leurs idées politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social.

Le 9 juin, nous devrons décider si la crise et le climat politique pesant justifient de renoncer aux valeurs humanitaires de la Suisse qui font la grandeur et la fierté du peuple suisse.

Article LASI - FIN

 

Les auteurs se tiennent évidemment à disposition de celles et ceux qui auraient une quelconque question concernant les faits ou le droit évoqués dans cet article.


[1] CALOZ-TSCHOPP MARIE-CLAIRE, Asile, droit d’asile, histoire et démocratie, in CHETAILVINCENT/GOWLLAND-DEBBAS VERA, Switzerland and the International Protection of Refugees, La Haye (Kluwer Law International), 2002, pp. 19-45, p. 20.

[2] Loi sur l’asile (RS 142.31)

[3] Article 1er de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (RS 0.142.30).

[5] Article 16bis alinéa 1 de l’Ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure.

[6] Un rapport du Département Fédéral de Justice et Police indiquant que la décision finale concernant l’asile intervenait environ 1400 jours après le dépôt de la demande.

[7] Convention Européenne des Droits de l’Homme (RS 0.101), ici violée en son article 13.

[8] Constitution fédéral de la Confédération suisse (RS 101), ici violée en son article 29.

[9] En 2012, elles constituaient plus de la moitié des « cas réglé » (14’008 « NEM » sur 24’941 « cas réglés ») d’après les statistiques de l’Office Fédérale des Migrations. Information disponible à l’adresse suivante : http://www.bfm.admin.ch/content/dam/data/migration/statistik/asylstatistik/jahr/2012/stat-jahr-2012-f.pdf (consulté le 4 juin).

[10] ATF 103 IV 192.

Commentaires

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Tania

http://www.youtube.com/watch?v=pRmckoaPsnI :)

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