
Photo 1: Pablo, 12 ans, vit dans le campamento Aguada Sur. © Damien Magat
À Santiago se déroule aujourd’hui (mardi 11 mars 2014) l’investiture de Michelle Bachelet pour son deuxième mandat en tant que présidente de la République. Le Chili est un des pays les plus inégalitaires du monde1; les cinq familles les plus riches du pays se partagent les 16% du PIB2.
Après avoir choisi une voie plutôt technique à l’EPFL en architecture, j’ai voulu me rendre compte à quel point je pouvais m’investir dans une ONG et avoir un impact sur la vie de personnes dans le besoin grâce à cette formation. Je me suis rendu 5 mois au Chili et j’ai collaboré au sein de l’association TECHO qui est très active dans la reconstruction de bidonvilles. Voici les impressions que j’en ai eues et le contexte dans lequel Michelle Bachelet entre en fonction.
Pablo, 12 ans, vit dans le campamento Aguada Sur (photo 1). Comme des milliers d’enfants de son âge, il n’aura sûrement pas la possibilité d’accéder à une éducation supérieure. En effet, dans les quartiers pauvres du Chili, seuls 14 enfants sur 100 y auront accès.3 Seulement dans la région de Santiago, on compte plus de 4’600 familles qui vivent dans des campamentos.4
Selon l’état chilien, un campamento est un regroupement d’habitats informels situé dans le tissus urbain, composé d’un minimum de huit familles vivant sur un terrain qui ne leur appartient pas, ayant un mauvais accès à l’eau ou électricité.3 Au Chili, on en dénombre pas moins de 657, composés de 27’378 familles.3 Les maisons sont construites avec des matériaux de récupération, la plupart du temps à même le sol, avec des tôles sommaires en guise de toit.
Campamentos / Blocks
Une autre particularité du logement précaire au Chili est celui des blocks. Il concerne beaucoup plus de monde que les campamentos puisqu’à Santiago seulement, 630’000 habitants, soit 10% de la population, vivent dans des blocks.5 Il s’agit de logements sociaux, mal conçus et mal construits érigés dans les années 1970 et 1990 lors de tentatives de la dictature de Pinochet de développer le pays.
Étonnamment, les blocks ont une plus forte concentration de violence et de trafic de drogue, car on n’y retrouve pas l’organisation très familiale des campamentos qui effectue un certain autocontrôle social. De plus, prenant racine dans des tissus vides de la ville, les campamentos sont en général bien situés et offrent donc plus de possibilités d’emploi légal.
Il y a certaines caractéristiques urbanistiques que l’on retrouve tant dans les blocks que dans les campamentos. Les communes où ils sont situés disposent d’une urbanisation lacunaire et d’une mauvaise connexion avec le centre-ville. Elles manquent aussi d’infrastructures, d’écoles, de centres de soin, de postes de police… On notera qu’à Santiago, il y a plus de magasins d’alcool par habitant que de policiers, et que les magasins d’alcool sont situés dans les quartiers pauvres et les policiers dans les quartiers riches.6
La fondation Techo
Techo est une fondation internationale fondée au Chili en 1997 qui vient en aide aux familles démunies dans toute l’Amérique latine. Elle a commencé en construisant des logements d’urgence après des catastrophes, avec une action très importante après le tremblement de terre de 2010 au Chili. Elle s’est maintenant entièrement tournée vers la construction de « logements définitifs ».
Techo intervient avec une systématique dans les campamentos. Lorsque la fondation arrive, elle constitue une assemblée qui réunit chaque mois tous les habitants. En parallèle, un comité se retrouve chaque semaine avec un architecte, un ingénieur et un assistant social. Techo construit dès son arrivée une bibliothèque et une salle d’assemblée. Il y a ensuite un long processus d’organisation qui débouche sur la construction et remise d’une maison à chaque famille, processus qui dure de cinq à sept ans. En plus de toute l’élaboration du projet de logement et des démarches pour l’obtention des subventions de l’état, Techo propose un soutien social par des ateliers de formation ou de l’aide à l’éducation. Les employés de Techo sont constitués de professionnels salariés et de jeunes volontaires dont j’ai fait partie pendant quatre mois.
Situations d’urgence
La fondation a également la capacité de répondre rapidement aux événements imprévus. L’un des moments les plus marquants de mon expérience au sein de Techo fut lors d’averses exceptionnelles durant plusieurs jours consécutifs à Santiago. L’ONG a lancé un énorme appel aux volontaires et à des dons via la radio, la télévision et les réseaux sociaux. Des dizaines de bénévoles ont procédé à la distribution de centaines de sacs de nourriture et de charbon pour le chauffage dans les différents campamentos inondés. Tout le personnel de Techo s’est alors retrouvé sur les toits des bidonvilles à changer les tôles en trop mauvais état et à boucher les trous sous la pluie. Les familles, souvent touchées par notre détermination, nous invitaient à manger et nous réchauffer chez elles.
Un autre point marquant a été le contact avec les habitants des campamentos lors des réunions et assemblées. Le côté participatif du projet de logement social est primordial pour sa réussite. L’un des projets sur lesquels j’ai collaboré était une transformation de blocks, (image 3) et j’ai été impressionné par l’engouement général qui s’est manifesté lorsque j’ai projeté lors d’une assemblée une image de synthèse présentant leur futur cadre de vie transformé.
Le malaise chilien
Le Chili est un pays émergent qui se targue d’être le « jaguar de l’Amérique latine », mais une forte inégalité y maintient un profond malaise social.
La classe aisée vit comme dans les quartiers chics de Californie pendant qu’une partie importante, 14,4%,7 de la population se trouve dans des conditions précaires. Le changement n’est malheureusement pas proche car l’éducation publique ne permet que très difficilement aux jeunes d’accéder à l’université, et l’écolage privé coûte des sommes exorbitantes. Seules les classes aisées peuvent prétendre à une éducation supérieure. Ce climat inégalitaire maintient un clivage au sein de la population. On raconte qu’à Santiago, en croisant quelqu’un dans la rue, il est possible de dire de quelle commune il vient, simplement par son aspect. Dans le même registre, je me souviens d’une petite fille de campamento qui me disait avoir honte lorsqu’à l’école les gens lui demandent où elle habite.
C’est justement là une des plus importantes améliorations que produisent les logements réalisés par Techo; ils redonnent à la fois de l’espoir et un nouveau point de départ avec au moins la sécurité d’avoir un logement et surtout un hogar, un foyer dans lequel les futures générations pourront se construire, et espérons-le, construire un Chili plus juste.
L’avenir dira si Michelle Bachelet, à nouveau présidente du Chili, qui entre en fonction aujourd’hui, fera de la fin des campamentos une priorité comme elle l’a affirmé lors de sa campagne électorale.
1. Ramón López, Eugenio Figueroa B. y Pablo Gutiérrez C., La « Parte del León »: Nuevas estimaciones de la participación de los súper ricos en el ingreso de Chile, Serie de Documentos de Trabajo 379, Universidad de Chile: Facultad de Economía y Negocios, Santiago de Chile, 2013
3. Grupo de investigación CESCC -OPECH, Acceso a la educación superior: el mérito y la (re)producción de la desigualdad, Observatorio Chileno de Políticas Educativas | FACSO, Santiago de Chile 2009
4. Ministerio de Vivienda y Urbanismo, Mapa Social de Campamentos, Secretaría Ejectuvia de Campamentos, Santiago de Chile, 2013
5. Servicio de Impuestos Internos de Chile, Catastro de Bienes Raíces, Santiago de Chile, 2010
6. Sergio Rodríguez y Sebastián Labrín, Alhué y Quinta Normal lideran comunas con más botillerías por habitante, La Tercera, 13 mars 2013
7. Ministerio de Desarollo Social, Encuesta CASEN 2011, Gobierno de Chile, Santiago de Chile, 2011
Bon, voilà, vous allez cinq mois au Chili, et vous revenez en vous positionnant en expert de la situation du…