Jet d'ancre sur Le 26 avril 2014

Le Trône de fer ou la vie de tous les jours au 21ème siècle

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Le Trône de fer ou la vie de tous les jours au 21ème siècle

Cet article est disponible au format podcast: 

 

Cela fait quelque temps que je suis tentée d’écrire un podcast sur la série américaine qui nous a tous conquis avec ses sanguinaires intrigues et crimes amoraux, que nous connaissons en français sous le nom du Trône de fer et en anglais, de Game of Thrones

La question qui se pose le plus souvent, et à juste titre, est, pourquoi on s’y identifie autant et on n’arrive pas à faire autrement que de rester collés aux écrans de nos ordinateurs qui ne cessent le flux de streaming meurtrier et passionnel. Ce n’est pas sorcier, nous disent les critiques. Pour faire mon hypothèse, j’ai choisi de construire ma réponse en deux exemples qui viennent d’un monde qui m’est bien familier, celui de la recherche et de l’analyse…

Pas plus tard que la semaine passée déferlait sur la une des journaux tels que the Guardian et la New York Review of Books la chronique de la dernière traduction en date d’un ouvrage écrit par un chercheur économiste français, Thomas Piketty. Cela s’appelle le Capital au 21ème siècle. À part le fait que celui-ci commence à faire un tabac uniquement au moment où l’étude a été traduite en anglais, montrant combien la pensée financière et économique est dominée non seulement par la langue anglaise, mais par ses structures et catégories, la thèse principale du livre est plutôt inquiétante, pour rester dans l’euphémisme : en se concentrant sur la question des inégalités économiques, et donc sur celle de la redistribution, Piketty prouve que nous sommes revenus à des niveaux d’inégalités économiques similaires à ceux du 19ème siècle et que, contrairement à ce que nous pensons, les richesses du monde ne sont pas contrôlées en majorité par des individus talentueux qui ont gagné leurs avoirs en les méritant, mais en les héritant. Vous en tirerez les conclusions qui s’imposent de cet état de fait, pour la gouvernance en général, et pour les cas individuels en particulier.

Passons au deuxième exemple que je veux citer dans mon argument…dans le monde hyper compétitif et très snob de la recherche académique, obtenir une promesse de publication de la part de la prestigieuse Cambridge University Press constitue non seulement une reconnaissance de la valeur de la recherche, mais tout bonnement une consécration. Mais, qu’est-ce qui se passe quand la valeureuse et fiable recherche traite du domaine de la corruption en Russie, nommant les noms et les relations de l’empire de la corruption que le président Poutine dirige en maître absolu ? Vous l’avez deviné : la maison d’édition retire son offre de publication, en déplorant des potentiels coûts de diffamation qu’elle aurait à payer, même si elle arrive à prouver que les allégations du livre publié sont vraies. La recherche académique est, ou était, l’un des rares domaines où l’illusion d’une certaine liberté et rigueur restait plus ou moins intacte, surtout dans le monde anglo-saxon, où on met tant de prix sur l’objectivité et l’approche scientifique. Mais il semblerait que beaucoup d’argent et d’impunité, arrivent à faire que la société civile dans la plus ancienne démocratie du monde musèle toute seule et sans droit d’appel ceux qu’elle met sur le plus haut des piédestaux.

De retour à notre question, sur notre addiction au Trône de fer. Ce n’est pas parce que les auteurs ne portent pas de gants envers des personnages bien aimés, ni parce que c’est un savant mélange d’histoires de Rome ancienne, Europe médiévale et de mythologies pseudo-nordiques, mais, tout bonnement parce que cette série représente sans hypocrisie et avec une certaine cruauté ce qui se passe actuellement dans notre société. Nous ne sommes peut-être pas encore à se faire tuer dans la rue pour nos opinions et nos sympathies politiques, mais, la dernière fois que vous avez hésité à poster quelque chose sur facebook parce qu’un chasseur de têtes du 21ème siècle, allait le trouver sur votre profil, lors de votre possible embauche dans une compagnie, vous n’en étiez pas loin.

Et si vous en doutez encore, lisez le monumental article écrit par Seymour Hersh, journaliste d’investigation, dans le London Review of Books, sur les liens entre l’économie et la classe politique turque, les jihadistes syriens, les armes chimiques, l’administration Obama et celle des Russes, le tout tressé avec du gaz, du pétrole et de l’or, de l’or solide pour les Iraniens. Cela n’a rien, absolument rien, à envier à un épisode du Trône de Fer, où les batailles se gagnent avec des doublons et du poison. Il manque peut-être quelques dragons, ou peut-être pas, si seulement les drones avaient une âme…

Commentaires

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Nicolas

Simple et véridique. J'imagine que jetdencre.ch est une bonne opportunité pour pouvoir dire tout haut ce que les gens (de…

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Nicolas

Simple et véridique. J’imagine que jetdencre.ch est une bonne opportunité pour pouvoir dire tout haut ce que les gens (de la recherche) pensent tout bas dans leurs articles académiques.

Pe curand! 🙂

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chente fou

superbe article

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