Critique Médias Le 16 mai 2017

Vendre ou servir l’audience

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Vendre ou servir l’audience

Family watching television, circa 1958. Evert F. Baumgardner

Afin de mieux comprendre la crise économique et politique qui secoue le paysage médiatique suisse, Jet d’Encre vous propose une semaine d’articles sur les différentes facettes de cette thématique, avec la participation de professionnels du milieu de la presse écrite et de l’édition, de la télévision publique et privée mais aussi de politiques impliqués dans le débat sur la redevance. Dossier complet ici.

 

Le soutien aux médias de service public est un enjeu majeur pour une société démocratique. Un financement exclusif à travers la publicité peut influer sur la qualité des programmes, au détriment de l’audience. Il est important de (re-)définir la mission, le cadre et les moyens des médias de service public.

 

Dès sa conception dans le cadre de la BBC1, le service public radio et ensuite télévisuel a mis l’audience au centre de ses préoccupations. A l’origine des fameux piliers qui définissent la mission du service public audiovisuel – informer, éduquer et divertir – John Reith2 souhaitait que le média national diffuse des programmes qui apportent un bénéfice au public. Il s’agissait d’être au service de l’audience en lui proposant un contenu de qualité.

Aujourd’hui en Suisse, la RTS mentionne comme premier point dans sa charte du programme : « au service du public »3. Cet engagement à viser le bien commun, à diffuser des émissions qui favorisent la compréhension de l’actualité et le développement d’une vie solidaire en société, est partagé par les médias régionaux mandatés également pour un mandat de service public (radios et TV régionales au bénéfice d’une concession avec mandat de prestations).

La redevance est une façon de soutenir les médias de service public qui a fait ses preuves. En Suisse, la péréquation financière constitue un partage solidaire entre régions linguistiques, avec le soutien de la majorité aux minorités. Le parlement cherche la meilleure manière d’accompagner tous les médias – presse, radio, TV et numérique – en (re-)définissant les missions, le cadre et les moyens octroyés au service public. Un soutien financier, couplé à un système de contrôle qui assure un usage optimal des ressources, permettra de poursuivre le développement de productions et de diffusions au service de l’audience.

 

L’impératif de la vente

Comment définir l’autre manière dont les médias peuvent être dotés des ressources nécessaires à leur fonctionnement ? Les médias commerciaux se réfèrent souvent aux mêmes principes – informer, éduquer et divertir – avec des accents divers, mais l’impératif de la vente peut influer largement sur les contenus. Il s’agit en effet de réaliser un maximum de recettes publicitaires, ce qui peut entraîner un accroissement de la place du divertissement et une remise en question des limites entre publicité et information.

Quel est le principe de base de la publicité, que vend-elle ? Des produits, des services, des marques ? Un idéal, du rêve, des valeurs ? Un peu de tout cela, mais, plus fondamentalement, la publicité consiste à vendre de l’audience à un annonceur. Il s’agit de regrouper un public cible et de le monnayer afin qu’une pression publicitaire puisse être exercée sur lui. En juillet 2004, l’Agence France-Presse (AFP) relevait un concept écrit par Patrick Lelay, PDG de TF1 de l’époque: « dans une perspective “business”, soyons réaliste: à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit »4. Il ajoutait, dans un ouvrage à propos des dirigeants confrontés au changement: « pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible: c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible […]. »5

« A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. » Patrick Lelay, ancien PDG de TF1.

En Suisse, la pression publicitaire peut poser question également. En mai 2006, plus de 500 journalistes avaient signé une pétition pour souligner que, selon eux, « les médias remplissent de moins en moins leur rôle d’information et d’approche critique des événements au profit du divertissement. Ils cèdent trop facilement aux pressions des annonceurs. Or une information indépendante et crédible est un droit fondamental du citoyen autant qu’un devoir pour les journalistes et les éditeurs. »6

Vendre ou servir l’audience. Le financement d’un service public de qualité permet de soutenir la production et la diffusion de programmes qui apportent un bénéfice au public, en dehors de l’exigence directe de rentabilité. Il est important pour la vie en société et pour l’équilibre démocratique d’assurer la diversité des médias et de permettre à ceux qui s’engagent à remplir une mission de service public de le faire avec des moyens qui assurent leur indépendance. En Suisse, un bon équilibre est visé avec des médias de service public qui bénéficient d’une part de redevance et qui comptent sur des recettes publicitaires pour une autre partie de leurs revenus.

 

Soutenir les médias de service public

Le soutien aux médias de service public peut gagner en efficacité. Le cadre posé sur le plan politique devrait faire l’objet d’un examen régulier et d’un ajustement qui prenne en compte l’évolution des langages, des technologies, des usages et des besoins. La part de service public remplie par tous les médias pourrait être valorisée, quels que soient les supports – presse, radio, TV, numérique – et la zone géographique (romande, régionale ou locale). L’argent de la redevance devrait aussi continuer à favoriser une formation initiale et continue de qualité pour les journalistes. En outre, il y aurait lieu de prévoir des encouragements au développement de médias pionniers et indépendants, à même d’enrichir la diversité du paysage médiatique.

Un accompagnement plus soutenu des médias de service public pourrait comprendre l’examen régulier de leur contribution au débat démocratique, à la diversité de l’expression culturelle, à une information constructive pour le vivre ensemble, à l’innovation, à la vérification des informations et à leur complément ou correction quand nécessaire. La part dédiée au journalisme d’investigation par les médias de service public devrait être encouragée, afin que le fameux rôle de 4ème pouvoir puisse continuer à être assuré par des professionnels formés et mandatés, qui s’engagent à respecter des normes et des valeurs, et qui disposent de ressources suffisantes pour enquêter, discuter, vérifier et recouper l’information avant de la diffuser.

Enfin, les médias de service public pourraient être encouragés à prendre une part active à l’éducation aux médias, pour permettre notamment aux plus jeunes de développer un regard et une écoute critique, d’être à même de questionner la véracité et la fiabilité d’informations glanées dans les médias ou sur les réseaux sociaux, et d’effectuer des choix responsables et épanouissants dans leur usage des technologies de l’information et de la communication.

 


 Références:

1. Depuis sa création dans les années 1920, la BBC est une télévision de service public, entièrement financée par la redevance (http://www.bbc.co.uk/aboutthebbc/insidethebbc/whoweare/publicpurposes).

2. Fondateur et premier directeur opérationnel, puis directeur général de la BBC (http://www.bbc.co.uk/historyofthebbc/research/culture/reith-1)

3. Charte du programme de la SRG SSR disponible intégralement sur ce lien : http://www.srgssr.ch/fileadmin/pdfs/Programmcharta_fr.pdf

4. Dépêche AFP reprise notamment par Libération le 10 juillet 2004 : http://www.liberation.fr/medias/2004/07/10/patrick-le-lay-decerveleur_486069

5. Extrait tiré du livre Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième jour, 2004.

6. Communiqué de presse disponible intégralement sur ce lien : http://www.lameduse.ch/wp-content/uploads/2011/10/cp_0506.pdf

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