
USAF Photographic Archives
Vous allez me dire : « Pff… la chevalerie est morte, incinérée et ses cendres furent moulues par le moulin du temps depuis des siècles! Les drones n’y sont pour rien ». Abjections, Votre Horreur! C’est vrai que les beaux principes des chevaliers – intrépidité pendant le combat et mansuétude pour les vaincus ; sauvagerie dans l’action et courtoisie après la bataille – étaient passés de mode dès l’apparition de l’artillerie lourde. Et les beaux chevaliers du Moyen-Age se livraient aussi aux viols, carnages et massacres.
Mais il y avait le Code d’Honneur de la Chevalerie qui, s’il était plus ou moins respecté comme toutes les lois, n’en consistait pas moins un frein aux pulsions les plus monstrueuses. Le seul fait de son existence témoignait de la présence de l’humanité dans l’inhumanité, ainsi que de la grandeur d’âme d’une société irriguée par la Foi. Les combats se déroulaient au corps à corps. L’ennemi m’était tellement proche qu’il portait une part de moi-même.
Avec l’artillerie lourde, changement d’optique : les canons fauchaient des soldats situés au loin ; on les distinguait à peine au milieu des fumées. Mais enfin, les artilleurs risquaient aussi leur peau. Ils étaient les premières cibles des confrères d’en face.
Le recours au bombardement aérien a encore éloigné le militaire de ses ennemis. Le largueur de bombes n’apercevait qu’un troupeau de maisons sous le ventre de l’appareil, sans autre vie que celle d’une fourmilière. Toutefois, l’équipage mettait aussi sa vie en jeu, entre les tirs de la DCA et la chasse des aviateurs ennemis.
Les guerriers donnaient la mort mais savaient aussi qu’ils pouvaient la recevoir à tout moment. Il restait donc, ça et là, quelques micropoussières de la chevalerie en ruine, qui se sont réduites à l’état moléculaire au fur et à mesure des progrès – vous avez dit, « progrès »? – de la technologie militaire.
Aujourd’hui, l’emploi des drones permet, pour la première fois, à des militaires – peut-on encore leur donner ce titre? – de téléguider la mort sans aucun risque pour leur petite personne. Sinon celui de se faire renverser par une voiture en sortant de la caserne.
Les États-Unis sont les plus gros – et de loin – consommateurs de ces engins d’un futur déjà bien présent. En 2011, le nombre d’opérateurs de drones (350) formés par les armées américaines a dépassé celui des pilotes d’avions de combat (250).
Dans des lieux tenus secrets, au Nouveau Mexique, au Texas, au Nevada, ces fonctionnaires cybertueurs pilotent à distance un appareil sans pilote pouvant disposer d’une autonomie de vol de quarante heures. La caméra installée dans le corps du drone offre au téléguideur la vision parfaite du champ de bataille. Ses supérieurs désignent les cibles. Et en un clic la mort débarque à 10 000 kilomètres de là, en Irak, au Pakistan, en Somalie, en Afghanistan.
Tuer sans être tué, sans même être éclaboussé par le sang. Tuer en restant propre sur soi. Tuer sans même avoir besoin de s’en laver les mains. À l’étape suivante, l’opérateur sera remplacé par un ensemble de logiciels qui accomplira toutes ses tâches. L’ordinateur prendra même la décision de s’enclencher sans ordre dès que s’agitera une « cible » correspondant aux données de son programme.
Et – qui sait? – provoquera-t-il peut-être la troisième guerre mondiale. Un beugue est si vite arrivé. Pleure chevalier! Tu n’étais qu’un pauvre couillon.
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Et pourtant la chevalerie est encore là aujourd'hui, parce qu'une guerre du 21ème siècle se mène toujours sur le champs…