Économie Le 2 décembre 2012

Yann Koby

Par Yann Koby

Les peuples de l’euro en crise #1

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Les peuples de l’euro en crise #1

© Mark Renders Getty Images

Les Européens minés par la crise

Outre les fameuses blagues qui les parcourent, les toilettes universitaires ont cela de fascinant qu’elles expriment toutes sortes d’opinions, du militant pacifiste désabusé (du genre : « L’avenir appartient à ceux qui ont le veto » (Coluche)) au bon vieux macho (style : « Si la femme était bonne, Dieu en aurait une » (S.Guitry)), opinions souvent accompagnées d’une myriade de dessins plus ou moins convaincants. Mais pour notre petite investigation, l’emplacement de ces « tags » est intéressant car il exprime un avis plus ou moins « réprimé » ; et quand, un sombre samedi de révision, j’ai mené ma petite analyse sociologique des toilettes (hommes) de l’Université de Kiel (Allemagne), j’ai été frappé par la présence de très nombreux slogans anti-Grecs, anti-Européens, et glorifiant la grande Allemagne (inutile de décrire le logo les accompagnant).

De manière plus argumentée, certains de mes professeurs et collègues (Allemands) semblent montrer une réticence farouche à l’idée de continuer à financer les plans de secours à l’attention de l’Europe du Sud – voire même de continuer l’aventure européenne tout court ; les médias allemands ne semblent pas non plus dégager un europtimisme des plus convaincants.  Le débat tourne souvent autour de la même problématique : pourquoi continuer à payer des « gens » qui, de toute façon, ne nous rembourseront jamais ? Qu’est-ce-qui justifierait cette Europe dite de transfert ? « On n’a pas signé pour ça ! », disent les Allemands. Le problème est facile à comprendre : prêteriez-vous votre argent (difficilement gagné) à un ami, plutôt lointain, réputé pour être flemmard, supposé corrompu, sachant qu’il vous a déjà fait perdre quelques milliers de francs et qui en plus ne semble pas vraiment montrer une envie de changer ? Il y a de quoi être sceptique, je vous l’accorde.

Changement complet de contexte : le 16 novembre 2012, un troisième homme en l’espace d’un mois se défenestrait en Espagne1 alors qu’il était sur le point d’être expulsé de son appartement. Deux jours plus tôt, l’Espagne et le Portugal connaissaient des manifestations parmi les plus importantes de toute leur histoire moderne ; en Italie, 77 cortèges manifestaient contre l’austérité à travers le pays ; en Grèce, 50% des salariés faisaient grève contre le nouveau budget du parlement2, mais surtout, les manifestations y sont maintenant régulières depuis bientôt 3 ans, faisant suite au mouvement « Occupy » (ou 99%) qui avait lui-même suivi le printemps arabe. Sans vouloir faire de sensationnalisme, il est dur de rester insensible aux nombreux signaux de détresse qui émanent de l’Europe du Sud, au vu de l’ampleur (plus de 50% de jeunes chômeurs en Espagne, vous imaginez ?) et la durée (plus de 5 ans depuis le début du marasme financier, en 2007) de cette crise économique.

 

Comprendre la crise, une tâche pas si facile

Alors forcément, quelque chose ne tourne pas rond. D’un côté, personne ne peut forcer l’Allemagne, ni le FMI, ni l’UE, à payer la dette des pays du Sud; mais de l’autre, les travailleurs du Sud refusent de subir une crise dont ils ne sont pas à l’origine. Devant cette impasse, faisons un rapide tour d’horizon des solutions proposées. Certains pays (comme la France) proposent la mutualisation de la dette au nom du fédéralisme budgétaire, accompagnée de la création d’obligations (ou titres de dettes) européennes; mais l’Allemagne d’Angela Merkel s’y est vigoureusement opposée. D’autres (notamment des économistes) préconisent plus de liberté pour la Banque Centrale Européenne, qui doit pouvoir acheter de la dette publique (grossièrement, « faire tourner planche à billet ») comme le font (ou l’ont fait) d’autres banques centrales: encore une fois, l’Allemagne par le biais de sa « bouba » (la banque centrale allemande) a refusé cette option, bien que la BCE ait vu sa politique monétaire relaxée. Que propose alors Berlin?

L’Allemagne est tenante d’une plus grande rigueur budgétaire avec l’instauration, par exemple, d’une règle d’or européenne (un contrôle strict des déficits budgétaires), accompagnée de mesures d’austérité afin de remettre les finances à flots et d’augmenter la compétitivité des pays en difficultés. Mais l’austérité, ça n’a pas vraiment l’air de marcher, non ? Du coup, certains, désespérés (ou faussement déçus, comme les Anglais) préconisent tout simplement la fin de la zone euro, même si beaucoup s’accordent à dire qu’il s’agit là du pire des scénarios.

Cette brève esquisse des solutions proposées montre bien le problème que rencontre le citoyen  (et le lecteur, même non-européen) : si même les politiques ne s’accordent pas sur une solution, comment doit-il lui choisir entre finance à perte, planche à billet, austérité et fin de l’euro ? Chacun y va de son avis sur la question, en mettant en avant les solutions qui reflètent le mieux sa réalité et ses convictions politiques : les manifestants grecques protestent contre le diktat de la « Troïka » (Commission Européenne, BCE, FMI), réclament la fin des mesures d’austérité, allant jusqu’à brûler des drapeaux allemands ; les populistes allemands ne voient quant à eux aucunes raisons valables de financer un pays sans efforts importants en contrepartie. Et pourtant, une large majorité des Européens, Grecs et Allemands inclus, soutiennent de manière constante l’euro3. En ce qui me concerne, je suis convaincu qu’il est difficile d’interpréter et de comprendre une crise dont les bases – et les solutions – sont d’ordre économique.

 

Au programme

Dès lors, cette série a pour but de décrypter la crise en termes socioéconomiques, en confrontant les pensées (et mythes) populaires avec la réalité : je m’aiderai, notamment, du point de vue des économistes sur la question. En outre, nous nous poserons la question de savoir si cette crise était évitable, ou au contraire, inévitable, voire nécessaire. Enfin, il sera intéressant de connaître, étant donné la situation actuelle, quelles solutions sont souhaitables pour les peuples de l’Europe en crise.

Pour cela, nous verrons dans une première partie comment, et pourquoi, nous en sommes arrivés à une crise économique si importante qu’une partie des dirigeants européens ont été remplacés (Berlusconi, Sarkozy, Papandréou, …). Puis, nous restreindrons un peu l’analyse en se penchant tour à tour sur deux acteurs aux antipodes de la crise mais qui « caricaturent » la débâcle de l’euro : celui du contribuable grec et celui du contribuable allemand ; nous confronterons leurs pensées (et celles de leurs dirigeants) à la réalité économique. Enfin, dans une dernière partie, je donnerai un point de vue critique sur la question, et nous explorerons quelques scénarios possibles de sortie de crise, de la fin de l’euro jusqu’à l’union politique européenne, en passant par une simple sortie de la Grèce.

Note : pour les amis des mathématiques, je proposerais également des modèles simples illustrant les différents problèmes économiques sous-jacents. Au lecteur, là-bas, effrayé à l’idée de voir ressurgir d’ennuyants graphiques offre/demande (et autres joyeusetés), je le rassure tout de suite : ces modèles ne sont qu’accessoires.

 

Pour aller plus loin

Chaque article sera accompagné de lectures et de vidéos pour le lecteur désirant aller plus loin en attendant le prochain article. Le suivant traitera des origines et enjeux de la crise ; voici trois lectures et deux documentaires qui traitent du sujet:

« Comment la crise grecque est devenue celle de l’euro », Le Monde, en français: http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/05/12/2009-2011-chronologie-de-la-crise-grecque_1520780_3214.html

« Economic crisis in Europe: Cause, consequences, and responses – A report by the European Commission », VoxEU (Commission Européenne, 2009), en anglais : http://www.voxeu.org/article/economic-crisis-europe-cause-consequences-and-responses

« The Great Euro Crash », documentaire de la BBC, en anglais:

« Europe on the Brink », documentaire du Wall Street Journal, en anglais : http://www.youtube.com/watch?v=0FxFvQ_NJ3E

Enfin, pour ceux ayant déjà de bonnes notions en économie voyez ce document émanant de la fondation Robert Schuman (en anglais):

http://www.robert-schuman.eu/doc/questions_europe/qe-200-en.pdf

Partie 2: La crise de la dette

Sources
1    http://www.tdg.ch/monde/faits-divers/expulse-propre-famille-locataire-defenestre/story/17279983
2    http://www.lecourrier.ch/103435/succes_pour_la_greve_generale_de_l_indignation
3    http://www.voxeu.org/article/crisis-and-public-support-euro

Commentaires

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Yann K.

Cher Costa Ken, Je vous remercie pour l'intérêt que vous porter à mon article :) Pour ce qui est de…

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Costa ken

Je viens de finir votre article, Il est vraiment bien! Perso je ne pense pas trop que des mesures d…

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Yann K.

Cher Costa Ken,
Je vous remercie pour l’intérêt que vous porter à mon article 🙂 Pour ce qui est de l’austérité, je ne dis rien pour l’instant, nous analyserons tout cela dans les prochains articles! Si j’ai bien compris, vous reprochez au système économique « par la dette » de ne pas être viable sur le long terme. De tels critiques ont été formulées, notamment, en Grèce (j’en reparlerai dans l’article sur la Grèce). Mais essentiellement, je pense que le système de financement par la dette est essentiel pour la croissance économique, même si les excès sont dangereux.

Par exemple, prenez le cas d’une entreprise qui vient d’ouvrir. Elle a de nombreux coûts à couvrir durant plusieurs mois (salaires, achat/location de matériel, etc.), sans pour autant bénéficier d’aucun revenu (elle vient d’ouvrir et donc ne vend rien : prenez le cas d’une usine de voiture par exemple). Sans possibilité d’emprunter (donc de créer de la dette), cette entreprise n’existerai tout simplement pas!

Alors après, on peut compliquer ce schéma en y ajoutant des banques, un secteur publique, etc., mais le but ici est de montrer qu’il y a de bonnes raisons de s’endetter.

Quand aux modèles alternatifs, ils existent très certainement dans la littérature économique (il suffit de les retrouver!), mais je n’en connais pas le fonctionnement, donc je ne peux me prononcer!

Dans tous les cas, je reparlerai de tout cela plus tard dans la partie sur la Grèce.

Je vous remercie encore pour votre commentaire!
Yann

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Costa ken

Je viens de finir votre article, Il est vraiment bien! Perso je ne pense pas trop que des mesures d austérités soient une bonne solution… En vrai il n y a surement pas de solution à leur problématique. C est un système économique qui se mort la queue… Comme au casino il nous permet de monter très haut d un seul coup mais aussi de redescendre tellement bas que l endettement devient irrécupérable et dangereux pour tous. Ils ont beau chercher, il n y a que 3 solutions devant eux: 1recevoir des prêts quitte à refaire d autre emprunt pour les rembourser.. 2 attendre que le temps passe et que ça remonte mais tout le monde devra trimer et payer, 3 trouver un autre système ou on ne se prendrait pas la tête pour de l argent virtuel… Virtuel comme tout le monde dans lequel on vit! Et le pire c est que des économistes alternatifs ont proposé d autres système mais les projets ont tous été racheter par justement de grandes entreprises ou ils sont passer à la trappe… Excusez moi si j ai pas été clair, ou si je n ai pas bien tourner mes phrases mais votre article m a inspirer et j avais besoin d ecrire rapidement sur mon natel 😉 merci pour ce que vous faites!

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