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Les Européens minés par la crise
Outre les fameuses blagues qui les parcourent, les toilettes universitaires ont cela de fascinant qu’elles expriment toutes sortes d’opinions, du militant pacifiste désabusé (du genre : « L’avenir appartient à ceux qui ont le veto » (Coluche)) au bon vieux macho (style : « Si la femme était bonne, Dieu en aurait une » (S.Guitry)), opinions souvent accompagnées d’une myriade de dessins plus ou moins convaincants. Mais pour notre petite investigation, l’emplacement de ces « tags » est intéressant car il exprime un avis plus ou moins « réprimé » ; et quand, un sombre samedi de révision, j’ai mené ma petite analyse sociologique des toilettes (hommes) de l’Université de Kiel (Allemagne), j’ai été frappé par la présence de très nombreux slogans anti-Grecs, anti-Européens, et glorifiant la grande Allemagne (inutile de décrire le logo les accompagnant).
De manière plus argumentée, certains de mes professeurs et collègues (Allemands) semblent montrer une réticence farouche à l’idée de continuer à financer les plans de secours à l’attention de l’Europe du Sud – voire même de continuer l’aventure européenne tout court ; les médias allemands ne semblent pas non plus dégager un europtimisme des plus convaincants. Le débat tourne souvent autour de la même problématique : pourquoi continuer à payer des « gens » qui, de toute façon, ne nous rembourseront jamais ? Qu’est-ce-qui justifierait cette Europe dite de transfert ? « On n’a pas signé pour ça ! », disent les Allemands. Le problème est facile à comprendre : prêteriez-vous votre argent (difficilement gagné) à un ami, plutôt lointain, réputé pour être flemmard, supposé corrompu, sachant qu’il vous a déjà fait perdre quelques milliers de francs et qui en plus ne semble pas vraiment montrer une envie de changer ? Il y a de quoi être sceptique, je vous l’accorde.
Changement complet de contexte : le 16 novembre 2012, un troisième homme en l’espace d’un mois se défenestrait en Espagne1 alors qu’il était sur le point d’être expulsé de son appartement. Deux jours plus tôt, l’Espagne et le Portugal connaissaient des manifestations parmi les plus importantes de toute leur histoire moderne ; en Italie, 77 cortèges manifestaient contre l’austérité à travers le pays ; en Grèce, 50% des salariés faisaient grève contre le nouveau budget du parlement2, mais surtout, les manifestations y sont maintenant régulières depuis bientôt 3 ans, faisant suite au mouvement « Occupy » (ou 99%) qui avait lui-même suivi le printemps arabe. Sans vouloir faire de sensationnalisme, il est dur de rester insensible aux nombreux signaux de détresse qui émanent de l’Europe du Sud, au vu de l’ampleur (plus de 50% de jeunes chômeurs en Espagne, vous imaginez ?) et la durée (plus de 5 ans depuis le début du marasme financier, en 2007) de cette crise économique.
Comprendre la crise, une tâche pas si facile
Alors forcément, quelque chose ne tourne pas rond. D’un côté, personne ne peut forcer l’Allemagne, ni le FMI, ni l’UE, à payer la dette des pays du Sud; mais de l’autre, les travailleurs du Sud refusent de subir une crise dont ils ne sont pas à l’origine. Devant cette impasse, faisons un rapide tour d’horizon des solutions proposées. Certains pays (comme la France) proposent la mutualisation de la dette au nom du fédéralisme budgétaire, accompagnée de la création d’obligations (ou titres de dettes) européennes; mais l’Allemagne d’Angela Merkel s’y est vigoureusement opposée. D’autres (notamment des économistes) préconisent plus de liberté pour la Banque Centrale Européenne, qui doit pouvoir acheter de la dette publique (grossièrement, « faire tourner planche à billet ») comme le font (ou l’ont fait) d’autres banques centrales: encore une fois, l’Allemagne par le biais de sa « bouba » (la banque centrale allemande) a refusé cette option, bien que la BCE ait vu sa politique monétaire relaxée. Que propose alors Berlin?
L’Allemagne est tenante d’une plus grande rigueur budgétaire avec l’instauration, par exemple, d’une règle d’or européenne (un contrôle strict des déficits budgétaires), accompagnée de mesures d’austérité afin de remettre les finances à flots et d’augmenter la compétitivité des pays en difficultés. Mais l’austérité, ça n’a pas vraiment l’air de marcher, non ? Du coup, certains, désespérés (ou faussement déçus, comme les Anglais) préconisent tout simplement la fin de la zone euro, même si beaucoup s’accordent à dire qu’il s’agit là du pire des scénarios.
Cette brève esquisse des solutions proposées montre bien le problème que rencontre le citoyen (et le lecteur, même non-européen) : si même les politiques ne s’accordent pas sur une solution, comment doit-il lui choisir entre finance à perte, planche à billet, austérité et fin de l’euro ? Chacun y va de son avis sur la question, en mettant en avant les solutions qui reflètent le mieux sa réalité et ses convictions politiques : les manifestants grecques protestent contre le diktat de la « Troïka » (Commission Européenne, BCE, FMI), réclament la fin des mesures d’austérité, allant jusqu’à brûler des drapeaux allemands ; les populistes allemands ne voient quant à eux aucunes raisons valables de financer un pays sans efforts importants en contrepartie. Et pourtant, une large majorité des Européens, Grecs et Allemands inclus, soutiennent de manière constante l’euro3. En ce qui me concerne, je suis convaincu qu’il est difficile d’interpréter et de comprendre une crise dont les bases – et les solutions – sont d’ordre économique.
Au programme
Dès lors, cette série a pour but de décrypter la crise en termes socioéconomiques, en confrontant les pensées (et mythes) populaires avec la réalité : je m’aiderai, notamment, du point de vue des économistes sur la question. En outre, nous nous poserons la question de savoir si cette crise était évitable, ou au contraire, inévitable, voire nécessaire. Enfin, il sera intéressant de connaître, étant donné la situation actuelle, quelles solutions sont souhaitables pour les peuples de l’Europe en crise.
Pour cela, nous verrons dans une première partie comment, et pourquoi, nous en sommes arrivés à une crise économique si importante qu’une partie des dirigeants européens ont été remplacés (Berlusconi, Sarkozy, Papandréou, …). Puis, nous restreindrons un peu l’analyse en se penchant tour à tour sur deux acteurs aux antipodes de la crise mais qui « caricaturent » la débâcle de l’euro : celui du contribuable grec et celui du contribuable allemand ; nous confronterons leurs pensées (et celles de leurs dirigeants) à la réalité économique. Enfin, dans une dernière partie, je donnerai un point de vue critique sur la question, et nous explorerons quelques scénarios possibles de sortie de crise, de la fin de l’euro jusqu’à l’union politique européenne, en passant par une simple sortie de la Grèce.
Note : pour les amis des mathématiques, je proposerais également des modèles simples illustrant les différents problèmes économiques sous-jacents. Au lecteur, là-bas, effrayé à l’idée de voir ressurgir d’ennuyants graphiques offre/demande (et autres joyeusetés), je le rassure tout de suite : ces modèles ne sont qu’accessoires.
Pour aller plus loin
Chaque article sera accompagné de lectures et de vidéos pour le lecteur désirant aller plus loin en attendant le prochain article. Le suivant traitera des origines et enjeux de la crise ; voici trois lectures et deux documentaires qui traitent du sujet:
« Comment la crise grecque est devenue celle de l’euro », Le Monde, en français: http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/05/12/2009-2011-chronologie-de-la-crise-grecque_1520780_3214.html
« Economic crisis in Europe: Cause, consequences, and responses – A report by the European Commission », VoxEU (Commission Européenne, 2009), en anglais : http://www.voxeu.org/article/economic-crisis-europe-cause-consequences-and-responses
« The Great Euro Crash », documentaire de la BBC, en anglais:
« Europe on the Brink », documentaire du Wall Street Journal, en anglais : http://www.youtube.com/watch?v=0FxFvQ_NJ3E
Enfin, pour ceux ayant déjà de bonnes notions en économie voyez ce document émanant de la fondation Robert Schuman (en anglais):
http://www.robert-schuman.eu/doc/questions_europe/qe-200-en.pdf
Partie 2: La crise de la dette
Sources 1 http://www.tdg.ch/monde/faits-divers/expulse-propre-famille-locataire-defenestre/story/17279983 2 http://www.lecourrier.ch/103435/succes_pour_la_greve_generale_de_l_indignation 3 http://www.voxeu.org/article/crisis-and-public-support-euro
Cher Costa Ken, Je vous remercie pour l'intérêt que vous porter à mon article :) Pour ce qui est de…