Économie Le 16 janvier 2015

Yann Koby

Par Yann Koby

Une décision justifiée?

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Une décision justifiée?

© Wikimedia commons

L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Quelques heures après que la Banque nationale suisse (BNS) a annoncé abandonner le taux plancher d’un franc vingt pour un euro, le cours chutait brutalement, passant même sous le taux assez incroyable de 0,85 franc suisse pour un euro – un nombre presque deux fois plus bas qu’il y a à peine cinq ans. Le taux est ensuite remonté pour se stabiliser pas loin de la parité – un phénomène de rebond assez typique, déjà bien théorisé dans la littérature économique.

Les réactions n’ont pas tardé. Pareil événement est souvent une aubaine pour l’économiste un brin foucaldien1 que je suis, tant il permet une analyse des discours intéressante, qui trahit en général les préoccupations idéologiques de chacun. Plutôt qu’analyser le contexte économique dans lequel la décision s’inscrit, certains ont ainsi choisi de ressortir quelques vieilles recettes idéologiques toutes préparées. Les ténors du parti socialiste, par exemple, ont rapidement mis en garde face à une décision « incompréhensible et risquée »2, qui, selon Roger Nordmann, vice-président du groupe socialiste au Parlement, impliquerait nécessairement que « (…) l’économie réelle a perdu. Les brasseurs de fric ont gagné »3. Une vision un poil catastrophiste qu’a partagé publiquement le président de son parti, Christian Levrat4. À l’opposé, la droite nationaliste s’est réjouie de la fin d’un combat jugé inutile, puisqu’on ne pouvait pas « (…) gagner à long terme contre une monnaie faible »5, comme l’a déclaré Christoph Mörgeli, conseiller national UDC. Évidemment, « des mesures d’accompagnement pourront être prises, comme la limitation de l’immigration »6 (c’est presque de l’humour, non ?). Enfin, au centre-droit, les annonces se sont faites – heureusement peut-être – un peu plus nuancées, tout comme au Conseil fédéral7,8.

Trêves de palabres. Pourquoi la Banque nationale suisse a-t-elle pris cette décision, qui plus est de manière abrupte ? Pourquoi estime-t-elle que les coûts du maintien excédaient les bénéfices ? Quels sont les véritables risques qu’encourent l’économie, le marché du travail ? Voilà les vraies questions qu’il convient de poser afin de faire avancer le débat. Les peurs, il est vrai, sont légitimes : le fait que les marchés financiers aient dévissé à la suite de l’annonce semble suggérer que de nombreux acteurs économiques anticipent une détérioration de la situation macroéconomique. Mais les autorités monétaires en sont parfaitement conscientes, et c’est pour tenter de comprendre leur décision que j’écris ces lignes.

Une histoire mouvementée

Lorsque, le 6 septembre 2011, la BNS annonça l’établissement du cours plancher, la décision fit l’unanimité au sein des politiques9. En raison des importantes turbulences monétaires et financières de la zone euro (pour une piqûre de rappel, voir ma série d’articles sur le sujet), le franc suisse s’était apprécié de manière importante – trop importante par rapport à sa valeur « fondamentale », et trop importante pour que l’économie suisse ne s’adapte sur un aussi court terme.

Pour mettre en perspective le mécanisme du taux plancher, il est nécessaire de comprendre ce que l’on entend par « valeur fondamentale » et « risque de court terme ». Pour appréhender ce dernier, il convient de rappeler que l’exportation est un pilier de l’économie suisse : cette dernière exportait en 2013 pour l’équivalent de 72% du produit intérieur brut, un chiffre à comparer avec 13% pour les États-Unis ou 26% pour la Chine10. Or, en théorie, les exportations réagissent au taux de change : lorsque le franc suisse est fort, les produits suisses sont plus chers, donc moins compétitifs. C’est pourquoi le secteur de l’exportation cristallise les préoccupations actuelles, et que Nick Hayek, PDG du groupe Swatch, parle de « tsunami »11. Une appréciation de 20% du taux de change signifie effectivement que ses montres se vendent 20% plus cher. D’où le risque à court terme : lors d’appréciations trop fortes, ces fluctuations du taux de change peuvent avoir des répercussions néfastes sur l’économie réelle, en particulier sur la stabilité financière et sur l’emploi. C’est afin d’éviter ces répercussions que la BNS avait pris, en 2011, la décision courageuse d’instaurer un taux plancher.

Mais le taux, en lui-même, n’est pas une variable « à choix » : il possède une valeur d’équilibre qui reflète les « fondamentaux » de l’économie qu’il représente. La détermination de ce taux d’équilibre est un débat complexe au sein de la littérature économique, mais le plus simple reste de penser qu’il doit refléter une certaine parité des pouvoirs d’achats : ajusté aux coûts de la vie, il devrait pouvoir convertir le prix d’un certain panier de biens en franc suisse vers une monnaie étrangère. Cependant, le taux de change fluctue pour de nombreuses autres raisons à court et moyen terme, au gré notamment des différents événements monétaires et financiers du moment. Parfois, lorsque ces déviations sont trop grandes, les banques centrales interviennent pour ajuster le tir – c’est justement l’exercice auquel s’est prêté la BNS en ce 6 septembre 2011.

J’imagine qu’il existait alors deux grands scénarios auxquels la BNS pouvait souscrire. Le premier, que soutiendraient probablement les membres du Parti socialiste susmentionnés, verrait le taux d’équilibre se maintenir de façon fondamentalement supérieur à 1,20 à moyen-long terme, et le secteur exportateur souffrir d’une monnaie surévaluée. Un tel scénario justifierait les importants coûts qu’impose la lutte contre la surévaluation : le bilan12 de la BNS a ainsi plus que quintuplé depuis l’annonce faite par Philip Hildebrand d’instaurer le plancher, avec les risques importants que cela implique (voir plus bas). Le deuxième scénario, en revanche, suggérerait que le taux d’équilibre de moyen, voire de long terme continuerait sa chute après la crise financière, non seulement en raison des fondamentaux, mais également du fait de l’instabilité financière durable au sein de la zone euro. Et il verrait les exportateurs suisses s’adapter graduellement à cette nouvelle situation.

Dans les grandes lignes, il semblerait que ce soit ce scénario-là qui ait été retenu, et probablement parce que les faits pointent en sa direction. Le taux d’échange basé sur la parité des pouvoirs d’achat du franc suisse a continué à s’apprécier ces dernières années, que ce soit contre l’euro ou d’autres devises13. Les récents renouveaux dans les déboires grecs, et les rumeurs d’un programme d’achat massif de la part de la Banque centrale européenne pour juguler la déflation accréditent la thèse d’une instabilité financière européenne et mondiale appelée à durer, et donc un franc plus fort à moyen terme14. Enfin, malgré l’appréciation violente du franc suisse ces dernières années – car même bloqué à 1,20, la différence avec le taux moyen précédent (1,50) était importante – l’économie (notamment le chômage) s’est relativement bien portée, surtout au vu de l’activité internationale morose. Plus intéressant encore, les exportations nettes se sont maintenues à un niveau élevé durant les quatre dernières années, atteignant même des records de croissance en fin d‘année 201415.

Une particularité suisse ?

L’aspect contre-intuitif de ce dernier état de fait suscite des interrogations : avec un franc fort, les exportations (et l’économie réelle avec) ne devraient-elles pas souffrir ? Là encore, la réponse n’est pas simple. L’économie suisse possède plusieurs particularités qui pourraient expliquer un tel comportement. En particulier, elle tire ses revenus principalement de produits à haute valeur ajoutée : la chimie, les machines, l’industrie pharmaceutique, ainsi que les bijoux et montres constituent le fleuron de l’exportation suisse.  La valeur ajoutée de ses produits est majoritairement humaine et technique : les matières premières, elles, sont importées – à un prix donc plus faible lorsque le franc est fort, ce qui augmente les profits.

Certes, ces derniers sont nécessairement affectés par le fait que, pour garder leurs parts de marché, les entreprises exportatrices se doivent de diminuer leur prix libellés en franc suisse. Mais pour les produits à forte valeur ajoutée, non seulement les volumes d’exportation ne diminuent pas – parce que les firmes exportatrices possèdent suffisamment de marge de manœuvre sur les marges qu’elles prennent16, mais en plus, il existe des raisons de croire que la demande ne varie que peu avec les prix (l’élasticité est faible), ce qui limite la perte des profits17. Enfin, rien n’empêche de croire que le défi pourra être relevé par ces firmes. Les propos de Jean-Claude Biver, responsable du pôle horloger du groupe LVMH et cité dans l’édition spéciale que consacre l’Hebdo à la décision de la BNS, vont exactement dans ce sens :

« À court terme, les effets sont désastreux. Mais allez savoir quel sera le cours de l’euro-franc suisse dans un mois. Quand j’ai commencé dans ce métier de l’horlogerie, un dollar cotait cinq francs. Aujourd’hui, un dollar vaut moins d’un franc. Malgré cela, nous n’avons pas cessé de vendre toujours plus de montres aux Etats-Unis. Nous avons des ressources, de l’innovation, de la créativité, du courage. Enfin, n’oublions jamais que dans toute mauvaise nouvelle se trouvent déjà en germe les ingrédients du futur succès. »18

De plus, comme le souligne très bien le Professeur Philippe Bacchetta, d’HEC Lausanne, la situation actuelle n’est pas comparable à celle qu’elle était en 2011 :

« À l’époque (en 2011), en plus des problèmes liés au cours de l’euro, l’économie américaine allait mal. Aujourd’hui, l’effet est moins fort. Le dollar s’est apprécié, l’économie américaine va mieux et les perspectives dans la zone dollar sont donc meilleures. En parallèle, le prix du pétrole a notablement baissé par rapport à 2011. Les coûts sont alors en partie plus faibles pour les entreprises. D’ailleurs le prix du pétrole va encore baisser du fait de l’abandon du cours plancher, de même que pour les autres produits d’importation. Si nous voulons voir cela sous un angle positif, le pouvoir d’achat des Suisses va globalement augmenter. »19

La patience est mère de toutes les vertus

Le susmentionné Jean-Claude Biver résume bien, à mon sens, l’approche qu’un observateur raisonné devrait avoir concernant la récente décision de la BNS :

« Qui suis-je, moi, pour juger une politique monétaire sur le moment où elle est annoncée? Si jugement il doit y avoir, c’est dans le temps. J’ai suffisamment confiance dans le professionnalisme des responsables de la BNS pour croire qu’ils savent ce qu’ils font et que c’est dans l’intérêt du peuple. Je me méfie des jugements hâtifs car les décisions de ce type ne peuvent qu’être prises par surprise! La BNS ne peut faire autrement que d’être en avance sur la spéculation. Jugeons dans trois mois quand tout cela se sera calmé. »20

Il est ainsi aberrant d’entendre déjà des voix parler d’accession à la zone euro21, de victoire des spéculateurs22, ou d’instauration d’un nouveau plancher23, alors qu’il ne semble pas pour l’heure y avoir d’évidence économique à court, moyen et long termes des nuisances de l’abandon du taux à 1,20 – alors que les coûts du plancher, eux, apparaissaient comme bien réels. Il est bien sûr naturel que les patrons des entreprises exportatrices ne se réjouissent que peu de l’exercice24; il aurait été doutable qu’il en soit autrement.

Certainement, la BNS n’a pas fait tout juste, surtout lorsque son vice-président annonçait seulement quelques jours plus tôt la détermination de la banque centrale à maintenir sa politique25, et il existe là pour elle un dégât d’image qu’il ne faudra pas négliger, et travailler à réparer – en particulier auprès des autres institutions monétaires, visiblement toutes surprises par les développements. De plus, comme l’a souligné Paul Krugman dans son dernier article26 pour le New York Times, le risque déflationniste persiste, ce d’autant plus dans un contexte où le prix du pétrole semble s’établir à un niveau relativement faible. Enfin, en raison du tapage médiatique autour de sa mesure principale du jour, l’annonce par la BNS de l’augmentation négative des taux d’intérêt pourrait bien être passée inaperçue, et la réitérer de manière plus ferme aidera probablement à la réorientation des prédictions futures pour le niveau des prix – même si un effet s’est déjà fait sentir, puisque les taux d’obligations sur la dette suisse sont aujourd’hui négatifs.

Mais en attendant, faisons confiance à une institution qui, jusque-là, n’a fait que peu d’erreurs dans ses jugements, et plutôt que d’agiter les démons d’une réalité peut-être d’un autre temps, rebroussons nos manches et attendons que l’Histoire décide si cette décision était la bonne ou non!

Yann Koby est doctorant en économie à l’Université de Princeton, New Jersey. Il a collaboré avec la Banque nationale suisse en tant que stagiaire à la section d’analyse économique pour la Suisse durant huit mois en 2013. Ses vues ne représentent en aucun cas la vision de la Banque nationale suisse ou de ses dirigeants, et sont exprimées à titre exclusivement personnel, sur la base d’information publique.


1 Michel Foucault, philosophe et théoricien des sciences sociales, est un des piliers de l’analyse discursive – même si celle-ci a été portée par bien d’autres scientifiques, et s’inscrit dans de nombreuses approches des sciences sociales, notamment l’approche poststructuraliste.

2 http://www.sp-ps.ch/fr/publications/communiques-de-presse/decision-incomprehensible-et-risquee-de-la-bns

3 https://twitter.com/NordmannRoger/status/555678812995067904

4 https://twitter.com/ChristianLevrat, http://www.rts.ch/play/tv/le-12h45/video/bns–taux-de-leuro-les-reactions-des-milieux-politiques?id=6460137

5 http://www.agefi.com/une/detail/archive/2015/january/artikel/le-scepticisme-prime-a-droite-malgre-un-retour-aux-lois-du-marche-la-gauche-plaide-pour-lemploi-et-lexportation-389921.html

6 Ibid.

7 http://www.rts.ch/info/economie/6460012-pour-lukas-reimann-udc-sg-la-decision-de-la-bns-de-mettre-fin-au-taux-plancher-est-excellente.html

8 https://www.news.admin.ch/message/index.html?lang=fr&msg-id=55920

9 http://www.rts.ch/info/economie/3378182-soutien-unanime-a-la-decision-de-la-bns.html

10 Banque mondiale. À noter que les importations sont tout aussi élevées, de sorte que les exportations nettes ne le sont pas ; cependant, c’est la taille des exportations brutes qui importent ici (dans une logique de leveradge). http://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.ZS

11http://admin7.iomedia.ch/system/client_data/hebdo/newsletter/generator/models/tpl1/LH90_EDITION_SPECIALE_CHF_EURO_rr_opti.pdf

12 Le bilan comptabilise la détention d’actifs et de passifs par l’institution monétaire. Pour lutter contre la surévaluation du franc suisse face à l’euro, la BNS a dû se résigner à acheter des devises étrangères en masse, notamment de la monnaie européenne – ce qui résulta en l’explosion de son bilan.

13 Banque mondiale. Voire aussi OECD. http://data.worldbank.org/indicator/PA.NUS.PPP/countries/1W-CH?display=graph http://stats.oecd.org/Index.aspx?datasetcode=SNA_TABLE4

14 Voir par exemple http://www.bloomberg.com/news/2014-11-26/constancio-says-ecb-sovereign-debt-buying-would-use-capital-key.html

15 http://www.ezv.admin.ch/themen/04096/04101/index.html?lang=fr

16 Voir cet article académique paru dans le Quarterly Journal of Economics. http://qje.oxfordjournals.org/content/127/1/437.full.pdf+html

17 Le cas extrême serait celui des biens dits de Giffen : pour certains produits de luxe, la demande augmente lorsque le prix augmente.

18 L’Hebdo, édition spéciale du 15 janvier 2015 http://admin7.iomedia.ch/system/client_data/hebdo/newsletter/generator/models/tpl1/LH90_EDITION_SPECIALE_CHF_EURO_rr_opti.pdf

19 http://www.hec.unil.ch/hec/Actualites_agenda_HEC/actualites/2015/annoncehec.2015-01-16.8745613870

20 Ibid.

21 Ibid., voir dernier article

22 http://www.tdg.ch/signatures/editorial/La-BNS-craque-par-surprise/story/26561681

23 http://www.sp-ps.ch/fr/publications/communiques-de-presse/decision-incomprehensible-et-risquee-de-la-bns

24 http://www.tdg.ch/economie/argentfinances/banque-nationale-suisse-provoque-onde-choc/story/25069613

25 http://www.rts.ch/play/tv/toutes-taxes-comprises/video/notre-invite-jean-pierre-danthine-vice-president-bns?id=6451932

26 http://www.nytimes.com/2015/01/16/opinion/paul-krugman-francs-fear-and-folly.html?_r=0

Commentaires

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Damien Capelle

Les coûts d'une politique monétaire visant un fixer un taux plancher, qui a été celle de la Suisse depuis 2011…

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Damien Capelle

Les coûts d’une politique monétaire visant un fixer un taux plancher, qui a été celle de la Suisse depuis 2011 ou encore de la Chine au cours des années 2000, sont assez difficiles à évaluer et en général assez peu visibles (contrairement à un taux plancher pour le taux de change lorsque la monnaie nationale est au certain).

La conséquence la plus immédiate est la grande création de monnaie centrale qui peut – si le contexte macroéconomique par ailleurs le permet – nourrir une expansion « excessive » du crédit bancaire et/ou éventuellement créer de l’inflation par excès de demande globale. Au vu de l’état de l’économie suisse, il ne semble néanmoins pas que le changement de politique ait été motivé par un quelconque déséquilibre interne (contrairement au cas de l’autorité monétaire Chinoise). La question de la motivation reste donc entière d’autant que la BNS continue d’intervenir sur les marchés pour acheter des devises étrangères en dépit de l’abandon du plancher afin de contrecarrer la forte appréciation du franc suisse.

Un autre coût, moins évident à première vue, d’une politique monétaire consistant à maintenir un taux de change inférieur au taux de marché – mais qui est immense, surtout pour une économie aussi ouverte que la Suisse – est la diminution du pouvoir d’achat des détenteurs de francs suisses. En effet, lorsque le taux de change de marché saute du jour au lendemain de 1 euro = 1.20 fc suisse à 1 euro=1 franc, les importations en suisse deviennent 20% moins chères. Et le pouvoir d’achat des consommateurs augmentent à proportion de la part des importations dans leur panier de consommation – en négligeant les changements de prix des industries exportatrices et autres effets de second ordre. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que maintenir le franc suisse sous-évalué entraîne une perte de pouvoir d’achat véritable pour la nation dans son ensemble : il entraîne plutôt un transfert de pouvoir d’achat des agents privés vers la Banque Centrale (et ses propriétaires, l’Etat suisse?) car l’accumulation des réserves est de l’épargne, une épargne forcée du point de vue de la population en quelque sorte.

Comme les coûts espérés de l’appréciation du franc suisse sont relativement bas comme il a été dit, les coûts tout d’abord en termes de pouvoir d’achat et ensuite de la distorsion des prix relatifs induite – très difficile à évaluer – de la politique de contrôle de taux me semblent devoir être les arguments principaus légitimant le choix d’un retour – brutal – à la logique de détermination entièrement marchande de la valeur du franc suisse.

Quant à la brutalité du choix de la BNS de retour au marché (presque) libre, je crois que c’est là l’élément le plus frappant dans cette petite histoire. Le dogme habituel qui veut que les banquiers centraux guident les anticipations de marchés et ne « trompent » pas les investisseurs privés en leur laissant le temps de se couvrir en connaissance de cause en annonçant à l’avance leurs actions a ici été ignoré. Les investisseurs ont été maintenus dans l’ignorance, c’est indéniable. Que dire? C’est avant tout une question de justice. Mais aussi de confiance et de crédibilité comme l’a souligné Yann Koby. La BNS a perdu ici un tout petit peu de son capital crédibilité – mais je crois qu’elle en a tant accumulée, qu’elle peut se le permettre.

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