« Dieu est toujours du côté de qui est persécuté. On peut trouver un cas où un juste persécute un juste, et Dieu est du côté du persécuté ; quand un méchant persécute un juste, Dieu est du côté du persécuté ; quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du persécuté, et même quand un juste persécute un méchant, Dieu est du côté de qui est persécuté. »
Commentaire rabbinique ancien du Lévitique, 27, 5
Les derniers événements survenus à Gaza m’ont amené à exprimer mon sentiment sur un des plus vieux conflits existant, lequel suscite une indignation planétaire, où pro-israéliens et pro-palestiniens se renvoient systématiquement la responsabilité de la violence et de l’échec du processus de paix.
A titre personnel, je comprends mal l’argument qui consiste à mettre sur le même plan, la sécurité de l’Etat hébreu et le droit au peuple palestinien à disposer de lui-même. J’ai du mal à accepter la tendance qui s’est dessinée depuis des décennies, conditionnant l’existence d’un Etat palestinien à la sécurité de l’Etat israélien. « S’il est normal que l’on réagisse différemment au conflit palestinien selon que l’on se trouve dans le monde musulman, en Europe ou sur le continent américain, il faut pourtant réaffirmer qu’il est incompréhensible que les principes et les critères de jugement appliqués par l’Occident soient à géométrie variable »i face au conflit.
Plus largement, je pense que l’Occident doit faire l’effort de comprendre pourquoi ce sujet suscite tant de haine et de violences au Moyen-Orient. Le politologue américain John J. Mearsheimer apporte un début de réponse en nous expliquant que l’approche militaire, même pour lutter contre le terrorisme, est une mauvaise option, car elle provoque la radicalisation des populations locales et empêche de regarder en face les conséquences de l’action politiqueii. Je suis persuadé qu’une solution viable pour les populations palestiniennes et israéliennes passe par une prise en compte des erreurs commises par le passé, prise de conscience qui me semble l’unique moyen de résoudre à terme le conflit. Toutefois, on peut légitimement se demander si une solution viable existe encore aujourd’hui. Gilles Paris, spécialiste de la question palestinienne pour le journal Le Monde, parlait récemment dans une interview de « la moins pire des solutions pour les deux camps »iii. Cette expression illustre parfaitement le désastre actuel et démontre la difficulté, voire l’impossibilité d’aboutir à une solution juste et durable. En d’autres termes, il est temps pour les parties au conflit de prendre leurs responsabilités afin que les populations puissent vivre décemment. Fatigué du deux poids deux mesures consistant systématiquement à imposer des concessions aux dirigeants palestiniens sans exercer de pressions sur Israël; j’ai décidé de prendre la plume pour démontrer que la position palestinienne a évolué tout au long de l’histoire par opposition à Israël qui semble camper sur ses positions et ses acquis.
Des étapes importantes marquent l’évolution de la position palestinienne. En effet, depuis la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)iv en 1964, on peut constater rationnellement une évolution de l’attitude des dirigeants palestiniens à l’égard de l’Etat d’Israël. Elle est passée par le rejet de la partition de la Palestine avec comme objectif la destruction de l’Etat d’Israël, en faisant de la lutte armée son moyen d’action privilégiée, jusqu’à la reconnaissance officielle de l’existence d’Israël en 1993. L’acceptation de fait et de droit de l’Etat hébreu a été longue à se dessiner et d’autres étapes illustrent l’évolution de la pensée politique palestinienne. En 1974, l’OLP a accepté lors du 12ème Conseil National Palestinien (CNP), d’établir une autorité nationale indépendante sur une partie seulement des territoires revendiqués historiquement. Cette étape constitue un premier pas vers le consentement à voir un autre Etat exister à côté de la Palestine, même si la récupération du territoire de toute la Palestine mandatairev reste l’objectif ultime de sa politique. Une marche supplémentaire vers la reconnaissance de l’Etat hébreu a été gravie en 1988 lors de la proclamation de l’indépendance de l’Etat palestinienvi basée sur la résolution 181 de l’ONU. Cette dernière, datant de 1947, appelait à l’instauration d’un Etat juif et d’un Etat arabe sur la Palestine mandatairevii, ce qui représente une reconnaissance de facto de l’Etat israélien. Ce long processus trouve son aboutissement avec la signature de la déclaration de principe de septembre 1993 à Washington entre Y. Arafat et Y. Rabin, représentant le premier volet des accords d’Oslo. Cette poignée de mains historique entre deux frères ennemis reconnaît le droit à Israël à vivre en paix et en sécurité.viii
A ce stade, il est pertinent de souligner que même le Hamas, depuis sa création en 1987, n’est pas resté figé dans une opposition inconditionnelle à Israël. En effet, cataloguer le mouvement de résistance islamique comme une simple organisation terroriste en vertu de sa charte fondatriceix semble réducteur. Le chercheur palestinien, Khaled Hroub a tenté de montrer l’évolution du mouvement, dans un ouvrage intitulé Le Hamasx, en s’appuyant sur trois textes-clés. Il analyse la plate-forme électorale du Hamas de l’automne 2005, son projet de « Programme de gouvernement d’union nationale » de 2006 et la plate-forme gouvernementale de mars 2006. La lecture de ces derniers montre que par exemple, l’idée d’une entité autonome palestinienne établie à côté d’Israël émerge au sein des cadres du parti.
Une avancée politique est par conséquent visible du côté de la politique palestinienne. Bien qu’elle soit certainement critiquable et insuffisante à plusieurs égards, elle constitue néanmoins une réalité.
Du côté israélien, une évolution de sa politique semble moins évidente et je vais illustrer mon propos par le biais de quelques exemples. Les gouvernements successifs ont pris la fâcheuse habitude de diaboliser les dirigeants palestiniens en invoquant l’absence d’interlocuteurs valables pour la paix. Yasser Arafat, leader charismatique du Fatah, fût souvent considéré comme le principal obstaclexi. Il a endossé l’étiquette de terroriste jusqu’à sa mort, malgré l’évolution de sa pensée politique et de ses actes. Il semblerait que certains terroristes soient plus fréquentables que d’autres, puisque deux figures emblématiques de la droite israélienne, Menahem Begin et Itzhak Shamir, ont utilisé cette arme contre l’Empire colonial britannique. Bien que toute comparaison ait ses limites, elle peut être néanmoins révélatrice d’une approche à géométrie variable de la part de la communauté internationale. La condamnation des attentats perpétrés par l’OLP doit être catégorique, mais s’arrêter à la condamnation est insuffisant. Il faut comprendre le pourquoi et savoir aller plus loin dans la réflexion. En effet, peut-on véritablement combattre le terrorisme sans vouloir en expliquer les causes ?
Cette politique de diabolisation s’est notamment perpétuée lors du processus de Paix de Camp David en 2000 et d’Annapolis en 2008. Les Premiers ministres en fonction, Ehud Barack et Ehud Olmert parlaient d’une « offre généreuse » non saisie par les Palestiniens. Pourtant, les positions israéliennes sur les questions sensibles telles que la colonisation, le statut de Jérusalem, les réfugiés ou encore la problématique fondamentale de l’eau sont loin d’être modérées. En effet, l’Etat hébreu a entrepris la judaïsation de Jérusalem déclarée depuis 1980 « capitale éternelle, une et indivisible ». Il refuse d’être jugé en partie responsable du déplacement des réfugiés et tente d’imposer la réalité des colonies. Le résultat est sans appel, aucun accord n’a été trouvé mais l’OLP s’est retrouvée une nouvelle fois sur le banc des accusés. Aujourd’hui, plusieurs témoinsxii de l’époque relatent que ces offres étaient sans fondement réel et répondaient plus à une logique électoraliste. A travers les yeux de l’Occident, Israël a gagné la bataille médiatique. L’image véhiculée rend les palestiniens responsables de l’échec.
Le Hamas a remporté les élections législatives de janvier 2006 à Gaza. Ces élections ont été d’une transparence à faire pâlir la droite française mais Israël a refusé de reconnaître le résultat des urnes. Motif invoqué ? On ne discute pas avec les terroristes. Israël refuse de négocier avec le Hamas, tant que ce dernier n’aura pas reconnu formellement l’existence de l’Etat hébreu et les accords d’Oslo, et mis un terme aux violences conformément au droit international. Personne n’exerce pour autant la moindre pression sur Israël pour qu’il mette en œuvre les quelques septante résolutions de l’ONUxiii qui ne sont toujours pas respectées.
En dernier lieu, je souhaiterais également répondre à ceux qui brandissent l’argument de la démocratie pour défendre Israël. En effet, être un Etat démocratique devrait excuser un bon nombre d’agissements de l’Etat hébreu selon l’argument « oui mais au moins c’est un pays démocratique ».
Ce pays utilise la détention administrative, lui permettant de maintenir toute personne sans jugement en prison pour des périodes de six mois renouvelables indéfiniment. Cette pratique a fait notamment l’objet d’un rapport d’Amnesty internationalxiv démontrant les nombreuses violations des droits de l’homme dans les geôles israéliennes.
Cette « démocratie » colonise à grande échelle les territoires palestiniens depuis la guerre de 1967. Les implantations juives en territoires occupés sont jugées contraires au droit internationalxv qui les assimile à un crime de guerre selon l’article 8b viii du statut de la Cour Pénale Internationale (CPI)xvi. La création des coloniesxvii a pour seul but d’imposer un fait accompli illégal à toute la communauté internationale dans le cadre de toutes négociations de paix futures.
Au début des années 2000, « L’Etat juif » s’est mis à édifier un murxviii pour des considérations sécuritaires. Cette barrière de séparation, qui fragmente la Palestine en deux entités distinctes, ne suit même pas le tracé de la ligne verte (frontière de 1967), mais ampute grandement les territoires palestiniens de ressources hydrauliques et agricoles. De surcroît, toutes les justifications israéliennes légitimant la construction du mur ont été déboutées par un avis consultatif de la Cour Internationale de Justice (CIJ) en 2004xix.
Israël pratique les assassinats extrajudiciairesxx sur les leaders palestiniens. Le dernier en date étant l’assassinat d’Ahmed Jaabari, chef militaire du Hamas, qui selon un journaliste israélien n’était pas qu’un simple terroriste mais « un sous-traitant en charge du maintien de la sécurité d’Israël dans la bande de Gaza (…). C’était pourtant la réalité durant ces cinq années et demie. Israël a exigé du Hamas qu’il observe la trêve du sud et la fasse appliquer par les nombreuses organisations armées dans la bande de Gaza. L’homme à qui avait été confiée cette tâche était Ahmed Jaabari »xxi. Peut-on véritablement penser que toutes ces pratiques sont de moindre portée puisqu’elles émanent d’un Etat démocratique ? Bien évidemment non! Ces pratiques, quand bien même répondraient-elles à des impératifs sécuritaires, ne sont pas pour autant excusables, même si l’on considère qu’Israël n’est qu’une démocratie qui se défend.
A travers cette lettre ouverte, j’ai voulu montrer que la politique israélienne,, à mon avis, n’a jamais eu la paix comme ligne directrice. Bien évidemment, cela ne signifie pas pour autant que les Palestiniens soient dénués de toute responsabilité. Cependant, je n’arrive pas à mettre sur le même plan le droit d’Israël à se défendre et le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Je refuse avec la plus grande force l’argument mettant en avant le caractère démocratique de l’Etat israélien ainsi que celui d’une logique uniquement défensive.
A tous les défenseurs de l’Etat hébreu, n’oubliez pas l’histoire de sa constitution, ne confondez pas la légitime défense et les représailles massives, vous ne servez pas votre cause. En s’appuyant sur le cas du génocide rwandais, Alain Gresh, rédacteur en chef du monde diplomatique, rappelle que : « L’histoire nous a souvent appris que les victimes d’hier peuvent malheureusement devenir les bourreaux de demain»xxii. Pas d’amalgame trop hâtif, il ne s’agit pas de faire des Israéliens les bourreaux ni des Palestiniens les victimes mais d’inscrire la question palestinienne dans une réflexion plus globale qui a trait au concept de « la justice des vainqueurs ». En effet, je pense qu’il est primordial pour toute réconciliation nationale de tenir compte des sentiments de chacun pour l’avenir de l’humanité et la résolution de conflits.
[i] GRESH, Alain, De quoi la Palestine est-elle le nom, Arles, Actes Sud, 2010, p.143
[ii] Imperial by design, Article du journal The National Interest par John J. Mearsheimer, 16 décembre 2010
[iii] Gaza : « Le gouvernement israélien va être mis à l’épreuve si l’offensive dure ». Article du journal Le Monde par Gilles Paris, 16 novembre 2012
[iv] L’OLP par Anne-Lucie Chaigne-Oudin sur le site : www.lesclesdumoyenorient.com
[v] La Palestine mandataire fait référence au territoire sous mandat britannique entre 1920 et 1947 qui recouvrait la Palestine et l’Etat d’Israël actuel.
[vi] BARON, Xavier, Les Palestiniens, Genèse d’une nation, Paris, Seuil, 2003, p. 769-775.
[vii] Plan de partage de la Palestine, résolution 181 de l’AG de l’ONU sur le site : www.un.org
[viii] Déclaration de principes israélo-palestinienne, 20 septembre 1993 sur le site: www.mfa.gov.il
[ix] Charte fondatrice du Hamas traduite par Jean-François Legrain sur le site : http://www.iremam.univ-provence.fr
[x] HROUB, Khaled, Le Hamas, Arles, Demopolis, 2008
[xi] GRESH, Alain, Vérités sur un conflit, Paris, Pluriel, 2010, CH7, Les accords d’Oslo du baptême aux funérailles
[xii] Clot, Ziyad, Il n’y aura pas d’Etat Palestinien, Paris, Max Milo, 2010 et SWISHER, E Clayton, The Truth About Camp David, New York, Nations Books, 2004
[xiii] Résolution de l’ONU non respectées par Israël. Article du journal Le Monde diplomatique, février 2009
[xiv] Israel and the occupied Palestinian territories: starved of justice: Palestinians detained without trial by Israel sur le site: www.amnesty.org
[xv] Voir notamment la 4ème Conventions de Genève, la charte de l’ONU et les résolutions 1541 et 465
[xvi] Israël n’est que signataire du statut de Rome et refuse de le ratifier de peur d’être mis sur le banc des accusés pour sa colonisation.
[xvii] GRESH Alain, VIDAL Dominique, Les 100 clés du Proche-Orient, Paris, Hachette, 2006, p149-154
[xviii] Voir à ce sujet, le documentaire Le mur de la colère, disponible sur youtube
[xix] Conséquence juridique de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, 9 juillet 2004 sur le site : www.icj-cij.org
[xx] Des assassinats ciblés ont été ordonnés depuis plus de trente ans par des dirigeants israéliens. Article du journal Le Monde par Stéphanie le Bars, 23 mars 2004.
[xxi] Israel killed its subcontractor in Gaza. Article du journal Haaretz par Aluf Ben, 18 novembre 2012.
[xxii] GRESH, Alain, Vérités sur un conflit, Paris, Pluriel, 2010, p.25
Quentin, désolé pour la non réponse mais malheureusement je n'ai pas vu ton commentaire auparavant. Je te serai gré de…