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Comme je l’avais mentionné ici il y a quelques jours, le 20 Minutes est friand de non-information et de vacuité intellectuelle. Mais cette parodie de journal n’a pas encore touché le fond et parvient à mettre la barre toujours plus bas. On croirait presque lire une version helvétique de The Onion… Occupons-nous ici plus particulièrement de l’évolution des formes d’interaction entre la presse et le public. En effet, le paysage médiatique et la pratique du journalisme sont aujourd’hui en pleine mutation, notamment grâce à l’évolution des technologies de l’information. Les réseaux sociaux et le journalisme participatif prennent une place de plus en plus importante dans la diffusion de l’information, pour le meilleur et pour le pire. Et évidemment, sur le site du 20 Minutes, on a droit au pire.
Voici deux exemples concrets trouvés le 1er mai 2013 sur le site du quotidien le plus lu de Suisse, et illustrant deux catégories d’interactions entre le média et le public.
Catégorie numéro 1 : « infos » signalées par le public
« Mardi, un restaurant [McDonald’s] à Kreuzlingen (TG) a diffusé de la pub érotique sur ses écrans. Les employés avaient oublié de changer de chaîne de télévision. »
Un « lecteur-reporter » (comme on dit chez 20 Minutes) a envoyé cette « info » absolument capitale, que le site du quotidien de Tamedia s’est ensuite empressé de relayer au plus grand nombre. Car en effet, ce serait dommage de passer à côté de ce scoop aux implications géopolitiques et existentielles proprement vertigineuses.
Certes, de nos jours, le rôle de témoin direct est de plus en plus dévolu au public, grâce à la prolifération des téléphones portables équipés de caméras et connectés à Internet, mais le rôle du journaliste n’en demeure pas moins important : il doit en premier lieu trier les informations, puis mettre en forme les plus pertinentes, les expliquer et les replacer dans leur contexte. De toute évidence, 20 Minutes a beaucoup de mal à juger ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas.
Et comment pourrait-il être autrement ? Dès la page de présentation du concept de « lecteur-reporter », le principe est clair: « Si vous assistez à un accident de la route, à la naissance d’un léopard ou si vous croisez une personnalité faisant sa balade du dimanche en rollers, faites-le nous savoir […] ». Sans commentaire.
Dans la même catégorie, on trouvera par exemple les « infos » suivantes : une voiture qui percute des vélos, un cygne blessé ou un joli lever de soleil.
Catégorie numéro 2 : « infos » qui circulent sur les réseaux sociaux
« La vidéo d’un créneau laborieux d’une automobiliste est devenue un véritable buzz sur Internet avec plus d’un million de clics en seulement cinq jours. »
On notera qu’ici, « l’info » n’est pas le créneau laborieux (ni même le film de ce créneau), mais le fait que la vidéo ait été vue des millions de fois sur Youtube. Le « buzz » permet ainsi de parler de tout et (surtout) de n’importe quoi, sous prétexte que les gens en parlent sur les réseaux sociaux. Cela dénote à mon sens une extrême paresse intellectuelle et journalistique. On ne transmet plus une information en fonction de son contenu, mais purement en fonction de son taux de transmission observé, ce qui offre l’avantage au journaliste de ne pas avoir à réfléchir. Car en effet, « le buzz a remplacé le bouche à oreille en le vidant de sa substance. Ce qui était important, dans le bouche à oreille, c’était le fond du message […]. Dans le buzz, ce qui compte, c’est le buzz en lui-même indépendamment de ce qui l’a généré […] ».1
Le buzz est un cas extrême de circulation circulaire de l’information, virant à la prophétie auto-réalisatrice. On en parle parce que tout le monde en parle, et du coup, tout le monde en parle. En plus, le buzz est maintenant « légitimé » par une entreprise de presse (apparemment) tout à fait sérieuse, ce qui va encore augmenter le nombre de personnes qui en parlent, et ainsi de suite, jusqu’à saturation. Puis le buzz suivant prend le relais en effaçant le précédent de la mémoire collective, et on recommence.
Parfois, il ne s’agit même que d’une simple vidéo. Il y a donc en Suisse des journalistes dont le job consiste à relayer des vidéos « qui font rire ou pleurer » (dixit le site du 20 Minutes), tel un vulgaire forward de bureau. A quand les Powerpoints rigolos et les dernières blagues à la mode ?
Dans la même catégorie, on trouvera par exemple les « infos » suivantes : des vidéos de chats qui font du fitness, Nabilla qui porte un t-shirt gris, ou carrément le « dossier Harlem Shake » (il est vrai que ça méritait bien un dossier spécial, comme pour Fukushima ou les élections américaines).
Notes
Pour en savoir plus sur l’évolution du journalisme et de ses interactions avec le public, lire « Post-Industrial Journalism: Adapting to the Present« , de C.W. Anderson, Emily Bell et Clay Shirky.
1Stéphane Rose, Défense du poil, cité dans Beauté Fatale, de Mona Chollet.
Pour Adriano....Ces tabloides...20Minuten, LeMatin, etc.......Leurs "journaleux" n'apprécient guère les commentaires sur leur façon de faire leur métier.....Je me demande pourquoi....…