Jet d'ancre sur Le 1 décembre 2016

DécadréE – Une association pour promouvoir une presse plus égalitaire

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DécadréE – Une association pour promouvoir une presse plus égalitaire

www.decadree.com

Un homme qui tue sa femme par simple énervement en manchette du Matin ou encore une affaire de viol avec « deux vies détruites » (sous-entendant que le présumé violeur a autant souffert que ladite victime) dans le 20 Minutes: la presse est parfois choquante lorsqu’il s’agit de parler d’affaires de viol ou de violences conjugales. Que cela soit par le traitement ou par le choix des sujets, les médias restent majoritairement inégalitaires. Ils réaffirment des stéréotypes liés au genre mais également à l’ethnie et à tout autre facteur de discrimination. C’est en partant de ce constat que les fondateurTRICEs1 de DécadréE ont décidé de réagir. Cette nouvelle association a pour objectif de promouvoir une presse plus égalitaire.

 

Du choix des sujets…

Les médias sont un instrument extrêmement puissant. Ils influencent notre connaissance et notre vision du monde en choisissant les informations qu’ils estiment légitimes et la façon de les traiter. Une société plus égalitaire passe donc par un changement global au niveau des médias et une prise de conscience du point de vue que diffuse le/la journaliste.

Les journalistes transmettent en effet leur regard à travers les différentes étapes de la rédaction d’un article. La première, le choix des sujets et la définition de leur importance, ne fait pas exception. Les sujets liés à des problématiques égalitaires, les associations qui travaillent sur ces thématiques ou même les femmes et les populations minorisées sont en général moins présentEs dans les médias. Une étude mondiale, le projet monitorage, montre notamment que les femmes ne représentent que 19% des expertes contactées par les journalistes.

La couverture accordée au sport est par exemple significative d’une sélection genrée. Alors que les compétitions masculines de foot, de hockey ou encore de rugby font l’objet de nombreux sujets, leurs collègues féminines ont tendance à passer à la trappe. Seuls certains sports, considérés socialement comme « féminins », sont amplement médiatisés, à l’image des compétitions féminines de patinage artistique ou de gymnastique.

 

…au traitement

Une fois le sujet sélectionné, le/la journaliste choisit son angle d’approche et le traitement qu’il/elle va accorder à la news. De nouveau, le langage mais aussi le choix de l’illustration, des questions ou de l’angle lui-même peut réaffirmer ces stéréotypes et produire des discriminations. L’appellation « crime passionnel » est par exemple maladroite. Les associations luttant contre les violences sexistes et les violences au sein du couple, telles que la Slut Walk ou Solidarité Femmes Genève, le disent : il s’agit de violence conjugale. Utiliser la terminologie « crime passionnel » transmet une autre réalité. Alors que l’homicide est le contrôle ultime de son/sa conjointE, de son droit à la vie, il est défini selon le registre de l’amour et de la passion et donc d’une perte de contrôle.

La manière de traiter les victimes et de questionner les faits peut également avoir des conséquences graves. Dans les cas de viol, il arrive que les comportements des victimes de viol soient analysés, leur légitimité questionnée, tout en insinuant qu’elles auraient une part de responsabilité dans les violences qu’elles ont subies. Et les exemples ne manquent pas : le 20 Minutes notamment prétend qu’en été les agressions sont plus nombreuses à cause des tenues portées par les victimes. Or, aucune attitude ne peut justifier un viol ou atténuer la légitimité de la personne l’ayant subi. Ces accusations faites à l’encontre de la personne ayant vécu un viol, les associations féministes les nomment le slutshaming2 : elles participent à un contrôle social de la femme en lui dictant comment s’habiller et se comporter ou restreignent sa liberté en lui interdisant de circuler seule à certaines heures et dans certains endroits.

http://www.20minutes.fr/societe/1414815-20140704-pourquoi-agressions-sexuelles-plus-nombreuses

http://www.20minutes.fr/societe/1414815-20140704-pourquoi-agressions-sexuelles-plus-nombreuses

Outre les violences sexistes, le traitement des personnalités publiques féminines par la presse est également significatif. Bien souvent, les femmes – contrairement aux hommes – sont questionnées sur leur physique, leur vie privée et leur statut marital, voire maternel. En guise d’illustration, Le Temps, qui fait un article sur la journaliste Romaine Morard à l’occasion de son premier Infrarouge, se sent obligé de terminer son article en citant les enfants de la femme : « Gaspard, de son côté, est enchanté de même que Jules. Maman est plus souvent à la maison que du temps des JT ».

Leurs compétences sont remises en question et elles sont systématiquement renvoyées à leur statut de femme. Le traitement médiatique d’Hillary Clinton est en cela exemplaire. Les journalistes n’ont eu de cesse de rappeler que si elle avait été élue, elle aurait été la première femme présidente des Etats-Unis et ceci comme un argument absolument pertinent, à invoquer avant toute autre chose. Cela a pour conséquence de la renvoyer à son statut de femme et d’oublier de parler de son programme politique, et plus encore de considérer la femme comme une entité homogène. S’il est vrai qu’Hillary Clinton elle-même a utilisé cet argument dans sa campagne, les conséquences sexistes n’en sont pas moins importantes et cette information devrait être interrogée ou au moins contextualisée.

 

TouTEs concernéEs

Mais les femmes ne sont pas les seules à subir les stéréotypes. Lorsqu’un fait divers a lieu, le plus souvent, on précise la nationalité du présumé coupable seulement si celui-ci est étranger. Les faits de Cologne3 ont d’ailleurs bien montré à quel point l’origine des agresseurs peut moduler le discours de la presse. Dès que l’affaire a éclaté, les médias se sont précipités sur l’origine et le statut des agresseurs, comme on peut le lire dans l’Obs ou le Monde, oubliant de questionner ce fait à la lumière des logiques sociales. Or, les logiques raciales, sociales et genrées se mêlent continuellement. Les secondes sont instrumentalisées au détriment des premières. Comme le montrent très bien les chercheurs Eric Fassin ou Eric Macé4, la logique raciale est invisibilisée à travers des discours promouvant l’égalité de genre et des chances. Dans le cas des événements de Cologne, on voit très bien la hiérarchisation qui s’est mise en place dans les articles de presse et les mécanismes racistes (ou xénophobes) en jeu, créant un raz de marée médiatique. Il est en effet plus simple de penser que ce sont uniquement les autres qui violent et agressent et ainsi de ne pas avoir à se remettre en question.

Pourtant, le contraire est possible. Certains journaux arrivent à interroger les faits inégalitaires et à porter un autre regard sur la société. C’est le cas par exemple de La Liberté le 25 août 2016, qui interroge le fait que les femmes n’atteignent pas les postes de direction des établissements scolaires. Le Courrier suit également une démarche similaire en publiant régulièrement des articles sous sa rubrique égalité.

 

Comment agir ?

Face à cela, l’association DécadréE a décidé de réagir et de travailler en collaboration avec les journalistes afin de construire des outils pour créer ensemble des médias plus égalitaires. L’association est en effet consciente que les inégalités ne sont pas le fruit d’une seule main, mais de mécanismes complexes. Un article n’est pas le travail d’un journaliste, mais d’une rédaction, d’unE rédacteurTRICE en chef et même d’une mise en page et d’une correction. Il s’agit ainsi de mettre en place une démarche constructive pour comprendre et contrer ces mécanismes. L’organisation a deux objectifs principaux : (1) proposer des articles égalitaires et rendre visible les initiatives non discriminantes ; (2) réfléchir et débattre sur la manière de créer un journalisme égalitaire.

Le travail de journaliste est compliqué. Ayant pour exigence de rester compréhensible pour la majorité, le/la journaliste doit être au cœur de l’actualité et n’a ainsi pas toujours l’opportunité ou les outils pour porter un regard critique sur l’information qu’il diffuse et ceci par manque de temps ou d’effectif5. Il/elle est également soumisE à des impératifs marketing. Son sujet doit vendre et attiser la curiosité, d’autant plus aujourd’hui. La concurrence s’est en effet accentuée avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux. Ces impératifs et ces difficultés, DécadréE les confronte grâce à son webjournal. Tous les cinq jours, les rédacteursTRICES de DécadréE proposent un article égalitaire. Ils/elles lisent alors l’actualité avec une grille d’analyse « genre » ou proposent une plateforme de visibilité pour des initiatives et des sujets liés à ces thématiques. Avec des réunions ou encore des événements/débats en complément, l’association veut ensuite partager ses expériences et construire une réflexion et des outils.

Par le biais de ses différentes activités, DécadréE espère ainsi pouvoir faire évoluer les médias et participer à créer une société plus égalitaire. Rendez-vous donc sur www.decadree.com pour découvrir les articles. Par ailleurs, les séances de rédaction sont ouvertes à touTEs celles/ceux qui souhaiteraient écrire d’une manière égalitaire, il suffit de nous écrire un mail à decadree@gmail.com.

 

 


1. Le fond n’allant jamais sans la forme, et la seconde influençant même souvent le premier, notre souci d’égalité nécessite l’utilisation du langage épicène tout au long du présent article.

2. Attitude qui consiste à insulter, humilier et délégitimer une femme en se basant sur des présomptions de comportements sexuels « hors normes ». C’est une violence de genre et sexiste.

3. Agression de femmes lors de la fête du nouvel an de 2015 à la Hauptbanhof. Pour en savoir plus : http://www.decadree.com/portfolio/cologne-le-flou-derriere-la-peur/

4. FASSIN, Didier ; FASSIN, ERIC (dir.) (2006), De la question sociale à la question raciale ?, La Découverte, Paris.

GUENIEF-SOUILAMAS, Nacira ; MACE, Eric, (2004), Les féministes et le garçon arabe, Edition de l’Aube, France.

5. De nombreuses brèves sont par exemple copiées-collées de l’agence de presse ATS sans que plus de recherches de la part du média ne soient effectuées.

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