Sport Le 4 août 2019

Mondial féminin de football 2019, la fin des préjugés ?

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Mondial féminin de football 2019, la fin des préjugés ?

Photo de Lesly Juarez sur Unsplash

Le Mondial féminin de football s’achevait il y a près d’un mois avec la victoire des Etats-Unis de Megan Rapinoe et Alex Morgan. Inspirée par cette compétition et sa forte attention médiatique, Teresa Iglesias Lopez livre une réflexion personnelle sur une discipline trop longtemps dénigrée. Son espoir ? Des nouvelles vocations pour les jeunes filles du monde entier et la fin des inégalités de genre dans le « Sport Roi ».


 

La 8ème édition de la Coupe du monde de foot féminin vient de prendre fin avec la victoire des Etats-Unis. On peut aujourd’hui affirmer que le foot féminin commence enfin à être reconnu et apprécié à sa juste valeur. Alors que des années de discriminations, de sexisme et de domination masculine l’ont terriblement freiné, il est aujourd’hui en plein essor. A l’heure du #MeToo et d’un renouvellement des luttes féministes, les temps sont en train de changer ; l’ambition et la persévérance de footballeuses à travers le monde commencent à porter leurs fruits. Une reconnaissance grandissante à l’égard du foot féminin est désormais observable. Il était temps ! Cette année marquera peut-être ainsi un tournant.

Je ne suis pas une experte en foot, bien au contraire. J’aime suivre les coupes d’Europe et du Monde mais je ne m’y connais pas énormément. Je n’ai jamais joué au foot, pourtant je suis quelqu’un d’assez sportif et j’ai toujours aimé essayer de nouveaux sports. Peut-être parce que, dans le village duquel je viens, dans le sud de la Belgique, en tant que fille, je n’avais pas réellement le choix. Il n’existait pas (et n’existe toujours pas dans la majorité des villages aux alentours) d’équipes pour filles, et ce, pour toutes les tranches d’âge. A l’école, les filles et les garçons étaient séparés pour les cours de gym. Alors que les garçons, eux, jouaient tous les ans au foot et avaient le choix entre une multitude de sports différents, nous, les filles, n’avions le choix pratiquement qu’entre le volleyball, le badminton ou encore la course à pied. Faire du foot avec les filles au cours de gym n’a jamais été une option, cela ne venait à l’idée de personne et personne ne s’en est jamais plaint (moi non plus), tant cela a toujours été considéré comme « normal ». Pour ainsi dire, je n’y avais même jamais réfléchi avant le début du Mondial il y a un mois.

Alors qu’il est si commun pour les garçons d’avoir des joueurs de foot préférés, qui incarnent des modèles depuis un jeune âge, ce n’est pas le cas pour les filles. Au contraire, lorsqu’il m’est arrivé de demander autour de moi à des hommes passionnés de foot pourquoi le foot féminin n’est pas aussi reconnu et suivi que le masculin, on m’a souvent répondu que les femmes, de par leur morphologie (une question « objective » liée à la biologie), n’étaient pas aussi bonnes et capables que les hommes de prouesses footballistiques. Cela expliquant le manque d’intérêt général pour le foot féminin.

 

Culture sexiste

La culture sexiste autour du foot et sa domination masculine ont toujours existé. Les préjugés selon lesquels « le foot n’est pas pour les filles » subsistent depuis que les femmes ont elles aussi commencé à taper dans le ballon de façon plus professionnelle après la codification du football moderne (1860)1. Déjà lors du premier match international féminin entre l’Ecosse et l’Angleterre en 1881, les hommes font des commentaires dénigrants à l’égards des joueuses (le compte-rendu du Glasgow Herald parle du match en ces termes : « D’un point de vue de footballeur, le match était un fiasco, même si certaines [joueuses] avaient l’air de comprendre le jeu. »).

Aux paroles violentes suivent des actes violents lorsque des hommes envahissent le terrain lors d’un second match féminin et s’attaquent aux joueuses forcées de se réfugier dans un arrêt de bus. A l’époque, les femmes sont censées rester à la maison et leur corps est réduit à la maternité. Et très peu d’hommes souhaitent voir cela changer, encore moins sur un terrain de foot. Pourtant, une quarantaine d’années plus tard, le foot féminin attire des foules incroyables entre 1917 et 1920 en Angleterre et récolte d’importantes sommes d’argent (reversées presque intégralement aux soldats blessés durant la Première Guerre mondiale et leur famille2). En Angleterre, l’équipe la plus connue est celle des Dick Kerr’s Ladies, à Preston, et ses matchs attirent des spectateurs par milliers. Le foot féminin est alors aussi une question politique et, pour ses pionnières, ce sport représente également un outil dans la lutte féministe. Malheureusement, alors que le foot féminin et les Dick Kerr’s Ladies sont à leur apogée, la Fédération anglaise de football, voyant d’un mauvais œil le succès des femmes vis-à-vis des hommes, interdit aux femmes de jouer sur les terrains de la Ligue arguant que « le football féminin n’est pas du tout adapté aux femmes et ne devrait pas être encouragé ». Il faudra attendre 50 ans pour que l’interdiction soit levée3.

[National Photo Company – WikiCommons]

 

Inégalités, twerk et discriminations

Le football féminin a donc 100 ans de retard à rattraper. Aujourd’hui, les footballeuses gagnent toujours 96% d’argent en moins que leurs homologues masculins en moyenne4. Aux Pays-Bas, par exemple, les joueuses de la sélection nationale sont payées 5 fois moins que les hommes5. Ailleurs, en Argentine et au Nigéria, les joueuses doivent se battre pour être simplement rémunérées6. Lorsque l’Allemagne remporte son premier titre européen en 1989, ses joueuses reçoivent comme récompense un… service à thé.

Aux Etats-Unis, l’équipe féminine a décidé de mettre fin à une « discrimination institutionnelle basée sur le genre » et exige enfin l’égalité salariale et les mêmes conditions de travail que les hommes7 (qui eux ne sont plus arrivés en demi-finale depuis 1930, ne s’étaient pas qualifiés pour le Mondial 2018 et dont les recettes venant du foot en 2015 furent de loin dépassées par celles des femmes avec une marge de 20 millions de dollars8). Les inégalités ne touchent pas seulement les salaires des femmes mais également l’ensemble du sponsoring des sports féminins en général. En effet, selon une étude menée entre 2010 et 2011 en Grande-Bretagne, les sports féminins ne reçoivent que 0,5% du sponsoring britannique total dans le sport (ce chiffre s’élève à 61,1% pour les sports masculins, et à 38.4% pour les sports mixtes). Pour le Mondial 2019 en France, 30 millions de dollars ont été investis, soit le double par rapport à l’édition précédente en 2015. Mais cela reste insignifiant quand on pense aux 400 millions de dollars engrangés par le Mondial masculin l’année passée en Russie.

Si l’on analyse la gouvernance du football, on constate que, là aussi, les choses ne sont pas très équilibrées. En effet, sur 177 associations membres de la FIFA, seulement 8% des membres des comités exécutifs sont des femmes9. A la direction générale de la FIFA, parmi les dix personnes occupant les postes de président, vice-président et secrétaire général, une seule est une femme (la secrétaire générale Fatma Samba Diouf Samoura). Nul besoin de préciser qu’il n’y a jamais eu de femme présidente de la FIFA depuis sa fondation il y a cela plus de 100 ans12.

Lorsque l’on parle de sexisme dans le milieu du foot, il est facile de se remémorer des scandales. Pensons aux commentaires ouvertement sexistes des commentateurs sportifs de Skysport, les Anglais Andy Grey et Richard Keys, envers une juge de touche en 2011 (voir ici), ou bien à l’ex-capitaine des Bleus Patrice Evra applaudissant (comme surpris), l’année dernière, la justesse d’analyse de la consultante Eniola Aluko (ici), ou encore au DJ Martin Solveig s’étant senti obligé de demander à la Norvégienne Ada Hegerberg si elle savait twerker lors de la cérémonie de remise de son Ballon d’Or en décembre dernier (voir ).

 

Futur prometteur

Je pourrais continuer à énumérer des chiffres et des faits prouvant encore et encore qu’il existe une différence flagrante entre les moyens investis dans le foot masculin et ceux dans le féminin et que le sexisme entourant ce sport est un fait banal et, jusqu’à présent, toléré. Pourtant, les choses sont en train de changer et la Coupe du monde féminine 2019 en est la preuve. Si près de 764 millions de téléspectateurs ont suivi l’édition 2015, la FIFA espérait dépasser le milliard de téléspectateurs cette année13. Le match d’ouverture a tout de suite battu un record : le France-Corée du Sud a été suivi par 40 millions de personnes en Europe. Lors du 8e de finale entre les joueuses de Corinne Diacre et le Brésil de Marta, l’audience télévisée a dépassé les 10,5 millions, record national et plus forte audience télévisée réalisée cette année en France14. Avec plus d’un million de billets mis en vente pour les matchs, il est clair que le football féminin est sorti de l’anonymat. Dans le monde, il y aurait 4,8 millions de joueuses inscrites dans différentes fédérations et la FIFA espère atteindre 60 millions de pratiquantes d’ici 2026.

Le foot féminin est sous le feu des projecteurs et les demandes d’égalité et de reconnaissance envers les footballeuses se multiplient à toute vitesse. La vidéo de Nike pour l’ouverture de la Coupe du monde inverse les rôles et glorifie le football féminin. On peut y voir la jeune footballeuse de 10 ans, Makena Cook, se tenant aux côtés des meilleures footballeuses de différentes fédérations telles que la Néerlandaise Lieke Martens, élue meilleure joueuse de l’Euro 2017, Alex Scott, brillante ancienne joueuse anglaise, ou encore Andressa Alves, star du foot brésilien. On y voit ensuite la photo de Cook et Alves en couverture du célèbre jeu de PlayStation FIFA avec Neymar, joueur brésilien internationalement reconnu, qui pilote une équipe féminine avec sa manette. Finalement, on aperçoit Alex Scott s’activer sur le banc en tant que coach du Barça et donner ses consignes à Coutinho ou Piqué. La vidéo se termine avec un message fort à l’égard du foot féminin : « Ne change pas ton rêve. Change le monde ». C’est également cette année que l’on a vu pour la première fois les kits de football pour les 14 équipes féminines participant à la Coupe du monde conçus par Nike spécialement pour les joueuses et adaptés parfaitement au corps féminin. Auparavant, les femmes devaient toujours porter des versions de maillots conçus pour les équipes masculines. Enfin, des instances dirigeantes du foot, comme l’UEFA, et des banques d’investissement ont décidé de placer des millions dans le foot féminin au cours des années à venir15.

J’espère donc que 2019 et cette Coupe du monde de football féminin n’auront pas seulement marqué les esprits, mais marqueront aussi le début d’une vraie féminisation du foot, dans lequel les inégalités et le sexisme n’y ont plus leur place. Je souhaite que les jeunes filles de mon village et toutes les autres à travers le monde puissent se mettre au foot sans aucun obstacle quand elles en auront envie et que plus personne ne pensera que le foot est uniquement une affaire de garçons.

 


[1] https://www.alternatives-economiques.fr/hommes-ont-freine-lessor-foot-feminin/00089600

[2] http://www.dickkerrladies.com/index.htm

[3] http://www.thefa.com/womens-girls-football/history

[4] https://www.mouv.fr/societe/le-foot-feminin-en-chiffres-350973

[5] https://www.courrierinternational.com/article/football-aux-pays-bas-les-internationales-payees-cinq-fois-moins-que-les-hommes

[6] https://www.courrierinternational.com/article/sport-coupe-du-monde-2019-le-monde-sinteresse-enfin-aux-footballeuses

[7] https://www.courrierinternational.com/dessin/le-dessin-du-jour-coupe-du-monde-2019-les-footballeuses-americaines-veulent-la-parite

[8] https://www.courrierinternational.com/article/opinion-football-pour-les-joueuses-les-inegalites-salariales-sont-loin-detre-le-seul

[9]  https://www.theguardian.com/football/blog/2019/jul/04/womens-world-cup-protection-women-girls-football-afghanistan

[10] https://en.wikipedia.org/wiki/FIFA

[11] https://www.france24.com/fr/20190606-mondial-feminin-football-chiffres-coupe-france-etats-unis-competition

[12] https://www.courrierinternational.com/article/sport-coupe-du-monde-2019-le-monde-sinteresse-enfin-aux-footballeuses

[13] https://www.forbes.com/sites/robertkidd/2019/04/07/why-nike-believes-2019-is-a-tipping-point-for-womens-soccer/

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