International Le 25 juin 2014

Nigéria : la tardive et touchante mobilisation internationale

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Nigéria : la tardive et touchante mobilisation internationale

Une fosse commune creusée en mars dernier, après le mort de plusieurs centaines de personnes. En cause, des différends ethniques et religieux.
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Avant que le mondial de football ne domine la scène médiatique, le Nigeria a fait la une de l’actualité internationale pour le sordide enlèvement de plus de 200 jeunes filles par le groupuscule extrémiste Boko Haram.

Le prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka rappelle que les violences dans le nord du pays ne sont pas nouvelles ; Boko Haram est le résultat de décennies de conflits ethno-religieux.

Retour sur des années de pillages, enlèvements et exécutions sommaires, souvent passés sous silence par les médias occidentaux.

Fin du 19ème siècle : réservoir d’esclaves, de matières premières et terrain d’évangélisation par excellence, le delta du Niger est rapidement envahi par les Britanniques, qui s’y infiltrent dès 1860. Quarante-trois ans plus tard, en 1903, ils ont établi leur mainmise sur la région. Un système économique à l’occidentale est mis en place, faisant fi des différences ethniques et religieuses. Les bases d’un système fédéral sont posées et le pays voit émerger trois régions artificielles1 : le Nord, l’Ouest et l’Est2.

Source : FALOLA T, Violence in Nigeria : The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, Rochester, University of Rochester Press, 1998, p. xi.

Source : FALOLA T, Violence in Nigeria : The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, Rochester, University of Rochester Press, 1998, p. xi.

Le système fédéraliste permet la domination d’une ethnie dans chaque région : les Yorubas (chrétiens et musulmans) dans l’Ouest, les Ibos (chrétiens) dans l’Est et les Hausa-Fulani (musulmans) au Nord.

© nigerianmuse.com

© nigerianmuse.com

En 1960, l’indépendance du pays est déclarée. De 1962 à 1967, les coups d’État se succèdent, engendrant des remaniements régionaux : le Nigéria devient quadripartite en 1963, avant une réunification en 19663. À ce moment-là, l’élite bureaucratique est composée majoritairement d’Ibos. Ces derniers sont l’objet d’une haine féroce de la part de la population située au nord du pays qui se constitue en République du Biafra, en mai 1967 sous la direction du colonel Odumegwu Okujwu. Détentrice de 60 % des richesses du Nigéria (pétrole, gaz, charbon, bois tropicaux) et forte d’une population de quatorze millions d’habitants, cette petite république subsiste trois ans, avant d’être reconquise par le pouvoir central. Elle donne son nom à la guerre du Biafra, qui cause la mort de plus de deux millions de personnes, majoritairement décimées par la famine4.

Entre la fin de la guerre du Biafra (1970) et 1979, les coups d’État menés par les différentes ethnies s’enchaînent à un rythme effréné. Le général Olusegun Obasanjo est le dernier de cette période chaotique à accéder au pouvoir. Dans le but de casser cette dynamique destructrice induite par la géographie tripartite du pays, il crée douze, puis dix-neuf États.

 

Source : FALOLA T, Violence in Nigeria : The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, Rochester, University of Rochester Press, 1998, p. xii.

Source : FALOLA T, Violence in Nigeria : The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, Rochester, University of Rochester Press, 1998, p. xii.

Une nouvelle constitution est établie et l’élection présidentielle d’août 1979 mène au pouvoir Alhaji Shehu Shagari. Sa présidence sera marquée par une récession économique, une corruption endémique et l’expulsion de travailleurs étrangers5. Malgré tout réélu quatre ans plus tard, il est à son tour victime d’un putsch mené par des officiers supérieurs du régime.

Entre 1980 et 1985, les émeutes Maitatsine6, du nom de l’organisation islamique fondée par le prophète Marwa, originaire de la ville de Kano située au nord, provoquent la mort de dix mille personnes et des dégâts matériels immenses. Leur origine : l’islam fondamentaliste et les difficultés économiques qui gangrènent le pays7. Parallèlement, la haine entre musulmans et chrétiens s’accentue. Les divergences entre les deux religions s’expriment notamment dans leur volonté respective de dominer politiquement le centre du pays, où cohabitent des habitants issus des deux confessions.

En 1985, le général Ibrahim Babangida prend le pouvoir et le conserve jusqu’en 1993. Malgré la conclusion d’un accord avec le Fond monétaire international et des prêts octroyés par la Banque mondiale, la situation économique du pays reste catastrophique8. Le général souhaite redonner le pouvoir aux civils, mais conteste les résultats des élections qu’il a lui-même organisées. C’est finalement le général Sani Abacha, en novembre 1993, qui prend le pouvoir. Il abat une chape de plomb sur la vie politique du pays et interdit toute dissidence. En 1995, l’écrivain Ken Saro-Wiwa ainsi que huit responsables Ogoni sont pendus. En cause, leur combat contre l’exploitation pétrolière dans le delta du Niger, qui menaçait leur habitat9.

En 1999, un président est élu démocratiquement, en la personne d’Olusegun Obasanjo, chrétien de l’ethnie Yoruba. Malgré des réformes administratives massives et le retour de la croissance au Nigéria, le cycle de violence ininterrompu dans lequel s’est installé le pays gagne en puissance. Entre 2000 et 2002, douze États situés au nord du pays adoptent la charia, pourtant déclarée anticonstitutionnelle par l’État fédéral10. Les chrétiens établis s’y opposent. Résultat, ils sont massacrés.

Ces tueries deviennent quasi quotidiennes entre 2000 et 201011. C’est également au début des années 2000 que le mouvement Boko Haram fait son apparition sur la scène nigériane12, issu de la minorité Kanuri située dans le nord, soit 4 % de la population nigériane13. La suite de l’histoire est largement relayée par la presse occidentale : suite à la mort de son leader Mohammad Yusuf en 2009, la secte commet 164 attaques en deux ans, dont la majorité des victimes sont des musulmans14.

L’une des dernières en date, soit l’enlèvement de plus de 200 jeunes filles, a déchaîné les émotions, les tweets et selfies de célébrités, de la mine déconfite de Michelle Obama à la top-model Irina Shayk, version topless15.

Récemment, les États-Unis ont envoyé des militaires sur place, pendant que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a décidé de placer Boko Haram sur la liste noire des organisations terroristes soumises à des sanctions, en raison de son lien avec Al-Qaïda16.

Tiens donc, il semble que la communauté internationale a finalement décidé de soutenir logistiquement et moralement les Nigérians contre des groupuscules extrémistes qui sèment la terreur dans le pays. Mais pourquoi si soudainement, alors que le Nigéria survit dans un climat de violence endémique depuis des décennies ?

Peut-être parce que le lien entre Al-Qaïda et Boko Haram justifie-t-il une aide aux yeux de l’opinion publique ? Ou parce que les élections présidentielles prévues en 2015 dans le plus grand pays d’Afrique seraient susceptibles de mener à un déferlement de violence inégalé dans une énième lutte ethnique pour le pouvoir ? Ou tout simplement parce que le pays est le treizième producteur mondial de pétrole et que les firmes pétrolières Total (France), Chevron (USA), ExxonMobil (USA), Nexen (Canada) ou encore Shell (Pays-Bas) implantées dans le pays, verraient leurs investissements fortement menacés en cas de guerre interne ?

Autant de questions qui semblent déjà dépassées, alors que le football, l’Irak ou encore le vol du dossier médical de Michael Schumacher font désormais la une des médias européens.

On ne sait aujourd’hui toujours pas ce qu’il est advenu de ces jeunes filles.

 


1Ces trois régions n’existent plus aujourd’hui.

2FALOLA T, Violence in Nigeria: The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, Rochester, University of Rochester Press, 1998, p. 53.

3Larousse, Nigéria : histoire, http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Nigeria_histoire/187409, consulté le 20.05.14.

4Larousse, République du Biafra, http://www.larousse.fr/encyclopedie/autre-region/République_du_Biafra/108812, consulté le 22.05.14.

5Op.Cit., Note 1.

6FALOLA T, Violence in Nigeria : The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, Rochester, University of Rochester Press, 1998, p. 137, http://books.google.ch/books?id=4X4oYdPpXGQC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false, consulté le 22.05.14.

7Op.Cit., note 4, p. 138.

8Ibrahim Babangida, Encyclopaedia Britannica, http://www.britannica.com/EBchecked/topic/47357/Ibrahim-Babangida, consulté le 25.05.2014.

9GOUESET C., Chronologie du Nigéria, in L’Express, 06.05.2010, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/chronologie-du-nigeria-1960-2010_763016.html, consulté le 25.05.2014.

10SAMSON D, Nigéria, Le gouvernement déclare la charia anticonstitutionnelle, in rfi,

11CUTLER D., Factbox : Ethnic and Religious unrest in Nigeria, in Reuters, 18.06.2012, http://www.reuters.com/article/2012/06/18/us-nigeria-violence-religion-idUSBRE85H16320120618, consulté le 25.05.2014.

12VICKY A., Aux origines de la secte Boko Haram, in Le Monde diplomatique, avril 2012, http://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/VICKY/47604, consulté le 27.05.14.

13DIFFALAH S., Comment Boko Haram déploie sa stratégie de chaos, in Le Nouvel Observateur, 06.05.2014, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140506.OBS6222/nigeria-comment-boko-haram-deploie-sa-strategie-de-chaos.html, consulté le 20.05.14.

14Op.cit., note 11.

15BUCKLAND L., #Bringbackourgirls: Irina Shayk posts TOPLESS picture as she joins campaign to return kidnapped Nigerian schoolgirls, in Mirror, 12.05.2014, http://www.mirror.co.uk/3am/celebrity-news/irina-shayk-topless-picture-joins-3531632, consulté le 27.05.2014.

16DE BAUDOUIN E., Nigéria : USA et ONU au secours des lycéennes enlevées par Boko Haram, in alteia, 23.05.2014, http://www.aleteia.org/fr/international/article/nigeria-usa-et-onu-au-secours-des-lyceennes-enlevees-par-boko-haram-6400882790891520, consulté le 27.05.2014.

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