Critique Médias Le 6 mars 2020

Non, le nouveau coronavirus (Covid-19) n’est pas une grippe banale

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Non, le nouveau coronavirus (Covid-19) n’est pas une grippe banale

Le coronavirus (Covid-19) est désormais bien implanté en Europe et sa propagation se poursuit en Suisse. Sans catastrophisme, Tristan Hertig affirme dans cet article que certains journalistes s’entêtent à minimiser l’épidémie, en continuant par exemple à la comparer à une grippe saisonnière. « Ne pas vouloir créer de toute pièce un climat anxiogène est une noble volonté, écrit l’auteur, mais donner la priorité à des injonctions à rester calme plutôt qu’à des informations factuelles est beaucoup plus discutable. »


 

Depuis maintenant en tout cas deux mois, il est devenu impossible de passer à côté. Le coronavirus est le sujet de préoccupation numéro un en Suisse, en Europe et dans le monde entier. Face à cela, une large partie de la presse helvétique semble avoir fait le choix éditorial de rassurer coûte que coûte, quitte à mettre une partie des faits et des expertises entre parenthèses. Le Covid-19 n’est pas la pandémie apocalyptique du millénaire, mais il est peut-être temps d’arrêter de le sous-estimer, en le comparant par exemple régulièrement à une grippe saisonnière comme une autre.

Le 23 janvier dernier, aux alentours de 3h du matin (heure de Pékin), le gouvernement chinois annonçait qu’il allait mettre en quarantaine la ville de Wuhan, une mégalopole de près de 11 millions d’habitants. Quelques jours plus tard, c’était au tour de la province du Hubei, forte de 56 millions de résidents, d’entrer à son tour dans un lockdown généralisé sans précédent.

Ces mesures inédites ont sans surprise attiré l’attention du Globe, avec son lot d’analyses à l’emporte-pièce et de théories du complot. Le virus serait une arme biologique créé par le Parti communiste chinois pour perturber l’économie mondiale, ou alors le fruit d’une expérience ratée dans le fameux laboratoire secret P4, ou encore, à l’opposé, le résultat d’une attaque américaine censée paralyser Pékin, rival géostratégique toujours plus pressant.

Sans jamais réussir à contenir ces folles rumeurs (comment faire, face à la puissance des réseaux sociaux ?), la presse traditionnelle est heureusement rapidement entrée en piste pour démentir et démolir, autant que possible, ces spéculations conspirationnistes. Revers de la médaille, en voulant recentrer le débat vers le rationnel, de très nombreux journalistes ont basculé dans la problématique inverse, en minimisant – sans doute par maladresse – la gravité de cette crise sanitaire.

 

« La grippe saisonnière est plus meurtrière, rappelons-le »

Alors que les premières infections étaient répertoriées sur le Vieux Continent, en France et en Allemagne notamment, c’est une sorte de déni cognitif qui s’est emparé d’une partie du monde médiatique. Pour ne pas trop inquiéter les lecteurs, les auditeurs et autres téléspectateurs, et sans doute aussi pour se réconforter un peu soi-même, des médias, parfois à la limite du paternalisme, ont décidé d’apaiser les consciences en utilisant à tort et à travers un florilège de comparaisons n’ayant pour seul point commun qu’un manque de signification évident. L’élément de langage qui a très vite gagné en importance pour relativiser la propagation de plus en plus mondialisée de cette épidémie a pris la forme d’une affirmation si répétée qu’elle s’est, elle aussi, métamorphosée en un virus contagieux : la grippe saisonnière serait plus meurtrière. Et de sortir des tableaux Excel de derrière les fagots pour nous expliquer pourquoi il ne fallait pas s’inquiéter, alors même que le nouveau coronavirus n’en était qu’à ses premiers pas et que les experts du monde entier admettaient volontiers leur ignorance toute logique face à un phénomène si neuf.

Une méthode Coué que certains journalistes ont aussi employée avec des professionnels du corps médical. « Rappelons-le, docteur, la grippe saisonnière tue beaucoup plus de personnes chaque année » ; « rappelons-le, Madame la spécialiste, ce virus n’est pas vraiment létal » ; « rappelons-le, Monsieur le virologue, le Covid-19 n’est dangereux que pour les seniors ».

En fait-on trop, n’en fait-on pas assez ? La question est légitime. Avec une situation en perpétuelle évolution et un flot d’informations presque sans précédent, il convient de reconnaître qu’il n’est pas toujours facile de trier le vrai du faux, plus encore lorsqu’on n’a pas fait de longues études en virologie ou en épidémiologie.

Ne pas vouloir créer de toute pièce un climat anxiogène est une noble volonté, mais donner la priorité à des injonctions à rester calme plutôt qu’à des informations factuelles est beaucoup plus discutable. Cela fait maintenant plus d’un mois que l’OMS a classé le Covid-19 comme une « urgence sanitaire de portée internationale » et pourtant, à l’heure où ces lignes sont rédigées, une frange non négligeable de personnalités publiques continue à moquer les inquiétudes et à dénoncer, notamment sur les réseaux sociaux, une « psychose », de la « paranoïa », voire un climat de « panique généralisée ». Parmi ces apôtres de la positive attitude, se cachent parfois des journalistes scientifiques, mais plus souvent encore ces derniers jours, des journalistes sportifs, sans doute déçus de se voir bien malgré eux dans une sorte de chômage technique après le report forcé de nombreuses compétitions.

Encore une fois, et il est important d’insister là-dessus, vouloir éviter le chaos et des peurs trop irrationnelles est un objectif on ne peut plus sensé. Nous sommes pourtant actuellement très loin de ce scénario. Alors oui, les gens stockent des denrées alimentaires non-périssables et cherchent à obtenir des masques de protection et des solutions hydro-alcooliques. Avouons toutefois qu’on n’a pas le sentiment en se baladant dans les rues de Suisse, d’assister à la fin du monde. Les gens ne deviennent pas fous. À Genève, à Lausanne ou encore à Fribourg, pas de scènes de pillage ou de comportements inappropriés. Au contraire, les Suisses ont l’air d’avoir la tête bien sur les épaules. C’est une hypothèse, mais peut-être qu’en leur répétant en boucle de « se calmer » ou de ne « pas paniquer », ils vont vraiment se mettre à le faire ?

Et puis, notons-le, une légère inquiétude n’est pas dangereuse. Au contraire, elle permet aux gens de s’adapter et de se responsabiliser.

 

Le déni est plus dangereux que « la panique »

Peter Sandman, consultant en communication des risques à l’Université de Princeton, explique qu’en cas de crise, le déni est un problème plus important que la « panique » dont on ne cesse de parler : « Lorsque les gens prennent conscience d’un risque, ils réagissent le plus souvent de manière excessive. Ils font soudainement preuve d’une hypervigilance et vérifient davantage l’environnement dans lequel ils se trouvent. »1

« Mais cette réaction souvent précoce face à une crise potentielle est extrêmement utile. Comme tous les autres réflexes, elle nous protège. Après être passé par ce stade, les gens deviennent plus calmes et sont plus à même de faire face à une crise (…) Il est plus avantageux que les gens aient cette réaction trop tôt plutôt que trop tard. La communication des médias et des autorités publiques doit accompagner cette réaction et non pas chercher à aller à son encontre », insiste le consultant.2

Et d’ajouter : « Le vrai problème, ce n’est pas la panique, c’est le déni. Le déni n’est pas utile dans la mesure où les personnes qui le pratiquent ont tendance à ne pas prendre suffisamment de précautions. »3

 

Le Covid-19 est huit à dix fois plus meurtrier que la grippe

Enfin, concluons peut-être en expliquant l’état des connaissances actuel sur la dangerosité de ce nouveau virus. Sur Twitter, en quelques clics, il est possible de trouver des listes de spécialistes du monde entier, ou d’en assembler soi-même, pour avoir une vue panoramique de l’évolution de la situation au jour le jour.

Contrairement à ce que peut parfois faire penser la couverture médiatique, le consensus des plus éminents virologues et autres professionnels du secteur médical est relativement clair. Le Covid-19 a les mêmes capacités de propagation que la grippe et il est plus meurtrier.

Concernant les chiffres de mortalité, il reste actuellement extrêmement difficile de se prononcer. D’abord, comme nous le rappelions, le contexte est mouvant et la situation change d’heure en heure. Le nouveau coronavirus peut créer des complications graves et à certaines occasions, aller jusqu’à entraîner la mort, mais dans la grande majorité des cas, il reste bénin. Pour cette raison, un nombre conséquent de personnes infectées ne sont tout simplement pas diagnostiquées, ce qui a pour conséquence de minimiser le taux de propagation et de surestimer le taux de mortalité. Dans ces conditions, les épidémiologues et autres virologues restent prudents en évitant tout sensationnalisme. C’est pour cette raison que, dans la plupart des cas, ils se basent sur la fourchette la plus basse possible du taux de mortalité. Celle-ci oscille entre 0,8 et 1%.

Comme le rappelait lors d’une conférence Marcel Salathé, professeur associé en épidémiologie digitale à l’EPFL, le taux de mortalité moyen de la grippe saisonnière est de 0,1%. Dans le meilleur des cas, le Covid-19 est donc 8 à 10 fois plus meurtrier qu’une grippe classique.4 Pour Marc Lipsitch, professeur d’épidémiologie à l’Université de Harvard, le « scénario le plus probable » en l’absence de vaccin est que le virus touche, à un moment ou à un autre, 20% de la population adulte mondiale. Ce chiffre pourrait même monter à 60% si des mesures fortes de lutte contre la propagation n’étaient pas prises, ce qui n’est pas le cas.

Pour arriver à de telles données, le spécialiste se base sur deux éléments : un taux de propagation qui se rapproche des pandémies grippales du XXème siècle et des modèles mathématiques établis. Enfin, s’il parle uniquement de « population adulte», c’est parce qu’il admet une inconnue sur la population enfantine. Les cas d’enfants contaminés à travers le monde sont en effet actuellement très rares. Sans connaître l’origine de cette exception, l’épidémiologue estime que cela peut vouloir dire deux choses : soit les enfants ne sont pas infectés, soit ils le sont, et sont capables d’être des transmetteurs, mais ils développent des symptômes trop faibles pour qu’on puisse les détecter.5

La crise est donc sérieuse et Daniel Koch, responsable de la division Maladies transmissibles à l’OFSP, ne s’y trompe pas lorsqu’il évoque lors d’une conférence de presse une situation « grave ».6

La mortalité diffère bien entendu selon les générations. Les seniors sont la population à risque, avec des probabilités de complications sévères beaucoup plus hautes que pour les personnes plus jeunes. Mais répéter cela en boucle dans le but de rassurer n’est pas très responsable. La Suisse compte environ 1,5 million de personnes de plus de 65 ans, soit près de 17% de la population totale.7 La prévention doit évidemment se centrer sur cette génération mais elle doit dans le même temps être inclusive, et s’adresser à toutes les classes d’âge. Car chaque individu est susceptible de contracter le virus et donc, de le transmettre.

Depuis plusieurs semaines, des dizaines voire des centaines d’articles et d’interventions de professionnels soulignent que « rassurer pour rassurer » n’est pas la mission utile en soi. Malgré les avertissements, la tendance à la sous-estimation du phénomène se poursuit.

Enfin, j’invite les plus sceptiques, que cet argumentaire n’aurait pas convaincu, à se poser une question. Si ce virus n’était pas plus dangereux qu’une « simple grippe », les autorités chinoises auraient-elles décidé de mettre en quarantaine près de 60 millions d’habitants et de paralyser presque l’entier du pays, soit 1,4 milliard d’habitants ? Les pays voisins auraient-ils décidé de fermer leurs frontières terrestres ? Les compagnies aériennes auraient-elles décidé de suspendre leurs vols vers la Chine ? La Confédération aurait-elle pris la décision d’interdire toutes les réunions de plus de 1000 personnes ? Vous avez sans doute la réponse.

Arrêtons donc d’inciter la population à « se calmer » et incitons-la plutôt à être responsable et à continuer à suivre les directives de l’OMS et de l’OFSP.

 


1. SANDMAN, Peter : « On Human Reactions to Risk and Why Denial is a Bigger Problem than Panic”, in Nieman Foundation for Journalism at Harvard, URL: https://nieman.harvard.edu/wp-content/uploads/pod-assets/microsites/NiemanGuideToCoveringPandemicFlu/CrisisCommunication/HowDoPeopleReactInAPandemic.aspx.html

2. Idem.

3. Idem.

4. SALATHE, Marcel : Conférence de l’EPFL « Prof. Marcel Salathé (GHI, SV) on Coronavirus », URL : https://www.youtube.com/watch?v=mYTQI2DvAfo&t=1806s.

5. LIPSITCH, MARC : « The Coronavirus Isn’t Going Away”, in Deep Background with Noah Feldman, URL: https://podcasts.apple.com/us/podcast/the-coronavirus-isnt-going-away/id1460055316?i=1000466938203

6. KOCH, Daniel : Conférence de presse de l’OFSP du 4 mars 2020 : URL : https://www.youtube.com/watch?v=wNnfC2hoftU.

7. Ns : « Trois millions de seniors de plus de 65 ans en 2060, un marché qui vaut de l’or », in RTSinfo,  URL : https://www.rts.ch/info/suisse/7639555-trois-millions-de-seniors-de-plus-de-65-ans-en-2060-un-marche-qui-vaut-de-l-or.html

 

Commentaires

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Michèle

Une analyse intéressante de comportements. Déni ou panique, trouver le juste milieu et la juste attitude face à ce nouveau…

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Julien

Comment faire tomber des bourses et comment faire de la publicité pour des laboratoires. Des nouveaux virus viennent tous les…

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Michèle

Une analyse intéressante de comportements. Déni ou panique, trouver le juste milieu et la juste attitude face à ce nouveau fléau qui nous inquiète beaucoup dans la mesure ou nous ne sommes pas des scientifiques chevronnés. le vrai problème au fond est l’absence de certitudes, l’absence de connaissances sûres, les inconnues énormes face à ce nouveau virus, alors oui se sentir « menacé » est légitime et adopter des attitudes d’auto-conservation n’est pas répréhensible, je partage le point de vue de Tristan Hertig.

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Julien

Comment faire tomber des bourses et comment faire de la publicité pour des laboratoires.

Des nouveaux virus viennent tous les jours. La pharmaceutique n’est pas du tout prêt et l’être humain s’autodétruit.

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