Société Le 1 juillet 2013

« Payez vos stagiaires » !

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« Payez vos stagiaires » !

© GIA

Stage de 6 mois à l’ONU : le rêve.
5 jours / semaine ; 8 heures / jour : normal.
Activité non-rémunérée : pardon ?

 

Alors que depuis quelques années le Bachelor en Relations Internationales de l’Université de Genève connaît un succès phénoménal, le secteur, lui, semble en crise. En effet, en particulier dans ce domaine, une majorité de stages ne sont pas payés (dans certains cas, ils sont faiblement indemnisés). La plupart des ONG, organisations internationales et missions, malgré qu’elles se battent pour de nobles valeurs telles que la paix, la justice sociale, l’égalité ou le développement, ont en fait du mal à suivre leur propre protocole… même si certains employeurs tentent de se justifier en combattant les clichés : « Certes on ne paie pas, mais chez nous, au moins, vous ne ferez pas de photocopies, ni de cafés. On est reconnu pour être très formateur »1. Ah oui ? Et vous êtes aussi reconnus pour être très exploiteurs ? Parce que lorsque le travail est substantiel, il a d’autant plus le mérite d’être gratifié.

Jeudi dernier 20 juin 2013, la campagne « Payez vos stagiaires »2, lancée par « l’Association des stagiaires de Genève (GIA) »3, a mobilisé près de 100 partisans sur la fameuse place de la « Chaise cassée » en face du Palais des Nations. Coordonné par la « Coalition internationale pour des stages équitables »4, le mouvement a lieu à Genève, mais aussi à New York et Londres. Il s’agit des principales villes où la concentration des activités autour de la politique internationale permet de profiter du taux de chercheurs d’emploi largement plus élevé que les places à pourvoir. Mais « l’exploitation » des stagiaires est un fait qui s’étend à bien d’autres villes comme Vienne, La Haye ou Washington5.

Ainsi le problème se globalise, et dans le même temps, les termes s’officialisent. « Internship generation », « Generation Praktikum », « Génération stagiaire » deviennent des histoires réelles. Depuis les années 90, les étudiants fraîchement diplômés de l’université commencent à faire un premier stage dans l’optique de se faire embaucher par la suite. Sauf que ce n’est que rarement le cas. La situation économique n’est pas prospère et les patrons ont vite compris qu’en ne rémunérant pas les stagiaires, ils font des économies et que, de tout façon, ils trouveront toujours des jeunes qui cherchent une première expérience professionnelle à la fin de leurs études. Ces jeunes, au passage, sont titulaires au minimum d’un Bachelor, souvent d’un Master, et parfois d’un Doctorat. De plus, il n’est pas rare que certains se soient même endettés pour financer leurs études et le fait d’effectuer un stage « gratuitement » contribue à peser sur leurs dettes. Après le premier stage qui n’a pas débouché sur un emploi, ils se retrouvent au chômage… Mais étant donné que « chômage » a une connotation négative, on se dit qu’il vaut mieux refaire un deuxième stage. Et c’est parti ! A partir de ce moment, on n’est plus à un stage près. D’autant plus qu’une lacune dans le CV, ça ne le fait pas non plus, alors on y va pour un troisième. Le tout non rémunéré.

Cependant, en France, le débat de la sous-enchère à travers les stages fait presque partie du passé déjà. Grâce au système des conventions, c’est-à-dire que les entreprises signent un contrat établi par une université ou une école et un étudiant, on évite que les jeunes se fassent exploiter d’une part, et qu’ils entrent dans le cercle vicieux de l’enchaînement des stages d’autre part. Ainsi, le fait de ne pas rémunérer les stagiaires est « justifié » par le fait qu’ils sont étudiants et que l’expérience fait partie de la formation. En tout cas, il est difficile de trouver un stage sans convention. Et mieux encore, à l’été 2011, le progrès continue avec l’adoption de la « loi Cherpion ». Désormais, après le deuxième mois de stage, une rémunération d’un peu plus de 400 euros est obligatoire.

Or partout ailleurs, le cercle vicieux semble toujours difficile à briser. La transition entre les études universitaires et le monde professionnel reste problématique. Et finalement, au-delà du débat sur l’exploitation, le secteur des relations internationales en ouvre un autre. Au niveau gouvernemental plus particulièrement, les organisations internationales comme l’ONU ont déjà la réputation d’être composées par une sorte d’élite (« fille ou fils de ») et elles proposent des stages qui ne permettent pas de se prendre en charge –même pas en partie– alors que financées par les États, elles ont des moyens. Leur accès est donc restreint. Encore une fois, contrairement aux valeurs qu’elles promeuvent, où est passée l’égalité des chances ? Pas sûr que tout le monde puisse s’offrir des stages non rémunérés pour seulement tenter de se faire une place au sein de ce milieu si convoité.

 


[1] Entendu de mes propres oreilles.

[2] Traduction de « Pay your interns », nom original.

[3] Traduction de « Geneva Interns Association » (GIA), nom original. Pour plus d’infos : @GIAInterns

[4] Traduction de « Coalition for Fair Internships » (ICFI), nom original.

[5] Source : GIA

Commentaires

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chente fou

ca ce n'est pas grave il faut voir et habiter dans le mexique; la compagnie ne paie rien et l@…

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Aline

Bon point sur le cadre juridique qui, en fait, justifie de façon perverse "l'exploitation". Après, le cercle vicieux qui se…

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Aline

Bien que les étudiants n'aient pas forcément toutes les compétences requises, cela ne justifie absolument pas un salaire nul. Tout…

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chente fou

ca ce n’est pas grave il faut voir et habiter dans le mexique; la compagnie ne paie rien et l@ stagiaire doit faire le ménage tous les jours ahh et j’ai oublié il y a heure d’entrée mais pas de sortir (12 heures ou plus de travail)

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Nicolas

Bonjour,

Il me semble que justement en France, les stages ne sont rémunérés qu’à partir de 2 mois de travail et les conventions de stage n’existent que pour la simple et bonne raison qu’une rémunération de 400€ / mois est nettement inférieure au salaire minimum.
En conclusion, comme aucune entreprise n’a le droit de vous rémunérer si faiblement, on a créé ce cadre juridique justifiant un salaire bas. L’idée étant donc au final :  » Demandez à votre école une convention pour qu’on puisse légalement vous exploiter « .
Après c’est sûr que c’est toujours mieux qu’un stage qui n’est absolument pas rémunéré mais ça rajoute des barrières à l’obtention du stage car (et là c’est du vécu), si votre école n’est pas enclin à vous donner une simple feuille pour une raison x ou y vous n’avez plus que les yeux pour pleurer.
En l’occurrence, un ami qui cherchait un stage, a bataillé pendant 1 mois pour avoir sa convention (alors même qu’il avait trouvé une entreprise qui voulait bien de lui) car, soit les profs ne répondaient pas à ses mails, soit ils considéraient que  » non, les stages l’été c’est de l’exploitation, alors on ne signe pas la feuille « . Dans ce genre de situation, on se passerait bien volontiers d’une stupide feuille signée. Voilà pour la petite anecdote.

Bonne continuation!

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Aline

Bon point sur le cadre juridique qui, en fait, justifie de façon perverse « l’exploitation ».

Après, le cercle vicieux qui se dessine: un stage faiblement rémunéré, c’est mieux qu’un stage non payé. Et puis le pire, c’est quand un stage non payé, c’est mieux que rien.

Merci beaucoup d’avoir partagé ton expérience et celle d’un ami. Les témoignages ont beaucoup de valeur. On comprend bien que le système en France crée des blocages et il faudrait donc y réfléchir à deux fois avant de le considérer comme éventuel « modèle ».

Bonne continuation à toi aussi.

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Yann K.

Astérix marque un point pertinent je pense : trop nombreux sont les étudiants issus de cursus type SES dont les « skills » ne correspondent pas à ce que le monde du travail (publique ou privé) attends. Dans ce sens-là, il est justifiable que le salaire soit bas – voire nul, si on compte l’aspect formateur, qui est indéniable. On peut pousser la comparaison plus loin en disant que ce genre de stage, comme un diplôme universitaire, permet d’ajouter de solides acquis sur le CV tout en étandant le domaines des compétences (ici pratiques plus que théoriques).

Fondamentalement, je pense qu’on ne peut « reprocher » aux OIs et ONGs de ne pas payer leurs stagiaires. Celles-ci sont sérieusement contraintes dans leurs budgets par « ce que les Etats veulent bien leur donner », et ne cherchent pas non plus à faire des gains financiers : la comparaison avec une entreprise privée dont le patronat cherche le profit est donc fortuite.

Forcer les OIs et ONGs à payer leurs stagiaires pourraient sérieusement diminuer leur capacité à employer ces derniers (une allégation qui demanderait vérification), ce qui est au final nuisible pour tout le monde. Ajoutons finalement que ces organisations produisent un bien public : pouvoir augmenter leurs capacités en employant, voire exploitant des stagiaires est tout-à-fait justifiable d’un point de vue de leur apport à la société.

Le véritable problème là-derrière, c’est surtout que ce système, de facto, favorise les gens qui en ont les moyens (comme nous les Suisses), comme le dit l’article (les filles ou fils de). Et donc encourage une certaine reproduction sociale qui ne reflète pas les capacités de tout à chacun.

En conclusion, plutôt que de payer tous leurs stagiaires, les OIs et ONGs devraient surtout chercher à encourager ceux dont les moyens les restreints à postuler, avec par exemple des systèmes de bourses.

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Aline

Bien que les étudiants n’aient pas forcément toutes les compétences requises, cela ne justifie absolument pas un salaire nul. Tout travail mérite salaire. Après, si on prend en compte l’aspect formateur, peut-être que l’on peut justifier que la rémunération soit faible.
Pousser la comparaison plus loin en voyant les stages non payés comme un diplôme universitaire est éventuellement tenable si elle fait partie intégrante du cursus. Sinon, on retombe sur des problèmes comme l’impossibilité de se prendre en charge (même seulement en partie) après les études…

Je crois aussi qu’il faut faire attention à ne pas mettre les OIs et ONGs dans le même panier. Les premières sont financées par les Etats, et ne sont pas si restreintes dans leurs budget. Triste exemple, l’ONU a voté à l’interne qu’un stage n’est pas considéré comme un travail. Ainsi, si stagiaire est engagé pour un projet qui aurait totalement les moyens de le rémunérer, cela ne se fera pas car c’est interdit… Par contre, effectivement beaucoup d’ONGs sont certainement restreintes par leur finances. Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait d’accord que tout ce secteur est incomparable avec le privé.

Finalement, nous sommes d’accord sur le problème de fond: la sélection sociale. Tu as raison, il faut commencer à réfléchir à des solutions et les bourses en sont sûrement une en partie.
Merci beaucoup pour ton commentaire.

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Astérix

Le problème majeur de nos chers amis universitaires c’est qu’ils oublient souvent qu’être titulaire d’au minimum un Bachelor, Master ou Doctorat ne fait pas tout. Ces jolis bouts de papiers n’attestent que du fait d’être capable d’appliquer une certaine méthodologie ainsi qu’un sens de réflexion (plus ou moins élevé selon l’étudiant).
Malheureusement il faut bien se rendre compte qu’avoir étudié durant 3,5 ans ou plus ne fait pas de ces jeunes gens des personnes « réellement » prêtes au monde du travail.
Sur le font en tout cas je suis pleinement d’accord que tout travail quelqu’il soit mérite salaire.

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Aline

En effet, l’université est connue pour être théorique (contrairement aux Hautes écoles, par exemple).Même si de plus en plus de cursus incluent des stages, ce qui permet d’acquérir de la pratique.
Mais tout de même, au fond les générations des diplômés universitaires qui ont aujourd’hui 35 ans et plus n’avaient pas de si grandes difficultés à s’insérer dans le monde du travail et à se faire former sur le tas. Je crois vraiment qu’il y a eu un tournant entre les générations.
Merci d’avoir donné ton opinion.

Aline

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Astérix

Il y a effectivement eu un tournant entre les générations. Cependant, je pense que les jeunes diplômés ont également pris en virage en revendiquant peut être un peu vite des prestations salariales élevées. Je suis moi même issu d’une HES et avant de trouver un emploi fixe je suis passé par un stage (faiblement rémunéré) mais celui-ci m’a permis de revendiquer des acquis « concrets ». Les études sont un bagage aux jeunes diplômés de les bonifier en acceptant qu’il est également nécessaire de s’aguerrir professionnellement.
Joli sujet de discussion et bravo à Jet d’encre!

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Yann K.

N’oublions pas aussi que la part d’étudiants sortis du tertiaire a littéralement explosé dans le monde entier, Suisse comprise. Les étudiants d’il y a 30 ans étaient beaucoup moins exposés à la concurrence. Et ce, en particulier sur les organisations à visée internationale, où le nombre d’étudiants issus d’ex-pays en voie de développement a augmenté exponentiellement.

Cette augmentation tend inévitablement à faire baisser les prix (les salaires), tout en tirant la qualité (des travailleurs) vers le haut. Donc socialement parlant, c’est sûrement une bonne chose, même si effectivement, cela signifie que les étudiants d’aujourd’hui issus de pays riches – comme la Suisse – sont moins biens lotis que leurs ancêtres d’il y a 40 ans, qui bénéficiaient en quelques sorte de « monopoles ».

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Rebucci

Je suis désolé de constater la réalité que tu nous as dépeinte ici… Moi qui suis intéressé par des études en Relation International ne peut qu’être hésitant quant à mon futur choix. Et je cite seulement RI mais c’est une réalité certaine – moins flagrante – dans d’autres domaines aussi.
Et j’avais entendu les rumeurs du pistonnage 7500cm3 qui fallait avoir pour entrer à l’ONU, et apparemment l’autre solution serait de leur offrir notre temps en stage non rémunéré pendant plusieurs années (ironie) pour enfin se faire engager. Cela serait vraiment intéressant de comprendre par quelle phénomène historique cette organisation oeuvrant au respect des droits de l’Homme et à l’égaliter entre tous en est arrivée à être aussi selective et aussi dure d’approche pour de jeunes gens souvent très motivé et aspirant à une carrière dans le domaine international. Bref, bonne chance et belle vie.

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Aline

Tu as raison, cela touche aussi d’autres domaines tels les médias ou le cinéma. Il serait d’ailleurs très intéressant d’en savoir plus là-dessus.
En ce qui concerne ton hésitation pour ton choix de carrière, il est tout à fait rationnel de s’inquièter des débouchées. Mais comme tu le dis si bien aussi, beaucoup de jeunes sont très motivés et leur passion est plus forte. Si c’est ton cas, n’hésite pas.
Merci d’avoir partagé ton point de vue.

Aline

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