
Dessin de Banksy
Ce texte est une réponse à « Boycotter Israël maintenant », un article écrit par Sylvain Thévoz et publié sur www.jetdencre.ch le 8 juillet 2014. « Pour une neutralité militante dans le conflit israélo-palestinien » vient compléter la première partie de la réponse publiée le 10 juillet 2014 sous l’intitulé « “Boycotter Israël ou pas?” Not the good question ».
L’indignation seule n’est pas pragmatique
Comme de nombreux blogueurs ou journalistes, je pourrais dresser un tableau accablant d’Israël, l’accuser de tous ses torts, de son abus de pouvoir, de sa politique d’apartheid et d’aliénation de la Palestine, de son monopole croissant des ressources en eau, des destructions de maisons et citernes, de l’humiliation permanente faite aux Palestiniens, les passages de chekpoints souvent arbitraires malgré les possibilités d’autorisations, les milliers d’incarcérations sans preuve de culpabilité, les confiscations de terres, les settlers en quads qui provoquent les villageois West Bankers en effrayant leur bétail, les oliviers coupés, les puits asséchés, le bombardement à Gaza presque génocidaire ; comme je pourrais faire un portrait des Palestiniens de Gaza, de la corruption qui dissout les fonds internationaux dans les poches des autorités et les armes, oubliant les besoins de développement d’infrastructures hydrauliques, éducatives, médicales, leur manque de vision sociale et écologique, l’extrémisme religieux croissant, la condition de la femme, l’antisémitisme affirmé avec les croix gammées sur les murs, la croissance démographique irresponsable… Je pourrais épicer tout ça avec la haine et le mépris réciproques, incrustés dans la moelle épinière des deux camps. Tous deux feraient de magnifiques portraits-robots aux grands airs terroristes.
Et alors, selon l’audience, je pourrais être félicitée de ma « capacité d’indignation » d’un côté et invectivée de l’autre par tant de généralisation bornée. Je ne veux pas vous voir peindre avec un gros pinceau et une seule couleur, je veux que le tableau que nous dressons ensemble se rapproche de la réalité, et la réalité n’est pas juste une énumération des horreurs perpétrées par Israël. Promouvoir une vision globale et emphatique des deux côtés, aussi asymétriques soient leurs rapports, ne signifie pas que je suis indifférente aux injustices et à l’énorme dissymétrie dans ce conflit. L’indignation est là, mais elle n’est pas pragmatique. Je ne veux pas l’exprimer dans mon discours pour atteindre mon objectif, continuer le dialogue avec les Israéliens. J’espère m’être mieux faite comprendre que dans le premier article « Boycotter Israël: Not the right question ».
Un double exercice de compréhension
Pour comprendre Israël, son gouvernement, ses politiques, sa psyché, son identité, il faut chercher à comprendre en creusant au-delà de l’Holocauste. Beaucoup de juifs n’ont pas attendu la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour se rendre en « terre sainte » et désirer plus que tout devenir israéliens.
Il est aussi bien réducteur de penser que l’État d’Israël et ses citoyens agissent tels des enfants-rois de l’Europe et des États-Unis, savourant l’impunité en toute bonne conscience. Certes, la plupart des Israéliens se soucient plutôt de choisir la prochaine destination de vacances ou la prochaine soirée branchée, en ne faisant pas le lien entre leurs votations politiques, actes militaires et les crimes subis par les Palestiniens sur une base quotidienne. Beaucoup ne ressentent pas de culpabilité, surtout de la haine et de la peur. Les hommes passent trois ans à l’armée et deux ans pour les femmes. La crainte permanente de l’attaque terroriste et l’aliénation du Palestinien sur ces terres sont ancrées dans leur formation militaire. Les petites marionnettes palestiniennes antisémites qui passent dans un programme télévisé, qui encouragent les enfants à tuer les juifs lorsqu’ils seront grands, les plaquettes mémoriales invitant à la vengeance… Elles aussi font leur œuvre dans l’esprit des Palestiniens. C’est une spirale qu’il faut casser.
Je pense à ce serveur, que j’ai revu la semaine dernière, il vient d’avoir trente ans et a passé six ans de sa vie à défoncer des portes dans la West Bank, réveiller et violenter des familles chez elles en pleine nuit. Il a pété les plombs, quitté l’armée et est parti se perdre dans l’héroïne en Inde pendant deux ans, rongé par le dégoût de lui-même.
Je pense à ce journaliste Gideon Levy, qui s’est joint physiquement aux manifestations de libération palestinienne, et qui appelle à travers le journal quotidien Haaretz, dont il est un membre de direction, à la fin des colonies et à l’humanisation des Palestiniens. Considéré parfois par la droite comme un traître et un problème de sécurité nationale, il est pour d’autres Israéliens un éclairé, un acteur de la démocratie, qui permettrait à Israël d’arrêter de creuser sa tombe en même tant que celle des Palestiniens.
Il est bien trop facile de dire que le mur n’est qu’un instrument de pouvoir territorial, simple outil d’aliénation des Palestiniens. Il l’est, mais pas seulement, il est aussi une nécessité de sécurisation psychologique et réelle pour les Israéliens, surtout autour de la Bande de Gaza, malgré ce que d’autres soutiennent avec sincère conviction, comme René Backmann. Si le mur a été construit à Jérusalem et à Gaza, c’est parce que Israël était attaqué et que les autorités ont choisi d’assurer la sécurité de ses citoyens en commençant par une barrière physique. L’étouffement de Gaza est une mesure de contrôle de la menace, et son bombardement intensif celle de l’annulation de la menace. L’absurdité absolue réside dans la continuation des colonies illégales, mais elle n’est pas présente dans toutes les dimensions du conflit, comme l’opinion internationale tend à le crier avec indignation.
Une neutralité engagée: un paradoxe?
Je ne cherche pas à exonérer Israël de ses violations du droit international. Les colonies, illégales et insoutenables, doivent cesser, la plupart devrait être léguée aux West Bankers, au même titre que celles qui ont été abandonnées aux Gazaouis. La souveraineté des Palestiniens sur leurs terres, selon la frontière de 1948, rétablie. Je n’excuse pas l’humiliation, le cynisme des politiciens et des militaires et je n’accepte ni le mensonge, ni l’impunité. L’omission est grave, la désinformation est pire. Un petit exemple bien frais: l’autre soir sur BBC, un journaliste disait que les hôpitaux allaient manquer de médicaments d’une heure à l’autre car les Israéliens empêcheraient leur entrée dans la Bande de Gaza. Non, la Croix-Rouge a les autorisations et continue à amener massivement le matériel nécessaire dans les centres de soin, aussi débordés et saturés soient-ils.
Sylvain Thévoz appelle à choisir un camp. Je ne vais pas le choisir, j’opte pour une neutralité militante, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Je vous invite à faire l’exercice intellectuel et humain de communication auprès des gens que vous rencontrerez, en Israël, dans la West Bank ou de ce qu’il restera de Gaza. Les gens qui gardent, forcent et renforcent le contact avec les deux camps sont nécessaires. Je veux être de ces gens-là.
Un militantisme crédible
J’invite tous les médias, professionnels ou non-professionnels, à la rigueur des données, notamment dans les bilans de morts et de blessés et l’utilisation du terme de « Palestinien » relié à des nombres. À le lire trop souvent, un homme palestinien est un civil non-armé par défaut, et donc implicitement une victime illégitime dans un conflit armé. Dire « Palestinien » à la place de « militants qui prennent une part active à des violences armées », dire « enfant » à la place « d’adolescent de seize ans armé d’un cocktail molotov », est de l’omission qui mène à un tableau bien plus flou.
Je vous invite à ne pas tomber dans la facilité d’opinion, à la bonne foi scientifique dans la constitution des données, à vous extirper de la rhétorique de victimisation systématique de l’ « Israélien-juif » (je m’adresse surtout à la diaspora juive, aux Israéliens, aux États-uniens et « anti-musulmans » en tout genre) ou au contraire celle de victimisation du « Palestinien » (je m’adresse à la tendance générale de la communauté internationale, notamment européenne), se détacher de l’émotionnalité dangereusement efficace médiatiquement, pour qu’un vrai outil de dialogue puisse voir le jour.
L’exonération des Palestiniens des discours, des actes, objectivement hostiles, agressifs et ne faisant pas la distinction des cibles légitimes et illégitimes (l’euphorie manifestée lors du kidnapping des trois adolescents israéliens, même si beaucoup trop d’Israéliens l’ont connue aussi pour l’adolescent palestinien calciné) font que les Israéliens se sentent incompris dans leur souci d’auto-préservation, ce qui affaiblit l’effort de dialogue en décrédibilisant l’opinion internationale, votre opinion à vous, qui voulez apporter aide et soutien aux Palestiniens. Soyez pragmatiques! Il faut que les accusations envers Israël aient du sens pour les Israéliens, non pas qu’ils ressentent un sentiment d’injustice, de conspiration internationale antisémite. La montée de l’extrême droite xénophobe et Dieudonné n’ont pas aidé à l’affaire, accompagnés de l’exclusive sympathie aux Palestiniens, ils n’ont fait que pousser les Israéliens dans leurs convictions expansionnistes, d’agrandissement et de renforcement de leur État. À part les États-Unis, ils sentent le monde méprisant, indigné et contre eux comme jamais.
La neutralité, basée sur l’objectivité dans l’analyse des dynamiques et le droit international, est pragmatique et incontournable pour la compréhension et résolution d’un conflit aussi enlisé que celui-ci. La neutralité militante, avec ses grands yeux ouverts, joue un rôle essentiel de miroir. Les acteurs de ce drame historique doivent pouvoir se reconnaitre dans les accusations et les jugements extérieurs. La neutralité est une condition à une mise en perspective, à une véritable prise de conscience, à un changement profond d’attitude face au conflit et à la construction de la paix entre deux peuples destinés à coexister.
Bonjour, Votre discours part du postulat selon lequel israel justifie sa politique criminelle par son abnégation à se défendre... Je…