Politique Le 12 décembre 2015

Pourquoi nous sommes devenus de méchants gueulocrates

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Pourquoi nous sommes devenus de méchants gueulocrates

Ringarde, la démocratie… Place à la gueulocratie ! Obtenir des voix, c’est bien ; donner de la voix, c’est mieux. Plus de 70% des électeurs suisses ont voté pour des partis opposés à l’UDC. Même si le parti xénophobe a gagné onze sièges aux récentes élections fédérales, ses opinions ne sont partagées que par 29% des votants. C’est beaucoup, certes. Mais c’est tout de même beaucoup moins que 71%, non ? Eh bien en gueulocratie, cette arithmétique ne compte pas ! Comme d’ailleurs les autres exercices basés sur la raison, tels que cette réflexion si peu glamour ou ces échanges d’arguments si rasoir.

Même si elle est minoritaire, l’UDC impose son agenda, ses exigences, sa politique et ses hommes (ses hommes, car il n’y a guère de femmes chez les xénophobes, 11 députées sur 65). C’est lui qui gueule le plus fort, donc c’est lui le gagnant. C’est simple, la gueulocratie. Pas besoin de s’embêter avec des calculs. Le monde est compliqué ? Pas grave. On le transforme en truc tout simple, tout carré par la seule magie de la gueule. On n’est quand même pas là pour résoudre les problèmes, on est là pour surfer sur eux et rafler les bonnes places.

En France, même topo. La gueularde en chef du Front national a déjà gagné toutes les élections avant même d’y participer. Que va dire Marine ? Que va faire Marine ? Que pense Marine ? Que mange Marine ? Que boit Marine ? Que fume Marine ? Qui voit-elle ? Qui écoute-t-elle ? Que lit-elle ? Plus besoin d’élections. De toute façon, c’est sa politique qui sera appliquée, par elle ou par d’autres. Les médias servent de gueulomètre. Celui qui fait le plus de bruit, aura le plus de temps de gueule, donc le plus de pouvoir.

La gueulocratie sonne le grand retour de la méchanceté. Finies les jolies idées bien humanistes, toutes roses, toutes gnangnan. On peut enfin faire jaillir au grand jour nos idées bien brunâtres qui clapotaient tout au fond de notre mauvaise conscience. Désormais, je peux cracher sans vergogne sur les migrants qui crèvent au bord de nos richesses, sur ces salopards de pauvres trop bronzés, sur tout ce qui ne ressemble pas à mon petit moi si grand.

Restons simple puisque tout nous y engage. Pourquoi sommes-nous devenus des méchants gueulards ? Parce qu’il n’y a désormais plus de politique, mais que des professionnels de la politique qui sont là pour occuper le pouvoir et non en faire quelque chose. Ils ont déteint sur nous. Et voilà nos sociétés européennes transformées en vaste gueuloir.

L’ultracapitalisme galopant a pulvérisé tout ce qui pouvait lui faire obstacle et, en premier lieu, l’État, donc la politique. Retrouver les limites de cet État protecteur est voué à l’échec. Le temps de l’imperméabilité nationale est aussi révolu que le gramophone à pavillon. Il faudrait que se construise un autre type de souveraineté pour brider le cheval fou, une méta-souveraineté. L’Union européenne aurait pu en être une. Elle a raté le coche de l’Histoire. Plus rien à l’horizon, que ces gueulocrates qui l’ouvrent pour mieux nous enfermer dans des frontières fantasmatiques.

 

Pour décou­vrir d’autres textes sous la plume de Jean-Noël Cué­nod, n’hésitez pas à lire son blogue et à vous abon­ner à sa « Niouze Létaire du Plouc » à l’adresse jean-noel.cuenod@orange.fr. L’auteur vient par ailleurs de publier un livre de poé­sie inti­tulé Entrailles célestes dis­po­nible direc­te­ment chez l’éditeur Edilivre-Aparis.

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