Critique Médias Le 25 septembre 2015

« Slurp », l’histoire du lèche-culisme journalistique italien par Marco Travaglio

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« Slurp », l’histoire du lèche-culisme journalistique italien par Marco Travaglio

Un an jour pour jour après « È stato la mafia », le directeur du journal Il Fatto Quotidiano, Marco Travaglio, revenait samedi soir à Genève avec son nouveau spectacle « Slurp ». Une onomatopée éclairée par son sous-titre : « lèche-bottes, courtisans et penne à la bave ; la presse au service des puissants qui nous ont détruits ».

 


Coups de langue par-ci, coups de langue par-là

Fidèle aux expectatives, Marco Travaglio a régalé le public présent en nombre au Bâtiment des Forces motrices. Grâce à des citations piochées dans la presse italienne ces deux dernières décennies, « Slurp » proposait une histoire du « lèche-culisme » des dirigeants de la Péninsule par leurs compatriotes-journalistes. Et pour la reparcourir, nul besoin d’inventer ! Il suffit simplement de leur laisser la parole…

Silvio Berlusconi, Lamberto Dini, Romano Prodi, Massimo D’Alema, Giuliano Amato, Silvio Berlusconi bis, Romano Prodi bis, Silvio Berlusconi une troisième fois, Mario Monti, Enrico Letta et Matteo Renzi : les Italiens ont dû subir dix changements de président du Conseil en vingt ans1. Toutefois, ceci n’a pas empêché qu’ils passent tous, sans exception, sous les coups de langue d’une presse béatifiant ses dirigeants. Car comme le dit Travaglio, « les lèche-culs ne changent pas d’avis, juste de cul ». D’ailleurs, la situation en devient vraiment comique lorsqu’on s’aperçoit que les journalistes remerciant un nouveau Premier2 d’avoir chassé le précédent sont les mêmes qui remercient le suivant d’avoir chassé celui qu’ils encensaient. Connivence, dites-vous ?

Encore plus fragrant peut-être, le traitement médiatique réservé aux présidents et aux industriels est à se pincer pour y croire. Dans le journal Il Foglio par exemple, un « portrait » frisant l’érotisme de Luca Cordero di Montezemolo, président de Ferrari, est publié en avril 2014. Montezemolo est décrit comme « séduisant, mais méfiant », « enveloppé d’un léger parfum au citron », et son visage est « frappé d’un large sourire malicieux (…) et surmonté de la fameuse chevelure d’attrape-femmes ». Un joli coup de langue, qu’on se le dise.

Travaglio déniche également une demi-douzaine de lèche-bottes de compétition quand le président Giorgio Napolitano est réélu (par le Parlement…) en 2013 pour un nouveau mandat (à l’âge de 87 ans…) à la tête du pays (après les sept ans de « règne » lors de son premier mandat…). Il faut souligner ici que le Roi George avait précédemment déclaré publiquement ne pas vouloir se représenter ! Florilège :

– « Bien que cela ne plaise pas au principal intéressé, la sagesse et le bon sens, marchandises devenues très rares, devraient conseiller aux partis de réélire le 15 avril Giorgio Napolitano », Ferruccio de Bortoli.

– « Il y a des discours qui changent l’histoire d’un pays. Comme celui d’Abraham Lincoln en 1863 à Gettysburg. Ou comme celui de Lyndon Johnson, qui prononce en 1965 le célèbre We shall overcome mettant un terme à la ségrégation raciale. Le discours de Giorgio Napolitano a la force rhétorique, la hauteur d’inspiration et la perturbation politique qui le rendent déjà une opera prima. Il [le discours] a rendu la dignité à la parole en nous offrant un texte d’éthique publique sans précédent dans l’histoire républicaine », Paolo Valentino.

– « Avec un remarquable sacrifice personnel, le président a reçu une invitation et s’est encore une fois mis lui-même au service du pays. Les grands électeurs lui en sont reconnaissants », Sergio Romano.

 

Toutous de garde

Télévision, journaux, radio : personne n’y échappe, pas même ANSA, l’agence de presse italienne. Au gré des extraits lus sur scène par Giorgia Salari, le rire est peu à peu remplacé par un sentiment étrange, mêlant gêne, stupeur et consternation. On se demande si ces citations sont vraies, on se dit que c’est impossible. Et pourtant.

Par-delà des Alpes, les chiens de garde ont été remplacés par de gentils toutous bavant devant leurs maîtres. Et Marco Travaglio de demander en guise de conclusion : comment se fait-il que l’Italie soit à la dérive malgré ses superpoliticien-ne-s au pouvoir ? Y a-t-il seulement une chance que ces dirigeants se lassent d’être ainsi caressés dans le sens du poil ? À cette dernière question, Marco Travaglio mentionne le dernier politique italien à s’être fendu d’un communiqué critiquant le traitement de faveur dont il était « victime » : Benito Mussolini.

Malgré le caractère humoristique du spectacle, souvent hilarant même, « Slurp » est inévitablement politique. Marco Travaglio, dont la prestance sur scène fait penser à un comédien expérimenté, n’en oublie pas moins d’où il vient. À la tête d’un des seuls journaux italiens à ne pas recevoir d’aides publiques, son nouveau spectacle est une critique acérée du journalisme de connivence à l’italienne. Un conseil, aussi, à tous les citoyens italiens afin que ceux-ci dénoncent cette pratique devenue la normalité dans la presse transalpine.

 

Extrait du spectacle (en italien) :


Le spectacle « Slurp » de Marco Travaglio à Genève était organisé par A riveder le stelle, une association culturelle sans but lucratif italo-suisse.

1. Depuis l’élection du « Cavaliere » en mai 1994 jusqu’à celle de Matteo Renzi le 22 février 2014.

2. Surnom donné au président du Conseil.

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