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Et si on changeait tout ?
Si, pour redonner confiance aux citoyens et vivifier une démocratie qui se meurt du mensonge et des illusions perdues, on s’interrogeait sur la manière même de faire de la politique ?
Il n’est personne, en effet, qui récuse ce constat tristement banal des campagnes flamboyantes et somptuaires mais des présidences décevantes et ternes. Passer du verbe à la réalité, c’est abandonner l’or pour s’accommoder du plomb. C’est déserter le rêve pour plonger dans un quotidien qui, pour être celui du pouvoir, n’en est pas moins éprouvant, déprimant. Il est symptomatique d’ailleurs qu’au début de leur mandat, certains présidents semblent encore engourdis par l’atmosphère joyeusement virtuelle ayant préparé l’élection.
Cette tendance à la banalisation est trop générale pour qu’on puisse imputer cette dérive à tel ou tel président même si, depuis 1958, il en est certains qui ont abusé de la licence de beaucoup promettre et de peu tenir. Notamment les derniers ont fait fort sur ce registre. Nicolas Sarkozy, pour qui attachait une importance capitale à l’état de droit, avait lancé dans le débat public, comme une bouffée d’ère pure, le slogan de la République irréprochable et les cinq ans qui ont suivi ont été les pires sur ce plan parce que les transgressions que ce quinquennat n’avait pas inventées ont été perpétrées avec un cynisme ostensible qui en a dégoûté plus d’un.
François Hollande, avec cette détestation globale et ridicule de la finance en tant que telle, est tombé ensuite, selon Michel Sapin qui a théorisé la trahison même si elle est heureuse, dans le service de la « bonne » finance, ce qui a représenté un saut considérable de l’idéologie dans le pragmatisme.
Pourquoi pas, après tout ? Mais cette évolution, ce reniement ont été d’autant plus insupportables qu’ils avaient été précédés par d’éclatants engagements, le sombre par l’annonce d’aurores sans pareilles.
Même en excluant ces paroxysmes où la contradiction fait mal aux citoyens, il y a, dans tous les cas, parce que tout simplement – et on ne saurait en blâmer quiconque – le réel survient dans une construction initiale qui n’avait pas pu l’intégrer malgré son désir d’être au plus près des faits, une dénaturation, voire un bouleversement, au moins un infléchissement, qui dégradent la vision pure et optative en un empirisme au mieux intelligent et modeste, au pire en une stratégie erratique qui laisse l’imprévisible gouverner le rationnel.
Qu’on songe à ces grandioses épopées de l’esprit qui prétendaient mettre dans notre France une exaltation inconnue jusque-là et quasiment changer la condition humaine !
Valéry Giscard d’Estaing, avec sa société libérale avancée et ces deux Français sur trois, imaginait pour nous un monde irénique d’où tout conflit serait expulsé.
François Mitterrand affirmait vouloir changer la vie alors que la vie, en réalité, l’a changé, métamorphosant l’homme de gauche par volontarisme en une personnalité de droite courageuse et provocatrice par un retour assumé vers ses origines.
Et si on acceptait l’inévitable délitement, même s’il est souvent honorable, de la campagne étincelant de mille feux en long fleuve non tranquille, de la poésie effervescente et illimitée en une prose contrainte, digne et sincère ? Si on réfléchissait, par exemple, sur le mandat écourté de Georges Pompidou dont le bilan aujourd’hui est révisé à la hausse et qui avait gagné précisément grâce à une démarche réaliste, jugée alors sans éclat ?
Cela signifie qu’il conviendra d’inventer non pas un autre mode de présider, si on veut bien présumer une lucidité relative du suffrage universel et un choix plausible de notre représentant suprême, mais une manière différente de faire campagne, non pas de focaliser sur l’action d’après qui aura forcément ses limites et ses aléas imprévisibles mais sur la parole d’avant.
L’ambition, pour le candidat dont l’intuition, je l’espère, rendra inutiles ces entourages plus étouffants que pertinents, se résumera à élaborer un discours qui saura concilier l’enthousiasme salubre d’une conquête républicaine avec la plausible et respectable affirmation d’une volonté de bien faire, en tout cas d’accomplir le moins mal possible, sur tous les plans, ce que la victoire lui imposera d’affronter. Ce ne sera pas rien que d’avoir ce talent et cette conscience de soi, cet orgueil de la réserve et de la retenue, cette délicatesse de l’intégrité, ne promettre que le certain pour être assuré de tenir beaucoup.
Quelle révolution, dans l’espace démocratique, quand, à droite ou à gauche, nous aurons la certitude de ce miracle : un politique qui tient plus qu’il ne promet parce que sa promesse n’aura pas été vaine et que son action n’aura pas été par avance frappée de caducité.
Une présidence modeste ne devra pas seulement se rapporter à la gabegie et au somptuaire, la simplicité et l’allure peuvent s’accorder, mais au fond même de la méthode politique.
Ne pas se moquer de l’avenir, pour l’immédiate jouissance du présent, sera se grandir.
Qui commencera ?
Cet article a été initialement publié sur le blog « Justice au singulier » de Philippe Bilger.
bravoooo trés bon article superbe!!!!