© montage réalisé par Adriano Brigante, image d’origine tirée du film Clockwork Orange, Warner Bros
Cinq ans après la retentissante faillite de Lehman Brothers (joyeux anniversaire!), intéressons-nous un peu à l’actualité estivale d’UBS, une entreprise impulsive, irresponsable, manipulatrice et dangereuse. J’avais évoqué ici-même, il y a quelques mois, son incapacité pathologique à ne pas commettre d’actes illégaux. Alors, quoi de neuf, docteur?
I know what you did this summer
Pour ceux qui n’auraient pas suivi les derniers déboires judiciaires d’UBS – on ne saurait leur en tenir rigueur, tant la banque les enchaîne à un rythme étourdissant – voici donc un petit résumé de l’été qui vient de s’achever :
26 juin 2013 : 10’000’000 € à UBS France (UBSF) pour avoir attendu 18 mois sans rien faire, après avoir été prévenue de graves risques d’opérations susceptibles d’être qualifiées de démarchage illicite et de blanchiment de fraude fiscale. Oui, dans le monde merveilleux de la finance, on prévient à l’avance ceux qu’on soupçonne d’actes illégaux. Et oui, on attend 18 mois avant de finalement intervenir. UBS France a récemment fait recours.
26 juillet 2013 : 885’000’000 $ de dédommagement qui seront versés à Fannie Mae (415 millions) et Freddie Mac (470 millions) pour leur avoir vendu, entre 2004 et 2007, en pleine bulle immobilière et sans les informer correctement, pour 4,5 milliards de dollars de RMBS (titres adossés à des crédits immobiliers aux ménages).
6 août 2013: 46’000’000 $ dont 23,6 millions de dollars à restituer (suite à une violation des prescriptions sur les papiers valeurs), 10,8 millions de taxes, 9,7 millions d’intérêts et 5,7 millions d’amende infligés par la SEC pour avoir trompé les investisseurs.
9 août 2013 : 120’000’000 $ pour mettre fin à une plainte dans laquelle les investisseurs accusent UBS de leur avoir vendu, entre 2007 et 2008, des produits structurés de Lehmann Brothers, par l’intermédiaire de documents d’information qui étaient faux et trompeurs.
27 août 2013 : 4’600’000 $ pour mettre fin à des poursuites de l’ensemble des 50 États américains qui l’accusaient d’avoir laissé des salariés non enregistrés auprès des autorités boursières accepter des ordres d’achat ou vente de titres financiers.
Diagnostic
Avec un casier de multirécidiviste sans scrupules, affichant près de six milliards de dollars de sanctions en quinze ans d’existence1, on a semble-t-il affaire à un comportement hautement anti-social qui confine à la psychopathie, dont la personne morale d’UBS remplit les principaux critères de diagnostic2.
Non seulement la banque est incapable d’accepter sa propre responsabilité (en passant par des accords extrajudiciaires qui ne font pas office d’aveux), mais elle est également impulsive (en se jetant les yeux fermés dans le piège de la finance structurée) et inconsciente des risques qu’elle prend et qu’elle fait prendre aux autres (de par le caractère systémique des crises que provoque son incapacité à évaluer correctement ces risques). Elle sait être manipulatrice pour arriver à ses fins (avec la manipulation du taux du Libor, par exemple), n’hésite pas à faire subir aux autres les conséquences négatives de ses actes (socialisation massive des pertes de la crise), et ne semble afficher ni remords, ni sentiment de culpabilité (comme le prouve son casier judiciaire interminable), tout en donnant d’elle-même une image rassurante, positive, voire altruiste (en sponsorisant massivement dans les domaines du sport et de l’art contemporain, par exemple).
Le couteau sous la gorge
Le pire, c’est que cette banque incontrôlable – et la finance à laquelle elle participe – tient l’économie toute entière de notre pays en otage par ses crises de démence à répétition. Combien de temps encore allons-nous rester les bras croisés à regarder UBS enfreindre allègrement toutes les règles qui auraient l’audace de se trouver sur son passage? Le but de ces règles (que la finance appelle affectueusement « répression réglementaire »…) est pourtant de protéger l’économie réelle en empêchant (ou en tentant d’empêcher) les crises financières et en limitant leur portée.
Quel événement cataclysmique faudra-t-il subir avant que la classe politique et l’opinion publique ne comprennent qu’à cause de sociétés comme UBS, ces crises financières systémiques recommenceront encore et encore jusqu’à l’effondrement global du système? Si les banques sont incapables d’évaluer les risques qu’elles prennent sur les marchés de dérivés de crédit, il suffit de les empêcher de les prendre. Quand va-t-on enfin se décider à reprendre notre destin en main, en imposant à notre secteur bancaire – censé servir notre économie, et non le contraire – un durcissement drastique de la réglementation assorti de contrôles stricts? Une camisole de force bancaire, en quelque sorte…
Une chose ne fait aucun doute: cela se produira forcément un jour. Reste à savoir si ce sera avant ou après avoir touché le fond.
Notes
Pour comprendre les mécanismes et les causes de la crise financière récente:
– Jusqu’à quand? Pour en finir avec les crises financières, Frédéric Lordon, 2008, Raisons d’Agir (ISBN: 978.2.912107.42.8)
– La pompe à phynance, le blog de Frédéric Lordon.
– Et un lien à garder sous le coude: le lexique de la finance du Monde diplomatique.
[1] Amendes, accords extra-judiciaires, etc.
[2] En réalité, de très nombreuses entreprises remplissent ces critères: Shell, Halliburton, Monsanto, etc. Cette idée a été développée notamment dans le film The Corporation.
Merci de votre message, monsieur Patate :) Oui, je me suis renseigné, et de toute manière, personne n'a donné suite.…