Genre Le 10 février 2020

Un congé paternité de deux semaines. Non on ne vous félicitera pas !

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Un congé paternité de deux semaines. Non on ne vous félicitera pas !

© TeroVesalainen, Pixabay

 

Le troisième texte du dossier « Plaidoiries pour les droits humains » présente avec rimes, humour et impertinence la situation législative du congé paternité en Suisse. Juan Lopez Restrepo dépeint un malheureux état des lieux et rappelle l’aspect poussif de l’évolution juridique du droit des pères.


 

Le 27 septembre 2019, les deux chambres du Parlement suisse adoptèrent le principe d’un congé paternité de deux semaines. Jusqu’ici, les pères habitant en Suisse n’avaient droit qu’à une journée de congé usuel pour assister à la naissance de leurs enfants. Une seule journée. D’aucuns considèrent cela comme un pas en avant, une avancée minuscule qui, pour moi, s’apparente plus à un recul ridicule.

 

Un congé paternité de deux semaines. Non on ne vous félicitera pas. On ne vous félicitera pas, car, en réalité, deux semaines c’est beaucoup trop. L’idée même d’un congé paternité laisse suggérer que l’homme puisse s’abaisser à exercer… une tâche dénuée de virilité.

 

Instaurer un congé paternité c’est contaminer la masculinité avec de la fragilité. Élever les enfants c’est après tout la seule finalité de la féminité. Et contrairement aux femmes qui ont 14 semaines pour se reposer suite à la naissance de leurs petits bébés et qui malgré tout ne font que s’apitoyer. Les hommes, eux, savent la fermer.

 

En effet, les femmes se prétendent discriminées malgré leurs vacances payées qu’elles appellent « congé maternité » alors que les hommes ne se plaignent pas de leur obligation d’aider la nation. Obligation dont ils s’acquittent d’ailleurs avec dévotion.

 

En effet, service militaire ou service civil, les hommes, contrairement aux femmes, savent rester dociles.

 

Certaines vont dire que je délire et je les entends déjà qui soupirent : Mais où veut-il en venir ? Quand va-t-il finir de nous abasourdir ? Jamais un tel macho n’aurait dû concourir.

 

À celles et ceux qui m’accuseraient de détourner l’attention, celles et ceux qui penseraient que mon discours n’est qu’une distraction. Je répondrais, cher public… que vous avez raison.

 

Si ma propension à la victimisation laisse à penser que je me suis bercé d’illusions, permettez-moi donc de m’en excuser. Et si cela peut vous rassurer, je ne faisais, jusqu’ici, que caricaturer.

 

Je ne vous ferai pas l’insulte de dire que je suis une victime, vos critiques sont toutes légitimes. Loin de moi l’idée de dénoncer le déclin de l’empire masculin, car la vérité, c’est qu’il n’en est rien. Et si quelqu’un s’est reconnu dans mon discours, c’est probablement qu’il s’appelle… Eric Zemmour. Contrairement audit polémiste qui semble avoir pioché ses idées chez les plus grands penseurs fascistes, les raisons qui m’empêchent de congratuler la classe politique pour son  »triomphe réformiste » reposent sur un raisonnement beaucoup plus constructif.

 

Je commencerai par vous dire que se contenter de deux semaines de congé paternité, c’est faire le jeu des grands patrons. Car si l’on instaure l’égalité par le congé parental, ces derniers ne pourront plus invoquer leur argument principal qui consiste à dénigrer les revendications syndicales en prétextant la faiblesse de leur capital, pour justifier une discrimination salariale.

 

Et s’il est vrai qu’un congé parental permettrait de combattre la discrimination à l’embauche. Il ne s’agit là que du début de mon argumentation.

 

Je pourrai en effet vous dire que la moyenne des pays de l’OCDE en termes de congé parental est de 54 semaines. Je pourrai vous dire que si, en Norvège, les parents peuvent se partager 10 mois de congé parental intégralement rémunéré, congé dont le principe a été instauré depuis 1977, il aura en revanche fallu vingt ans et plus de trente tentatives au Parlement suisse pour au final, s’accorder sur seulement deux semaines. Mais je ne m’attends pas à ce que cela vous surprenne. Car plutôt que de se questionner sur le succès rencontré par un tel congé dans les pays d’à côté, la Suisse préfère se contenter de cette micro avancée sans toutefois préciser qu’on n’en fait toujours pas assez. Si, comme je le disais, il aura fallu vingt ans pour instaurer un congé paternité, l’idée d’un congé parental qui s’appliquerait donc aux deux parents date d’il y a bien plus longtemps.

 

La première tentative allant dans ce sens remonte à l’initiative intitulée « Politique familiale » qui fut déposée le 13 décembre 1977. Ça va bientôt faire 42 ans qu’on débat sur cette idée et pourtant, rien n’a changé. Et si je ne m’attends pas ce que vous soyez choqués, c’est parce que je sais que vous y êtes habitués. Je n’ai, en effet, pas besoin de vous rappeler qu’il a fallu attendre jusqu’en 1971 pour que les femmes suisses puissent voter. Pour un pays qui aime se vanter de sa ponctualité, la Suisse est pourtant bien en retard lorsqu’il s’agit d’égalité.

 

Je pourrai aussi vous dire que se réjouir de cette soi-disant victoire, c’est ignorer la discrimination perpétuelle dont souffrent les couples homosexuels. Si les couples hétéros pourront désormais bénéficier d’un congé paternité et maternité cumulé de 16 semaines, les parents homosexuels devront se contenter de l’un ou de l’autre. Mais dans un pays qui n’autorise pas l’adoption d’enfants par un couple du même sexe, je n’espère pas trouver grand monde qui, devant cet argument, resterait perplexe.

 

Face à mon raisonnement, les politiciens et politiciennes répondront assurément, qu’ils et elles craignent une augmentation des coûts engendrés par les absences des employés concernés. À cela, je rappellerai qu’en 2018, la Commission fédérale de la coordination pour les questions familiales, sur la base d’études récentes, a conclu qu’un congé parental de 38 semaines permettrait aux femmes de travailler davantage sans pour autant devoir renoncer à leurs désirs d’enfant et qu’une augmentation de seulement 1% du taux d’emploi des femmes générerait suffisamment de recettes fiscales pour compenser un congé parental intégralement rémunéré d’une durée de 18 à 20 semaines. Les études sur lesquelles s’appuient la commission ont d’ailleurs démontré que non seulement le congé parental favorise l’emploi des mères, mais en faisant cela, il accroît leur indépendance financière augmentant ainsi le montant de leur rente à l’âge de la retraite. Mais là encore, l’égalité n’étant pas une priorité pour nos chers députés, je sais qu’il en faudra plus pour les persuader.

 

Pardonnez-moi si j’ai l’air découragé, mais je ne peux m’empêcher de me projeter et d’imaginer que le jour où je rencontrerai enfin mon nouveau-né, je n’aurai que 2 semaines pour m’initier aux difficultés d’élever un bébé. Seulement deux semaines pour commencer à développer mes compétences éducatives. Deux semaines pour poser les fondations d’une relation affective. Et à l’instar du temps nécessaire pour faire changer la société, deux semaines, vous en conviendrez, c’est loin d’être assez. Et quand mon enfant aura grandi, je me vois mal lui expliquer que j’ai préféré travailler plutôt que de m’en occuper. Que nos élus, non contents d’être derniers dans la course à l’égalité, s’attendaient à ce qu’on les applaudisse pour leur manque de bonne volonté.

 

Si les optimistes diront que je suis défaitiste. Si ceux qui voient le verre à moitié plein diront que deux semaines, c’est mieux que rien. Je rappellerai que le semblant de congé qu’ils ont si difficilement gagné n’est même pas encore garanti. En effet, nos chers amis de l’UDC ont récemment lancé un référendum visant à contrecarrer tout type de progrès. L’argument avancé par les référendaires étant que, pour financer ledit congé, employeurs et salariés devraient payer 250 millions de francs de plus par an.

 

Pour éviter que l’on vous manipule par ce savant calcul, il vous suffit de vous souvenir d’une simple formule : le congé de deux semaines sera financé par les allocations pertes de gain. Ce financement se traduirait par une augmentation de l’actuel taux de cotisation APG de 0.06 point, dont la moitié serait supportée par l’employé et l’autre moitié par l’employeur. Sur le salaire moyen suisse, cela représente une augmentation de trois francs nonante par mois dont seulement un franc et nonante-cinq centimes seraient supportés par l’employé. Un franc nonante-cinq. Un franc et nonante-cinq centimes. C’est moins cher qu’une couronne de pain à la Migros. Hélas, si le parti agrarien s’offusque déjà pour si peu, ce serait peine perdue que de les encourager à s’engager pour une véritable avancée. Ce serait se fourvoyer que d’espérer les faire changer…. Donc à quoi peut bien servir mon plaidoyer ?

 

Je sais que mon désespoir se reflète dans mon réquisitoire. Que rien ne laisse entrevoir une lueur d’espoir. J’ai conscience d’avoir l’air las et désabusé et pourtant une pensée me laisse espérer. Cette pensée c’est avec vous que je souhaite la partager. Car ce n’est pas aux députés que je souhaite m’adresser, mais bien aux parents fatigués de ne pas se sentir écoutés. Je conclurai donc sur cette réflexion qui, à défaut de satisfaction, sera, pour vous, une consolation. Si nos représentants et représentantes pensent nous avoir à l’usure, à coup de demi-mesures, au mépris de l’égalité et de son futur. Le peuple ne manquera pas de les exclure de la législature. Et quand viendra le temps de juger, quand l’histoire les aura condamnés pour dommages causés à la société, on pourra enfin, finalement… s’en féliciter.

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