Genre Le 9 juin 2016

Violences sexuelles en République démocratique du Congo (2/2)

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Violences sexuelles en République démocratique du Congo (2/2)

La psychologue Adèle Tiniya. [Emilie Linder]

 

Ma rencontre avec Adèle Tiniya, psychologue spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles

 

Dans la première partie de mon article, vous avez pu découvrir l’ampleur du phénomène des violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC) ainsi que mes impressions sur mon voyage. Là-bas, j’ai eu l’opportunité de travailler pour deux organisations nationales : le « Fonds pour les Femmes Congolaises » (FFC) et le groupe « Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral » (SOFEPADI). Deux organisations partenaires luttant contre les violences sexuelles et l’amélioration des droits des femmes en RDC.

Après deux mois à Kinshasa, j’ai été envoyée pendant dix jours à Bunia, petite ville située dans l’est de la RDC, pour travailler au centre « Karibuni wa maman ». C’est là que j’ai rencontré et interviewé la psychologue spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles, Adèle Tiniya. Cette seconde partie vous propose de découvrir son témoignage. 

 

Le centre « Karibuni wa mama »

Après dix années d’activité, fêtées en octobre 2010, l’association SOFEPADI a hérité, de la part de MSF/Suisse, du centre médical « Karibuni wa mama », situé à Bunia dans la province d’Ituri. La présence de ce centre médical permet aujourd’hui à plus de 800 patients par mois de recevoir des soins gratuitement. Les équipes médicales de SOFEPADI se sont spécialisées dans le traitement des infections sexuellement transmissible et leur dépistage, le planning familial et les conseils spécialisés, ainsi que les soins spécifiques aux victimes de viols. C’est cette dernière partie qui va particulièrement nous intéresser.

Séance de sensibilisation pour les patientes du centre Karibuni wa mama. [Emilie Linder]

Séance de sensibilisation pour les patientes du centre Karibuni wa mama. [Emilie Linder]

 

Je me suis rendue à Bunia avec plusieurs objectifs. Tout d’abord, je devais visiter les différents services et échanger avec l’équipe, le but étant que je rédige un document décrivant le « parcours » d’une victime dans les services de SOFEPADI. J’ai eu l’occasion de faire des entretiens dirigés avec le médecin docteur, la psychologue, une des infirmières, une assistante sociale, le pharmacien, la coordinatrice, ainsi que la personne chargée de l’aide juridique et son assistante. Ces entrevues ont été très riches et m’ont permis de rassembler des informations utiles pour l’élaboration de documents de communication. La discussion avec la psychologue Adèle Tiniya m’a particulièrement marquée. 


Emilie : Madame Tiniya, comment expliquez-vous l’importance du suivi psychologique pour les victimes de violences sexuelles dans leur processus de guérison ?

Adèle Tiniya: L’équipe de SOFEPADI commence à parler de l’importance du suivi psychologique lors de la sensibilisation du matin. Ce passage est une étape importante dans la prise en charge des patientes. Tous les jours à 8 heures, toutes les patientes du centre se retrouvent dans un espace dédié à la sensibilisation sur les infections sexuellement transmissibles, sur le planning familial, ainsi que sur les violences sexuelles. Pour cette dernière partie, l’infirmière en charge présente les conséquences physiques et psychologiques qui découlent des violences sexuelles. Elle parle des émotions que la victime peut ressentir – la peur, la honte, la culpabilité –, ainsi que les manifestations qu’elle peut subir : les flash-back, les souvenirs répétitifs, la dépression, entre autres. Elle discute également du besoin d’être suivie pour éviter de garder des blessures profondes. C’est donc lors de cette présentation que les patientes se rendent compte du rôle du suivi psychologique. De notre expérience, toutes les victimes acceptent de suivre les séances.

 

Comment se passe le premier contact avec les patientes ?

Tout d’abord, il est important de préciser que la pièce est aménagée de telle manière à apaiser la patiente et la mettre en confiance. Dans la pièce, il y a des chaises confortables, des coussins et des posters de couleurs. Lorsque la patiente arrive, je commence par me présenter et parler de mon rôle à SOFEPADI. Je lui dis que la prise en charge médicale est cruciale, mais que le suivi psychologique est également essentiel. Je parle à nouveau des effets psychologiques et des symptômes qu’un viol peut avoir sur les victimes. Je lui dis ensuite que je voudrais échanger avec elle sur les évènements qui ont eu lieu. Il arrive que dès la première séance, la patiente arrive à me parler et à raconter son agression. Pour les autres, la première séance n’est qu’une présentation ; elles prennent ensuite un deuxième rendez-vous lors duquel elles peuvent discuter plus sereinement.

 

Quelles techniques mettez-vous en place pour aider les patientes ?

L’objectif premier est de tenter de leur faire accepter la situation dans le but de réduire le traumatisme. La plupart des victimes ressentent un fort sentiment de culpabilité et de responsabilité. Beaucoup de femmes vont dire « c’est de ma faute, car je suis sortie tard pour aller au champ ou aller chercher de l’eau… ». Il faut donc commencer un long processus de déculpabilisation : par la discussion, lui dire que ce n’est pas de sa faute, lui dire qu’elle n’est pas la seule, lui demander d’exprimer ses émotions, pour ensuite pouvoir accepter sa situation. La plupart du temps, les rendez-vous de suivi médical et de soutien psychologique se font le même jour, ceci dans le but d’inciter les patientes à continuer à venir aux séances. Le nombre de séances dépend de la personne, la moyenne est de 4 à 5. Il est important de dire également que SOFEPADI organise des journées de réflexion. Ces journées permettent de rassembler des femmes pour qu’elles puissent discuter de leur expérience et s’entraider. Elles témoignent de ce qu’il leur est arrivé et donnent des conseils.

Entrée du centre Karibuni wa mama. [Emilie Linder]

Entrée du centre Karibuni wa mama. [Emilie Linder]

Et quand les victimes sont des enfants ?

Dans les cas où les victimes sont des enfants, les parents sont présents pendant les séances. Tout d’abord, il faut trouver le moyen de gagner la confiance de l’enfant. Il y a donc des jeux dans la pièce, des poupées, des peluches, des crayons et du papier. Le but est de rendre la séance ludique pour l’enfant. Parfois, lorsque nous le laissons dessiner, celui-ci va naturellement dessiner ce qui lui est arrivé. Nous tentons donc d’entamer un dialogue avec l’enfant et les parents pour essayer de réduire le traumatisme. C’est un réel travail qui s’entame avec SOFEPADI et les parents. Ils nous tiennent au courant de ce qu’il se passe à la maison, si cela va mal à l’école, si l’enfant a des troubles du comportement. Nous établissons un suivi et mettons en place des séances avec les parents pour trouver les causes de ces problèmes et trouver ensemble des solutions.

 

Prenez-vous en charge uniquement les victimes de violences sexuelles ou également leurs proches ?

Parfois, il arrive que le viol prenne place dans le foyer familial en présence du mari ou d’un membre de la famille. Dans ces cas, SOFEPADI invite le mari, ou la personne qui était présente lors de l’agression à participer à certaines séances. Nous donnons des invitations écrites aux proches pour qu’ils puissent surmonter leur traumatisme personnel, mais aussi soutenir la victime dans son processus de guérison. Il est très important que les proches soient impliqués et que la victime se sente soutenue. En effet, il y a encore beaucoup de stigmatisation autour du viol et les victimes peuvent se sentir isolées. Il arrive que les femmes soient rejetées par leur famille à cause de la honte générée. Il faut donc faire un travail global, avec la victime et ses proches, pour que chacun puisse comprendre que la victime n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé.

 

Parlez-vous de la justice comme remède ?

Concernant l’aspect juridique, pour la plupart des victimes, l’agresseur est déjà arrêté lorsqu’elles arrivent à SOFEPADI. Dans ce cas, je leur parle des possibles avantages de porter plainte pour le processus de guérison et leur présente le service juridique gratuit dédié aux victimes de violences sexuelles de SOFEPADI. C’est la victime qui décide. Si la patiente veut présenter son cas devant le tribunal, nous prévoyons une séance pour la préparer psychologiquement à l’audience. Nous discutons de la manière de gérer le fait de revoir son agresseur ou de revivre l’agression en la racontant à nouveau.

 

Quelle est la partie la plus difficile de votre travail ?

Les cas les plus durs sont ceux où la patiente tombe enceinte de son agresseur. Dans ces cas, il faut mettre en place un réel soutien sur le long terme, car il y a de grands risques de rejet de l’enfant. SOFEPADI suit donc la patiente tout au long de sa grossesse, puis quand elle accouche, nous nous rendons directement à l’hôpital pour évaluer les besoins. Nous avons eu récemment un cas où une patiente a complètement rejeté son enfant dès sa naissance. Après trois séances avec elle, nous avons pu lui permettre d’accepter le bébé. Dans ce cas spécifique, la famille était très présente et a été un appui crucial à son acceptation. Un autre exemple est celui d’une jeune fille de 16 ans qui est tombée enceinte suite à un viol. Elle a également totalement rejeté l’enfant et son traumatisme était très important. C’est la grand-mère de cette jeune fille qui a pris en charge le bébé. SOFEPADI a suivi psychologiquement la patiente pendant des années et c’est seulement lorsque l’enfant a fêté ses deux ans que sa mère l’ finalement accepté. Ce fut un long processus et un vrai défi. La patiente est maintenant mariée et vit une vie normale avec son petit.

 

SOFEPADI propose un service de réinsertion socio-économique ; sur quels critères sélectionnez-vous les femmes ?

Concernant la réinsertion, nous évaluons la vulnérabilité de la victime pour savoir si elle a besoin de ce service. Cette étape est délicate. Il ne faut pas que la victime soit au courant de ce processus de sélection, car cela pourrait déformer la réalité. Nous devons donc poser des questions sur la vie de la victime et l’impact que l’agression a eu. La plupart du temps, les patientes réinsérées sont celles qui viennent régulièrement aux rendez-vous, donc qui ont un réel suivi. SOFEPADI prend ensuite leurs coordonnées et, au moment propice, l’appelle pour lui proposer la réinsertion : soit retourner à l’école, soit suivre une formation pour pouvoir par la suite entreprendre une activité génératrice de revenu. En aval, SOFEPADI suit l’évolution de ces femmes pour s’assurer que la réinsertion se passe comme prévu. Prenons l’exemple de cette femme qui s’est faite violer lorsqu’elle travaillait au champ. Cette dernière a tellement été traumatisée par l’agression qu’elle ne pouvait plus remettre un pied dans son champ. Cet événement tragique lui a donc fait perdre sa source de revenu. C’est pour cette raison que SOFEPADI l’a formée à un nouveau métier, afin qu’elle puisse à nouveau subvenir à ses besoins.

 

L’impact de SOFEPADI

En 2015, 752 séances de soutien psychologique ont été animées par SOFEPADI au bénéfice de 558 victimes. La détraumatisation, l’écoute, la libre expression sont des stratégies utilisées par les psychologues afin de soutenir les patientes. L’idée de SOFEPADI est de permettre à ces victimes de se transformer en « survivantes » et, par la suite, devenir de réelles actrices du changement. Par exemple, pour celles qui sont prêtes à s’investir, SOFEPADI a créé le « noyau des survivantes ». Ces femmes se rendent devant les tribunaux pour soutenir les victimes qui portent plainte. Elles témoignent des ravages des violences sexuelles dans le but de s’assurer que les agresseurs soient punis pour les actes qu’ils ont commis.

Deux femmes faisant partie du noyau des survivantes. [Emilie Linder]

Deux femmes faisant partie du noyau des survivantes. [Emilie Linder]

Selon les membres de SOFEPADI, il y a encore beaucoup de choses à faire : les institutions judiciaires du pays devrait être améliorées, la corruption endiguée, le système de protection des témoins et des victimes renforcé… Cependant, depuis la création de l’association, on a pu observer des changements prometteurs. Par exemple, le tabou autour du viol s’est réduit. Aujourd’hui, davantage de femmes osent parler et elles savent où se rendre pour dénoncer leur agression.

Ceci peut-être expliqué d’une part par les campagnes de sensibilisation initiées par SOFEPADI et, d’autre part, par les discussions organisées par l’association qui ont impliqué les chefs coutumiers. En se rendant dans les villages, les membres de SOFEPADI ont réussi à entamer un débat avec les leaders communautaires dans le but de changer le statut social et économique des femmes de ces villages. Le respect des droits des femmes congolaises est primordial pour s’assurer d’un changement profond des mentalités. Une des infirmière du centre médical m’a avoué que ce n’était pas toujours facile de rester positive, mais qu’elle est témoin d’une réelle évolution: « C’est un long processus, il faut être patient. Les femmes se sentent de plus en plus impliquées et elles en font de plus en plus. Les voir faire valoir leurs droits, c’est ce qui nous motive à continuer. »

 

L’importance de la paix en RDC

La paix en République démocratique du Congo est essentielle afin que SOFEPADI et les autres ONG présentent dans la région puissent continuer à renforcer leurs activités de lutte contre les violences sexuelles. Néanmoins, en moins de deux ans, plus de 1100 personnes ont été tuées dans l’est du pays1. Dans cette région, bien que la guerre se soit officiellement terminée en 2002, des groupes armés étrangers et des milices locales font toujours régner la terreur2. L’armée congolaise et les troupes de la MONUSCO sont présentes, mais, malgré les efforts déployés sur le terrain, la population continue d’être la cible d’attaques. Il est important de remettre en question ce système de maintien de la paix qui ne semble pas être en adéquation avec la réalité complexe de cette région d’Afrique.

 


[1] « RD Congo – Beni : près de 100 morts en moins de 5 mois, une horreur qui n’émeut (presque) personne » http://www.jeuneafrique.com/324435/politique/rd-congo-beni-pres-de-100-morts-de-5-mois-horreur-nemeut-presque-personne/

[2] Voir première partie de mon article : https://www.jetdencre.ch/violences-sexuel…ique-du-congo-12

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